lundi 14 septembre 2015

Back to the future


Biopic/Entre parties d'échecs et enjeux politiques, un film intéressant

Réalisé par Edward Zwick
Avec Tobey Maguire, Liev Schreiber, Michael Stuhlbarg, Peter Sarsgaard, Lily Rabe, Robin Weigert, Sophie Nélisse...

Long-métrage Américain
Titre original : Pawn Sacrifice
Durée: 01h54mn
Distributeur: Metropolitan FilmExport 

Date de sortie sur les écrans américains : 16 septembre 2015
Date de sortie sur nos écrans : 16 septembre 2015


Résumé : L’histoire de Bobby Fischer, le prodige américain des échecs, qui à l’apogée de la guerre froide se retrouve pris entre le feu des deux superpuissances en défiant l’Empire Soviétique lors du match du siècle contre Boris Spassky. Son obsession de vaincre les Russes va peu à peu se transformer en une terrifiante lutte entre le génie et la folie de cet homme complexe qui n’a jamais cessé de fasciner le monde.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : J'ai eu la chance de découvrir LE PRODIGE le week-end dernier lors du 41ème Festival du Film Américain de Deauville. Le biopic est un genre difficile car lorsqu'on s'inspire d'une histoire vraie, il faut remplir les moments moins prenants de la vie de la personne à laquelle on s'intéresse. Il se trouve que Bobby Fischer a vécu à une période de l'Histoire des Etats-Unis très tendue et pleine de rebondissements. Donc Edward Zwick, le réalisateur, n'hésite pas à intelligemment réintégrer les prouesses aux échecs de Bobby Fischer dans l'actualité politique de l'époque. Tout se mêle pour à la fois nous mettre dans le contexte de cette période et nous faire comprendre comment sa folie a trouvé matière dans laquelle évoluer.
La façon dont le réalisateur nous conte cette histoire est très claire. Le film se suit facilement, il est agréable à regarder. Pendant tout le scénario, la partie finale se met en place. Chaque élément est comme une pièce de l'échiquier. Une tension se créée tout au long de l'intrigue pour savoir si Bobby pourra être à la hauteur du défi final.
J'ai beaucoup aimé l'interprétation de Tobey Maguire dans le rôle de Bobby Fischer. Bobby a une personnalité complexe. Il ne ressort pas comme quelqu'un de sympathique mais il est touchant dans sa souffrance et il est impressionnant face à un échiquier. Et tout cela, Tobey Maguire nous le transmet parfaitement bien dans son jeu.



Face à lui, Liev Schreiber qui interprète Boris Spassky est impeccable. Plus mûr et a priori plus stoïque, il réussit à construire son personnage en peu de scènes et à nous montrer une partie de la complexité de la personnalité de Boris.



Dans l'entourage de Bobby, il y a deux protagonistes marquants.
Paul Marshall, interprété par Michael Stuhlbarg, un avocat en charge de faire jouer Bobby à tout prix et que ce dernier adore faire tourner en bourrique.


Et le père Bill Lombardy, interprété par Peter Sarsgaard dont j'ai beaucoup aimé le jeu à la fois cool et direct. Ce prêtre représente une figure rassurante pour Bobby, c'est une des rares personnes en qui il a confiance.


Certes, on peut reprocher quelques longueurs au film car les scènes autour de la folie de Bobby donne parfois une impression de répétition, mais dans l'ensemble, je l'ai trouvé bien construit et bien pensé. Il retranscrit de manière crédible l'ambiance d'une époque particulière. LE PRODIGE est un biopic intéressant qui réussit à nous faire revivre de manière intense une partie d'échecs historique. Et peu importe que les échecs vous intéressent ou pas, vous vous laisserez prendre au jeu.


NOTES DE PRODUCTION
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

L’année 1972 a été le théâtre d’événements mémorables à travers le monde, comme le désengagement progressif des Américains au Viêt Nam, les négociations sur la limitation des armements stratégiques signés par les États-Unis et l’Union soviétique (les accords SALT), l’attaque terroriste menée contre les athlètes israéliens lors des Jeux Olympiques de Munich, le début du scandale du Watergate avec le cambriolage du siège du parti démocrate, sans oublier le voyage de Nixon en République populaire de Chine marquant le début des relations sino-américaines. Pourtant, c’est un événement d’une toute autre nature qui fait la une des titres cet été-là. En Islande, le plus grand joueur d’échecs américain, Bobby Fischer, affronte le tenant du titre, le champion soviétique Boris Spassky, au cours d’une série de matchs qui tient le monde en haleine. 

"C’est ce qui semblait le plus important à l’époque alors qu’il se passait plein d’autres événements incroyables dans le monde", déclare la productrice Gail Katz. "Je me souviens que chaque soir le journal [télévisé] donnait la priorité à qui s’était passé ce jour-là à Reykjavik". 

Partout dans le monde, les gens se sont passionnés pour cet intense affrontement entre deux maîtres d’échecs lors du fameux "match du siècle". Les joueurs d’Europe de l’Est dominaient alors la scène internationale et Bobby Fischer est devenu sans le vouloir un symbole de la guerre froide, cette course à l'hégémonie entre les États-Unis et l’Union soviétique. LE PRODIGE raconte la trajectoire de Bobby Fischer pour remporter le championnat du monde d’échecs, et le prix qu’il a dû payer pour cette victoire. 

