samedi 24 février 2018

LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE


Fantastique/Une approche différente du film de zombie, un rythme lent pour un résultat assez sympathique en accord avec le sujet de fond

Réalisé par Dominique Rocher
Avec Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant...

Long-métrage Français
Durée : 01h34mn
Année de production : 2017
Distributeur : Haut et Court

Interdit aux moins de 12 ans

Date de sortie sur nos écrans : 7 mars 2018


Résumé : En se réveillant ce matin dans cet appartement où la veille encore la fête battait son plein Sam doit se rendre à l’évidence : il est tout seul et des morts vivants ont envahi les rues de Paris. Terrorisé, il va devoir se protéger et s'organiser pour continuer à vivre. Mais Sam est-il vraiment le seul survivant ?

Bande annonce (VF)


Ce que j'en ai penséce film est l'adaptation du roman éponyme de l'écrivain Martin Page. Découvert lors du dernier Festival du Film Fantastique de Gérardmer, le contraste de son rythme lent dans un contexte d'épidémie rendant tout le monde complètement zombie en fait un petit film de genre plutôt surprenant. Il explore la thématique de la solitude, de l'enfermement, de l'ennui et de leur effet sur l'homme. 

Il ne faut pas attendre de réponses à un quelconque questionnement. On doit juste se laisser porter par l'adaptation à ses nouvelles données environnementales par son personnage principal. Ce dernier, c'est Sam, interprété par Anders Danielsen Lie. Sam n'est pas préparé et n'est pas forcément spécialement doué pour faire face à cette situation. Mais faute de choix, il en fait ce que sa personnalité et ses préférences lui dictent et nous trimballe avec lui dans cette aventure évidemment décalée. L'acteur apporte au protagoniste une personnalité entre flegme, acceptation, maladresse, grain de folie et ingéniosité. Quelques seconds rôles inattendus viennent agrémenter l'intrigue et casser la torpeur qui s'installe par moments. Cette dernière est le miroir du ressenti de Sam. 




La réalisation de Dominique Rocher réussit à nous faire ressentir l'atmosphère particulière de la situation. Elle reste cohérente du début à la fin et intègre adroitement des effets spéciaux crédibles et en adéquation avec l'ambiance du film.

LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE propose une vision inhabituelle du survival en terrain zombie. Il n'est pas sans défauts sur certains détails de l'intrigue et sa lenteur le rend parfois un peu longuet, mais son ambiance, son contexte et son protagoniste atypique titillent notre curiosité et lui confère un intérêt qui en fait une découverte sympathique.

Crédit photos : Laurent Champoussin

NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE ROCHER 

Quelle est l’origine de LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE ? 

C’est le roman de Pit Agarmen, pseudonyme et anagramme de l’écrivain Martin Page, sous lequel il s’autorise une veine plus « pulp ». J’ai tout de suite été séduit par ce texte, son ton atypique et la façon dont il pose la question de l’isolement et du rapport aux autres. Et surtout par la personnalité de Sam, un personnage qui aime la solitude, à la limite de l’agoraphobie. C’est cette misanthropie qui s’incarne à travers le genre. Lorsqu’il émerge dans un monde transformé pendant la nuit, au milieu d’un océan de zombies, cette transformation ne le surprend pas. Je dirais même qu’il est armé pour survivre, psychologiquement. En une nuit, il se retrouve seul, dans cet immeuble haussmannien telle une île déserte, sans espoir d’être retrouvé. Sam s’apparente à un Robinson Crusoé et doit tout organiser pour sa survie. J’aimais l’idée de quelqu’un qui trouve une sorte d’équilibre dans cette solitude et dans cet univers. 

Comment avez-vous écrit l’adaptation ? 

Lorsque j’ai voulu adapter son roman, Martin Page a souhaité me rencontrer. Il m’a juste dit : « Sens-toi libre » ! Il ne voulait pas d’une adaptation littérale. Nous avons écrit le scénario à trois, avec Guillaume Lemans et Jérémie Guez. Une des grandes qualités de Guillaume Lemans est sa maîtrise dans l’invention d’une tension dramatique. Et nous n’avons eu cesse de préserver cette tension jusqu’aux dernières étapes de la post-production. On s’est très sérieusement posé la question d’en faire un film muet, en tout cas sans dialogues. Le silence, le rapport au son étaient des éléments qui m’intéressaient beaucoup et c’était un sujet permanent de nos discussions, le son est au coeur de tout. Dans le roman, le héros est écrivain ; dans le film Sam est musicien. 

Une deuxième étape très importante du développement fut marquée par une résidence d’écriture au TorinoFilmLab, où je suis allé avec ma productrice Carole Scotta. Des réalisateurs venus du monde entier échangent sur leur projet, tous en développement, et ces discussions collectives participent d’une démarche artistique qui s’est avérée très fructueuse. 

Mais j’avoue que c’est la rencontre avec Anders qui a été déterminante dans l’écriture. L’idée était de faire du « sur-mesure ». J’ai par exemple volontairement intégré des éléments de sa vie personnelle dans le script, pour qu’il se sente plus proche du personnage de Sam. Anders a fait le conservatoire en percussions, d’où la batterie, et certaines des cassettes que l’on entend sont des enregistrements de lui enfant. 

Comment décririez-vous cette dimension plus intime et personnelle du film ? 

Dans une large mesure, c’est un film mental. On est dans la vision du personnage principal : au fond de lui, il tient les gens pour des monstres. Ce qui se produit est donc cohérent avec sa vision du monde. Je voulais me placer à ce croisement entre un sentiment très intime, auquel beaucoup d’entre nous peuvent s’identifier, et sa représentation surnaturelle par le cinéma de genre. 