"Cela ne s’est jamais reproduit depuis", note Gail Katz. "Nous avions tous conscience qu’il n’y avait jamais eu de champion du monde américain, et voilà que débarque de Brooklyn ce jeune parvenu impertinent et il devient une rock star. Il était le parfait héros américain de l’époque et la réputation qu’il avait d’être difficile ne faisait qu’ajouter à son aura". 

Après la Seconde Guerre mondiale, les tensions entre les deux super puissances ont atteint leur comble et se sont focalisées dans différents domaines, explique-t-elle : "Il y avait la course pour la conquête de l’espace, le Vietnam, la crise des missiles de Cuba, puis, en 1972, de manière complètement improbable, la compétition s’est concentrée sur un échiquier. Le match est devenu une bataille symbolique visant à montrer la supériorité d’un système de gouvernement sur l’autre. Jouer aux échecs est un passe-temps de tradition russe et les soviétiques remportaient souvent le titre mondial. Les États-Unis n’avaient jamais été champions du monde et nos dirigeants d’alors ont pensé qu’avec Bobby, il y avait finalement une chance. Henry Kissinger, à l’époque conseiller à la Défense nationale, lui a même téléphoné afin de le convaincre de disputer ce match. Au vu de l’importance historique des événements et de la mystique qui entoure Bobby, il m’a semblé qu’il y avait là un sujet parfait pour un film. Plus je me plongeais dans les détails incroyables de ce match et plus l’histoire devenait intéressante". 

La productrice a présenté son projet à Tobey Maguire qui a été tout de suite intéressé. Après quelques recherches, il a non seulement accepté de jouer Fischer mais aussi de produire le film. Gail Katz et lui ont donc commencé à développer le script ensemble et Maguire a proposé de l’aborder comme le récit classique d’une compétition sportive : "Je suis fasciné par les personnalités complexes et Bobby était tout sauf quelqu’un de facile", explique-t-il. "On le voit se prendre de passion pour le jeu, parvenir au sommet à un très jeune âge et se hisser jusqu’au championnat du monde. Il y avait là de quoi réaliser une fascinante étude de caractère". 

Gail Katz et Maguire ont ensuite contacté le scénariste britannique réputé Steven Knight (LES PROMESSES DE L’OMBRE, la série PEAKY BLINDERS) : "Il a écrit un scénario qui nous a complètement estomaqués", commente Gail Katz. "On y trouvait l’équilibre idéal entre les méandres politiques de la guerre froide et un drame intime passionnant". 

Ce dernier se souvient du véritable match et du battage médiatique qu'il a suscité : "Ça a fait un sacré tapage à l’époque", dit-il. "C’était l’un des premiers événements médiatisés qui ait un retentissement vraiment mondial. L’affaire Bobby Fischer a tellement de facettes qu’il fallait cependant choisir ce qu’on allait raconter. Il ne s’agit pas seulement d’un biopic mais d’une histoire dominée par un personnage. Il fallait en faire un portrait juste pour que le film le soit aussi". 

Le titre (PAWN SACRIFICE en anglais) renvoie, souligne Knight, à la manoeuvre classique aux échecs qui consiste à sacrifier son pion, tactique qui lui rappelait Bobby Fischer : "Parfois, un joueur sacrifie son pion dans l’intérêt supérieur du jeu, et d’une certaine façon, c’est ce que Bobby a représenté au cours de ce tournoi : il a été un pion au cours d’une partie d’une immense importance, sacrifié par les puissances internationales. C’était quelqu’un de très instable émotionnellement, et s’il avait été soigné il aurait certainement été plus heureux mais il n’aurait probablement pas pu gagner le championnat du monde d’échecs", commente-t-il. 

Au cours de ses recherches, Knight a beaucoup lu sur Fischer et le fameux "match du siècle" et s’est entretenu avec des personnes l’ayant connu : "Les enregistrements de ses interviews ont été le matériau le plus utile", explique le scénariste. "Bobby se comportait et s’exprimait d’une manière étrange et le voir sur les images d'archives a été d’une aide précieuse. Si on le voyait marcher dans la rue, on pouvait se demander qui était cette personne à l’allure curieuse. Il aurait pu finir sans abri mais il était tellement doué pour les échecs que ça l’a sauvé et maudit à la fois". 

Tobey Maguire et Gail Katz ont fait appel au producteur et réalisateur oscarisé Edward Zwick pour prendre les rênes du film : "Beaucoup de réalisateurs étaient intéressés ; nous savions qu’Ed avait tourné des films historiques d’une grande authenticité qui avaient été également des succès commerciaux. Il sait réaliser des films passionnants et fidèles à la réalité″, explique la productrice. 

Zwick et Maguire ont poursuivi le développement du projet et ont collaboré étroitement pour peaufiner les idées de Knight : "J’adore travailler avec Ed", précise Maguire. "Nous avons pu conjuguer nos idées à propos de ce film et nous avons vraiment formé une bonne équipe". 

"Tobey a été très impliqué dans l’élaboration du film", ajoute Knight. "Il avait des opinions très tranchées, ce qui a contribué à une collaboration très fructueuse. Nous avons confronté nos idées dans un sens très positif. J’ai travaillé avec de grands acteurs et je sais qu’ils ont beaucoup à nous apporter, et si on n’est pas leur écoute, c’est souvent à nos dépens". 

Le script de Knight reprenait des thèmes que Zwick a explorés tout au long de sa carrière tout en en ajoutant de nouveaux : "Le moment de la confrontation politique entre l’Est et l’Ouest est un phénomène d'une grande richesse sur le plan dramaturgique", dit-il. "L'histoire de ce gamin de Brooklyn qui se mesure au grand ours soviétique est irrésistible et ce, à bien des niveaux. Et puis, le film traite aussi de l’étrange – et parfois inévitable – proximité entre le génie et la folie". 

Zwick a tout de suite adhéré à la métaphore sportive que Maguire et Knight avaient filée tout au long du scénario. "Ce gosse venu de nulle part arrive à se hisser jusqu’au championnat du monde. C’est propre au cinéma de genre, sauf qu'un échiquier tient lieu d'arène. Steve met très justement cette métaphore en place dès le début du film et la suit d’une manière très intéressante", déclare Zwick. 

Le film évoque aussi les nombreux obstacles qu’a dû franchir au cours de sa carrière le grand maître au caractère difficile pour pouvoir enfin affronter Spassky. La domination des Russes dans la compétition tenait en grande partie au fait que leur gouvernement sponsorisait l’entraînement des joueurs. Mais Fischer croyait fermement que les résultats étaient faussés dans le but d’écarter les joueurs occidentaux – à commencer par lui – des plus hauts niveaux de la compétition. "Les Russes se mesuraient les uns contre les autres au cours des tournois et se débrouillaient ainsi pour jouer contre d’autres Russes lors des finales", explique Gail Katz. "Bobby n’aurait jamais pu remporter le nombre de tournois requis pour participer au championnat du monde. Il a d’ailleurs écrit un article, publié dans Sport Illustrated, dans lequel il traite les Russes ni plus ni moins de tricheurs". 

Ce fut un tournant dans l’histoire des échecs. La fédération a été obligée de modifier les règles : "Bobby se battait pour de meilleures conditions de jeu et une meilleure rétribution des tournois, car il estimait qu’il le méritait", ajoute le réalisateur. "Il estimait que les échecs était traités comme un parent mal-aimé. Mais alors que la confrontation avec Spassky se rapprochait, il a provoqué de si nombreux problèmes que la rencontre elle-même a failli capoter. On pourrait penser qu’en résistant à cette dernière confrontation avec Spassky, il résistait en quelque sort à l’accomplissement de sa destinée". 

Tandis que Fischer s'apprêtait à remporter le plus grand prix au monde, il était déjà en train de sombrer dans la folie. ″Le public sait ce qui est arrivé à Bobby. C’est ce qui donne un ton doux-amer et mélancolique à sa victoire. Et pourtant, pendant ce moment hors du temps, il est capable d’accomplir tout ce qu’il a toujours rêvé de faire. C’est une histoire vraiment édifiante″, explique Zwick. 

Zwick souligne également que la paranoïa galopante de Bobby, bien que très perturbante, n’était pas totalement infondée. "La mère de Bobby était communiste et le FBI possédait sur elle un dossier de plus de mille pages. Enfant, il était sous surveillance, et adolescent, comme il se rendait dans les pays de l’Est pour jouer aux échecs, ses faits et gestes étaient d’autant plus examinés à la loupe par le FBI. Mais il n’était pas le seul à vivre avec la peur. Boris Spassky, le champion communiste, était lui aussi prisonnier de ses propres succès. Ses angoisses, liées au fait d'incarne l'affrontement de la guerre froide à travers les échecs, renvoient tout à fait à celles de Fischer. La virtuosité du script de Steve permet de les exposer parallèlement, tandis qu’ils se lancent dans la compétition et se font écho l’un l’autre comme dans une mise en abîme″. 

Selon le réalisateur, l'ascension et la chute de Bobby Fischer, rendus publics avec fracas, n’était qu’un des signes avant-coureurs : "C’était le début de l’âge d’or des médias. Durant une période de trois-quatre mois en 1972, il a peut-être été la personne la plus célèbre au monde. D’une certaine manière, il est un des premiers héros punk : c’était quelqu’un de difficile et d'arrogant, et qui se fichait pas mal de ce que les autres pensaient. Il a pu se comporter ainsi ça car il était extrêmement doué pour ce qu’il faisait″. 