Ce sentiment de solitude est très répandu, comme une maladie moderne que beaucoup de gens partagent, et j’ai le sentiment qu’Anders est proche de ce ressenti. 

Les gens s’isolent de plus en plus et en même temps s’en veulent de le faire, se sentent coupables de rejeter l’autre. C’est comme s’il fallait sans cesse lutter contre soi-même, contre cette personne qui déteste les autres. 

C’est un premier long métrage, un film de genre en plein Paris… 

Réaliser un film, particulièrement un premier film, c’est aussi un premier pas, une tentative de s’ouvrir aux autres. Le mouvement du film dessine cette trajectoire, où un homme renfermé sur lui-même est conduit à s’ouvrir à l’autre. On peut y voir toutes sortes de métaphores. De nombreux éléments dans le film relient Sam à son enfance et à sa difficulté à se construire en tant qu’adulte. 

J’aime le minimalisme, l’austérité dans la mise en scène, les personnages uniques, les situations épurées, les scènes qui vont à l’essentiel. L’histoire se déroule dans Paris, dans un immeuble haussmannien. J’ai toujours été fasciné par les grandes villes et en particulier par le paradoxe qui fait coexister la densité urbaine et l’incroyable solitude des gens qui vivent dans les mégalopoles. Chaque individu évolue dans sa propre bulle, dans son univers, dans son île déserte, au milieu de la masse grouillante des « autres ». La vie de Sam change-t-elle réellement lorsque les gens autour de lui sont transformés en monstres ? 

La logique propre au cinéma de genre et aux films de zombies impose comme principe de transformer d’autres êtres humains en monstres... Et pour moi, l’idée de l’isolement sur laquelle je voulais travailler s’incarnait parfaitement dans cette convention. 

Ce qui m’intéressait alors, c’était de centrer le film sur Sam plutôt que sur ces monstres. 

Pour une large part, le film repose sur votre travail et votre confrontation avec l’acteur et personnage principal : Anders Danielsen Lie. 

Dès l’origine, je souhaitais faire un film axé sur un seul personnage, peut-être même un film où un personnage serait seul. Je voulais filmer la trajectoire d’un homme, son évolution, en le suivant à chaque plan. Le travail avec Anders a été essentiel et la relation acteur-cinéaste, déterminante. Notre confrontation, notre tête-à-tête, ont fini par produire quelque chose auquel je tiens beaucoup. 

Et c’est également un véritable challenge pour un acteur, de la transformation physique totale aux contrastes émotionnels forts qu’il traverse. L’histoire se déroule sur une année, on perçoit la temporalité et l’impact des évènements sur la métamorphose de son corps et sa personnalité. 

En outre, nous avons tourné deux versions du film, l’une en anglais, l’autre en français. Cette double version impliquait de tourner chaque plan deux fois, deux films chacun avec ses spécificités, et finalement les deux versions sont assez différentes, car la langue a permis aux acteurs de créer des personnages subtilement différents. 

Le genre « zombies » n’appartient pas qu’au cinéma. C’est aussi une référence importante de la culture des jeux vidéo, à laquelle le film semble parfois faire écho. 

Le jeu vidéo est en moi et fait partie de ma culture, mais ce n’est pas du tout le cas pour les deux autres scénaristes, et si le film vous a fait penser à certains jeux, c’est largement inconscient de ma part. Je ne souhaitais pas réaliser un film d’horreur qui cherche à faire peur. Les scènes où l’on voit des cohortes de zombies en extérieur respectent les codes du genre sans vouloir impressionner. Si j’avais voulu cela, j’aurais filmé de nuit, en close-up, avec la caméra au sol, par exemple, pour produire beaucoup d’effets avec peu de moyens. J’ai choisi le contraire : des plans larges, de jour, qui sont en fait totalement anti-dramatiques, qui désamorcent la tension. 

C’est aussi une forme de parti-pris « réaliste » dans un registre réputé surnaturel... 

Le réalisme tient au fait que, du point de vue du spectateur, les zombies sont considérés comme réels. Ils vont à l’encontre d’un cauchemar gore, ils sont plutôt le signe de ce que ressent le personnage principal. Ils orientent le spectateur vers un sentiment intime, un peu comme dans la série Les Revenants de Fabrice Gobert dont le ton est incroyable de justesse. La tension est dans les esprits, pas dans la violence ou les effets des images. La quasi-absence d’effets spéciaux donne un réalisme et une forme d’intemporalité. 

La Nuit a dévoré le monde suit un personnage, son évolution dans un milieu hostile, sa manière de recréer un quotidien, une normalité, comme si on pouvait toujours s’adapter à tout, même au plus effroyable. Une guerre psychologique démarre, un compte à rebours, avec à la clef la question suivante : peut-on vivre seul au monde indéfiniment ? 

Propos recueillis par Olivier Séguret. 

Un film produit par HAUT ET COURT avec la participation de CANAL +, CINÉ +, WTFILMS,  HAUT ET COURT DISTRIBUTION, avec le soutien du CNC – NOUVELLES TECHNOLOGIES EN PRODUCTION et de la SACEM, en association avec SOFITVCINE 4, COFINOVA 13, INDÉFILMS 5 

Développé avec le soutien de COFINOVA DÉVELOPPEMENT, LA PROCIREP, TORINO FILM LAB, IFP, FRONTIÈRES 

©2017 Haut et Court

  
#LaNuitADévoréLeMonde

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