Malheureusement, au bout de quelques années seulement, Fischer se retrouva quasiment à la rue. Il ne sortit qu’une seule fois de son isolement, vingt ans plus tard, à l’occasion d’un match de revanche public très médiatisé contre Spassky : l’événement eut lieu en République fédérale de Yougoslavie en 1992, malgré les menaces du gouvernement américain qui prit des sanctions contre le pays. Fischer affronta de nouveau Spassky et remporta encore une fois ce match non autorisé par la fédération internationale des échecs. Après 15 parties, Fischer battit son adversaire de longue date, prouvant de nouveau sa supériorité sans parvenir tout à fait à retrouver sa gloire d’antan. Comme il avait défié le gouvernement fédéral, celui-ci porta plainte contre lui. Fischer, pourtant Américain de confession juive, fustigea alors violemment le gouvernement américain, Israël, le KGB, les médias et l’armée et tint des propos violemment antisémites. Il fut ensuite pendant longtemps exilé politique, finissant par s’installer en Islande, pays où il avait connu son plus grand triomphe et le seul à lui offrir l’hospitalité. 

"LE PRODIGE dresse le portrait d’une personnalité complexe qui se hisse au rang de héros national de l’Amérique avant d’en devenir un paria", commente Gail Katz, qui espère que le film permettra au public de mieux cerner cette époque fascinante où un événement aussi simple qu’un tournoi d’échecs pouvait avoir une signification politique de la plus haute importance. 

DANS LA PEAU DE BOBBY FISCHER 

Le scénario richement documenté et profondément humain de Steven Knight entraîne le public dans le sillage du jeune Bobby Fischer, retraçant son talent et son instabilité jusqu’à son enfance peu orthodoxe. "Bobby a toujours été un gamin étrange", explique-t-il. "Et puis, à l’âge de 7 ans, il est devenu tout à coup très bon aux échecs. Il était remarquable, un vrai prodige. Ce don incroyable l’a façonné. Quand les gens ont pris conscience qu’il pouvait être un joueur de haut niveau, cet être des plus fragiles s'est retrouvé à porter sur ses épaules tout le poids des enjeux les plus importants de l'époque. Le fait qu’il ait participé et gagné est l’un des événements les plus marquants du XXe siècle″. 

Fischer a eu une enfance nomade, déménageant au moins une dizaine de fois avant l’âge de 6 ans. Élevé par Regina, mère célibataire, il n’a jamais su qui était son père. Militante politique engagée dans les causes progressistes et membre du parti communiste, Regina a eu du mal à joindre les deux bouts pour élever Bobby et sa soeur. Pour cet enfant trop souvent livré à lui-même, les échecs ont été une planche de salut et l’obsession d’une vie. 

"Ces circonstances ont vraiment contribué à dessiner les contours de sa personnalité", explique Maguire. "Pendant son enfance solitaire, il a pris confiance en lui en jouant de façon obsessionnelle aux échecs. Pour lui, les échecs représentent la quête de la vérité. Il savait qu’il était assez bon et il participait à des compétitions de très haut niveau. Mais ce n’était pas inné chez lui : il avait certes une aptitude mais il est arrivé là en grande partie grâce à son travail acharné". 

Pour Knight, le fait de savoir que Maguire allait camper Bobby lui a permis de lui tailler un rôle sur mesure : "Tobey a incarné Bobby dès le départ", explique le réalisateur. "Ça m’aide vraiment de savoir qui va jouer le personnage principal. J’ai cette théorie que quand on voit un film, ce sont les yeux de l’acteur principal qu'il faut regarder en priorité. Le regard de Tobey possède cette intensité que l’on décèle chez Fischer. Tobey est un acteur extraordinaire : il a été capable de se plonger dans les excentricités et bizarreries qui font partie du personnage d’une manière unique. Il a vraiment livré une interprétation extraordinaire". 

D’autant plus que selon Gail Katz, Maguire et Fischer partagent d’autres caractéristiques : "Tobey est un acteur fantastique", ajoute-t-elle. "Ce rôle est complètement différent de tout ce qu’il a pu faire auparavant. Le public va être très surpris. Il parle comme Bobby et se déplace comme lui. C’est un rôle difficile et nous avons de la chance que ce soit Tobey qui l’incarne. D’une certaine manière, les problèmes existentiels de Bobby en font son plus grand ennemi. On se demande s'il va réussir à canaliser ses problèmes assez longtemps pour battre Boris Spassky". 

Le Bobby de Tobey Maguire est peut-être une machine à jouer aux échecs, mais il est fragile et intimement blessé : il est tout autant obsédé par l’envie de battre l’hégémonie soviétique que par l’idée de gagner le championnat du monde. "Je suis certain que Bobby a ressenti une pression extrême", commente l’acteur. "Il a forcément dû ressentir le poids de la célébrité, qui comporte son lot de défis. Pendant des années, il a joué aux échecs 10 à 12 heures par jours. Il devait être angoissé par l’issue du match même s’il faisait preuve d’une grande assurance lors de ses déclarations publiques". 

Si Fischer n’était pas la personne idéale pour représenter les États-Unis, Boris Spassky n’était pas mieux loti pour camper l’Union soviétique. Spassky, qui n’avait jamais été membre du Parti Communiste, semblait avoir, selon certains, un goût trop marqué pour le luxe de l'Occident. "On craignait toujours qu’il passe à l’Ouest", explique Gail Katz. "Tous deux étaient des figures d’exception, imprévisibles et difficiles à gérer. C’était une confrontation fascinante." 

Gail Katz a tout de suite pensé à Liev Schreiber pour interpréter ce personnage: "On a eu une chance folle qu’il accepte. Il est le sosie de Spassky et apporte beaucoup de profondeur à ce rôle. Boris était en fait un type assez sympathique et on le perçoit grâce à Liev. E pourtant, on veut quand même que Bobby le batte au cours du tournoi". 

Spassky était alors au faîte d’une carrière aux succès éclatants dans l’ex-Union soviétique. ″Mais il s’est toujours attendu à ce que Bobby vienne le chercher″, explique Schreiber. ″Pour lui, Fischer est quelqu’un avec qui il faut compter, cela ne fait aucun doute. Lors de la scène finale d’anthologie en Islande, la tension entre eux est à son comble et palpable. Boris aurait pu gagner au moment où Bobby déclare forfait, mais il choisit de jouer aux conditions de Bobby et suite à ça, les choses ne se passent pas bien pour lui. Il a dû faire face à bon nombre de stratagèmes, ce qui s'est avéré frustrant pour Boris. Au cours d’une partie, Bobby le bat d’une manière si belle et originale que Boris se met à l’applaudir. Il ne peut s’en empêcher, il est sous le charme de la dextérité de son rival. Le vieux maître s'effondre et le jeune maître est couronné : ça se passe comme dans un film de Kung-fu″. Schreiber avoue être devenu fan de Spassky lorsqu’il était enfant parce que sa mère l’admirait. "Elle pensait qu’il avait vraiment beaucoup d’allure et elle avait été impressionnée qu’il applaudisse Fischer. Boris adorait vraiment les échecs, et c’est pourquoi il était capable de saluer son adversaire pour avoir joué brillamment", raconte-t-il. 

Zwick avait déjà collaboré avec Liev Schreiber dans LES INSURGÉS, film d’action dramatique situé pendant le Seconde Guerre mondiale : "Je savais à quel point il pouvait être fantastique. C’est exactement ce qu’il nous fallait : il est important que l’antagoniste soit tout aussi fort que le protagoniste. Se battre contre son égal a intensifié les enjeux tant pour Liev que pour Tobey", ajoute-t-il. 

Pour jouer Spassky, Schreiber a dû jouer toutes ses scènes en russe, langue qu’il ne parle pas. "Il a été extraordinaire", explique Zwick. "Il a travaillé avec un professeur russe pour apprendre ses répliques et il était si bon que les russophones sur le plateau en étaient bouche bée". 

"Le russe m’a plus intimidé que les échecs", admet l’acteur. "J'imagine qu’Ed s’était mis en tête que je le parlais couramment en raison de ma prestation dans LES INSURGÉS. Jouer dans une autre langue est très déconcertant et il a été difficile de ne pas penser comme un Américain". 

"Ed est un type brillant et un fin stratège", poursuit-il. "Il a beaucoup de talent pour l’action et il a même trouvé le moyen de la mettre en scène à l'échelle d'un échiquier". 

Schreiber ajoute qu’il était impossible de raconter l’histoire de Bobby Fischer sans expliquer son passé : "Nous espérons que le film donne un aperçu de ce qui s’est passé dans ces deux grands esprits. Je suis curieux de savoir ce qui motivait quelqu’un comme Bobby. Un de ses mentors a dit, 'Imagine que tu t’habitues à penser 150 mouvements à l’avance et que ce processus cognitif se transmette jusque dans ta vie quotidienne. Tu serais peut-être aussi un peu paranoïaque'. Je pense que c’est ce que nous recherchons ici. Il y a un équilibre délicat entre le génie et la folie, c’est un terrain très intéressant et fertile pour un film". 

Tandis que Spassky bénéficie de toutes les ressources fournies par l’URSS, Bobby ne compte que sur une équipe réduite de deux personnes : son second, le Père Bill Lombardy, joué par Peter Sarsgaard, et Paul Marschall, son manager et avocat, incarné par Michael Stuhlbarg. 

"Lombardy était un prêtre joueur d’échecs, l’un des meilleurs en Occident à l'époque", explique Knight. "Il avait aussi été souvent battu par des joueurs de l’Est. Sa dignité et sa compassion sont vraiment évidentes tout au long du film. Il était très préoccupé par la santé mentale de Bobby et était pour lui un véritable ami. Il a été probablement l’un des premiers à comprendre que Bobby était en train de réinventer les échecs. Pour lui, quoi qu’il arrive, cela en valait la peine, ne serait-ce que pour la beauté du jeu". 

"Nous avons eu beaucoup de chance que Peter Sarsgaard accepte ce rôle", explique Zwick. "Lombardy collabore avec Marshall mais ils rentrent également dans un rapport de rivalité pour sauver l’âme de Bobby. Quand on a des acteurs comme Peter, Tobey et Michael qui jouent ensemble, la part d'imprévu est très importante" 

Avant l’ère des ordinateurs capables d'analyser une partie d’échecs en quelques secondes, on ne pouvait s'entraîner que face à un autre joueur qui, de surcroît, devait être du plus haut niveau. ″Il s’agissait du second de Bobby″, explique Sarsgaard. ″C’est comme avoir un joueur d’entraînement. Mon personnage s'inspire librement du père Lombardy qui était le coach de Bobby quand il était enfant et son second en Islande. S’ils arrêtaient de jouer au milieu de la journée, ils retournaient ensemble à leur hôtel et rejouaient ensemble la partie pour étudier toutes les autres possibilités du jeu. Pour être le second de Bobby, il a dû mettre son ego dans sa poche même si les joueurs d’échecs ont en général un orgueil démesuré. Lombardy est un grand maître qui a dû accepter de rester dans l’ombre face à quelqu’un qu’il avait battu auparavant. Il essaie de ne pas être envieux et il a du mal à y parvenir. C’est une belle épreuve pour ce personnage″. 

Sarsgaard joue aux échecs depuis qu’il a 13 ans. "Le match avec Spassky est en partie ce qui m’a intéressé aux échecs. J’ai toujours été fasciné par Bobby Fischer. Son don pour les échecs tenait du divin et pour mon personnage, il s'agissait de préserver ce talent autant que si ç’avait été son âme", analyse l’acteur. 

Selon Maguire, le fait que l’acteur joue lui-même aux échecs et éprouve de la compassion pour Fischer ont grandement contribué à façonner son personnage: "C’est quelqu’un de stoïque mais qui a également un petit côté voyou. Lombardy est lié à Bobby d’une autre façon car ils sont tous deux joueurs. Peter a su trouver une façon authentique et sincère de restituer cette dimension du personnage ″. 

Sarsgaard était ravi que les auteurs du film ne cherchent pas à tout prix à brosser un portrait sympathique de Fischer : "Il s’agit plus de la nature de l’inspiration et du génie", explique-t-il. "Bobby est presque un singe savant. Tobey apporte cette dimension au personnage avec une facilité déconcertante. C’est un peu un farceur". 

De son côté, Marshall est présent pour gérer les soucis continuels de Bobby concernant les conditions matérielles des tournois et ses revendications financières : ″Il est là pour aider Bobby à négocier ses conditions de jeu lors des tournois″, souligne Maguire. ″Il s'inspire de plusieurs personnages, l’un d’entre eux étant le vrai Paul Marshall, qui entre en scène peu de temps avant le championnat du monde. Il voulait faire partie de cette compétition mondiale. Pour un fan d’échecs, c’était comme être sur le banc de touche des Yankees pendant le World Series [Championnat de base-ball, NdT]″. 

La raison pour laquelle Marshall s’est impliqué dans la carrière de Bobby reste peu évidente, commente Zwick. "Dans notre film, c’est un manipulateur-né et en même temps un idéologue aux nobles motivations", déclare le réalisateur. "On se demande encore aujourd’hui s’il travaillait ou pas pour la CIA. D’un côté, il a été inspiré par son goût des échecs et le désir d’aider Bobby à gagner. De l’autre, il avait une idée derrière la tête". 

Sarsgaard voit Marshall comme un intrigant aux motivations obscures : "Cela fait de lui l’un des personnages les plus intéressants du film. Ma mission est d'être au service du génie, celle de Fischer est de gagner – alors que fait-il là ? Michael Stuhlbag possède une vraie gentillesse, mais qu'est-ce que ce type cherche vraiment ?″ 

Stuhlbarg a mené une brillante carrière depuis plus de vingt ans tant au cinéma qu’au théâtre mais il est sans doute plus connu pour avoir campé le personnage principal de A SERIOUS MAN de Joel et Ethan Coen. "Michael est un acteur de talent qui apporte beaucoup d’humour à son personnage", explique Katz. "Il se réinvente pour chacune de ses interprétations et il est vraiment unique dans ce film". 

L’acteur a mené des recherches approfondies sur l’homme qui a inspiré son personnage : "J’ai appris qu’il possédait de multiples facettes et qu’il a mené une vie vraiment fascinante", raconte-t-il. "C’était un avocat accompli et une figure reconnue dans l’industrie de la musique. J’ai pu entrer en contact avec sa veuve, Bette Marshall. Elle a été une source continue d’anecdotes et de photographies, ce qui a été une aide précieuse. Je suis aussi tombé sur l’un des ses anciens associés, Stewart Seflin, qui m’a donné d’autres informations. Marshall semblait être quelqu’un qui avait le souci de faire ce qu’il pensait être juste". 

Quand Marshall rencontre Fischer pour la première fois, il n’en sait guère sur lui, si ce n'est qu'il est un grand maître des échecs. "Les gens qui rencontraient Bobby soit ne l’aimaient pas, soit avaient envie de s’occuper de lui. Je pense qu’au fond ce qui pousse Marshall à rester à ses côtés, c’est le fait de savoir que Bobby avait été négligé enfant. D'après ce que j’ai pu comprendre, il était devenu pour lui un substitut de figure paternelle", poursuit l’acteur. 

Stuhlbarg et Sarsgaard ont noué une très bonne relation au cours du tournage. "Peter est un acteur extraordinaire", relate Stuhlbarg. "C'était formidable de partager plusieurs scènes avec lui. Nous avions de vrais échanges. Sur le papier, ces deux personnages auraient pu être interchangeables mais une fois que nous avons été réunis, ce sont devenus deux personnages très différents". 

L’un des personnes les plus importantes dans la vie de Bobby Fischer a été sa demi-soeur Joan, incarnée par Lily Rabe. "Elle était la seule avec qui Bobby s’entendait. Elle est toujours restée proche de lui, même plus tard dans sa vie, et elle est la première à lui avoir appris à jouer aux échecs", ajoute Gail Katz. 

Joan avait acheté un jeu d’échecs dans le magasin de friandises de leur quartier et lui a appris à déplacer les pions et à jouer. "Quand Bobby est devenu très bon, il a joué jusqu’à pouvoir la battre, puis a retourné le plateau et s’est mis à gagner à partir de là", explique Maguire. "Lily est une actrice très sensible, et elle est excellente dans le rôle de Joan". 

"Lily a su parfaitement incarner Joan. Elle était comme une mère de substitution et a essayé de sauver Bobby. Lily témoigne d'une compassion qui rend leurs scènes ensemble extrêmement touchantes", renchérit Gail Katz. 

L’actrice raconte que plus elle en a appris sur la relation entre Joan et son frère, plus elle a apprécié son personnage : "Je suis devenue obsédée par elle et par toute la dynamique de cette famille. Il y a indéniablement un trait de génie en eux qui s’est manifesté de façon différente. Joan était en avance sur son temps car elle s’intéressait à l’agriculture biologique et de subsistance. Elle faisait pousser des pommiers au milieu de Manhattan, ce qui est une parfaite métaphore pour illustrer son rôle auprès de Bobby″. 

Quoi qu’il fasse, elle était fière de lui et elle l’a soutenu toute sa vie. "Mais ça a été très dur quand la situation a mal tourné. Elle a vu ce que le monde des échecs lui faisait endurer, et elle s’est demandé qui était là pour s’occuper de lui et le protéger. Elle savait qu’il possédait ce que tout le monde voulait mais elle se demandait qui était vraiment là pour celui qu’elle considérait comme un garçon adorable et fragile", commente Lily Rabe. 

L’actrice se déclare fan des films de Zwick. "J’ai vécu une expérience merveilleuse en travaillant avec Ed. C’est un conteur au talent extraordinaire. On s’investit émotionnellement dans ses films car il est réellement intéressé par les relations qui s’y nouent entre les personnages. Faire un film sur la vie de quelqu’un est forcément très large car il y a tant à couvrir en si peu de temps. Mais LE PRODIGE s'attache à un moment très spécifique et capital dans la vie de Bobby. J’ai l’impression de mieux comprendre ce qui lui est arrivé", souligne-t-elle. 

Regina, la mère trop souvent absente de Bobby, est jouée par Robin Weigert avec une empathie et une compréhension surprenantes : "Robin est formidable dans cette interprétation courageuse et audacieuse", explique Zwick. "Regina était une originale. Comme beaucoup de communistes américains dans les années 50, elle était inébranlable dans ses convictions. Elle était dogmatique, passionnée et inconsciemment violente avec ses enfants. Elle croyait que la lutte finale était plus importante que tout. Il fallait une actrice courageuse pour oser jouer cela". 

Selon Knight, on peut noter une grande ironie dans la relation qu’entretenait Bobby avec sa mère : "Regina était une fervente communiste et avait vraiment foi en l’URSS. Et elle a conçu ce garçon qui contribue à ébranler sa puissance. Bobby lui en voulait beaucoup de se retrouver livré à lui-même à 15-16 ans et en même temps, il tenait à l’impressionner. L'intime et le politique étaient étroitement liés. Il a obtenu sa revanche sur sa mère en prenant sa revanche contre l’Union soviétique". 

Regina Fischer était indéniablement une personne brillante et extrêmement ambitieuse. Elle voulait être médecin mais a choisi de finir première de sa promotion à l’école d’infirmières. Elle parlait six langues couramment, avait étudié en Allemagne, en Russie et à Paris et n’a jamais cessé de se former. Son fils possédait son entêtement et sa détermination, ainsi que son évidente paranoïa. 

Il aurait été facile de dépeindre Regina comme une excentrique, une femme perturbée ou tout simplement égoïste, explique Robin Weigert : "Je l’ai plutôt perçue comme une rescapée. Elle a beaucoup passé de temps à fuir dans sa vie et a été livrée à elle-même dès l’âge de cinq ans. Elle a vécu dans l’Allemagne nazie, et en URSS sous Staline. Imaginez ce que c’est que d’essayer de faire sa vie dans ces circonstances : dès qu’elle trouvait un travail, ses collègues étaient interrogés à cause de son appartenance au Parti Communiste à l'époque du maccarthysme", confie-t-elle. 

L’actrice a été touchée par l’histoire des Fischer pour d’autres raisons : "Mon père était psychanalyste et a étudié la créativité et le génie. Il s'intéressait aux grands de ce monde et Bobby Fischer en faisait partie selon lui ; on peut donc dire que je m’intéressais déjà à lui. Regina, elle, me rappelle ma grand-mère. Elle était en avance sur son temps car elle était de celles qui ont fait passer leur carrière en premier. Explorer ce personnage m’a permis de retrouver certaines choses enfouies de mon enfance", raconte-t-elle. 

La comédienne admire la passion de Zwick pour le cinéma : "Il a besoin que ce soit visuellement parfait, mais aussi incarné et interprété le plus justement possible. Pour y arriver, il s’implique dans chaque aspect du tournage : l’écriture, la photographie, absolument tout. Son niveau de précision est vraiment impressionnant. Il n’est pas anodin que parmi les acteurs secondaires, il y en ait tant qui viennent du théâtre. Il savait qu’il lui fallait des acteurs de ce calibre". 

Même les deux jeunes acteurs engagés pour jouer Bobby jeune, Seamus Davey-Fitzpatrick et Aiden Lovekamp, ne sont pas novices au cinéma. "Ed a choisi de jeunes acteurs avec une expérience significative du grand écran afin qu’ils n’arrivent pas sans aucune connaissance technique", explique Robin Weigert. "Tous deux sont formidables. Aiden a joué une scène dans laquelle Bobby doit perdre pour la première fois de sa vie face à un grand maître. Ed a prévenu Aiden et sa mère qu’il allait utiliser certaines techniques pour déclencher chez le jeune homme le juste degré d’émotion. Quand il a commencé, c’était assez dur à regarder, mais après que la scène a été tournée, il a tapé sur l’épaule d’Ed et lui a soufflé : 'Merci de m’avoir permis d'y arriver'". 

AUTOUR DU MONDE AVEC BOBBY FISCHER 

Gail Katz et Tobey Maguire avaient conscience des risques qu’ils prenaient en choisissant de produire LE PRODIGE en dehors des circuits traditionnels hollywoodiens. "Ça a été parfois difficile mais très satisfaisant finalement", explique Gail Katz. "On a réussi, avec un très petit budget, à faire un film qui ressemble à celui d’un grand studio. Il couvre trois décennies, se déroule dans le monde entier et comprend beaucoup de scènes très fortes ainsi qu’une formidable distribution". 

Et de fait, l'équipe n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer l’authenticité de l'ensemble des décors. "Chaque détail a été passé au peigne fin", reprend la productrice. "Il a fallu faire de nombreuses recherches pour être certain que les événements de la vie de Bobby étaient dépeints avec justesse. Ed donne à tous ses films une grande envergure. Celui-ci traite d’une époque entière et d’une importante compétition internationale, pas seulement entre deux hommes, mais également entre deux nations. Il a réussi à faire en sorte que le film ait l’air d'avoir bénéficié de moyens plus importants que son budget réel". 

Zwick s’est entouré de fidèles collaborateurs comme l’assistant réalisateur Darin Rivetti et le chef-monteur Steven Rosenblum, ainsi que de nouveaux techniciens comme le directeur de la photographie Bradford Young, qui a notamment éclairé SELMA et A MOST VIOLENT YEAR. "Bradford a décroché le prix de la meilleure photographie de Sundance à deux reprises", explique Zwick. "Il est incroyablement doué et travaille de manière innovante, en expérimentant beaucoup. Je voulais que ce film ait une esthétique différente et ça a été vraiment passionnant de devoir sortir de mes habitudes de travail". 

Young était très enthousiaste à l’idée de collaborer à ce film qui est, selon lui, la plus importante production à laquelle il ait participé : "Ed est un réalisateur très généreux", explique Young. "Il donne beaucoup de liberté de création à ses collaborateurs. Au départ, nous avions les mêmes idées quant au rendu du film. C’est une époque intéressante qui débute au milieu du XXe siècle et se termine en 1972. Mais le scénario n’est pas un drame qui se déroule de façon linéaire : il comporte des enjeux psychologiques profonds et nous voulions que cela se traduise dans l’esthétique du film". 

Lorsque Young a rejoint l’équipe du film, la chef-décoratrice Isabelle Guay et la chef-costumière Renée April avaient déjà solidement préparé leur travail : "Leur signature est vraiment visible dans le film", dit-il. "Je me suis coulé dans le moule et j’ai suivi leurs traces, en me fiant à ce qu’elles avaient déjà conçu. Le milieu du XXe siècle est une époque très reconnaissable sur le plan architectural et mon travail a surtout consisté à éclairer les espaces, les visages et les corps. On a vraiment adopté les couleurs typiques des différentes époques et ancré les événements dans une ambiance générale teintée de bleu cyan". 

Zwick et Young ont également choisi de tourner en utilisant des formats représentatifs de différentes époques. "Nous avons tourné environ 80% du film en numérique mais nous avons également utilisé de la pellicule", explique Young. "Nous avons tourné en Super 16, en Bolex, en noir et blanc et en inversible [ou diapositive NdT]. Nous avons procédé ainsi pour restituer les différentes époques du film qui se déroule sur une longue durée. Nous nous sommes dit que nous serions plus proches de la réalité si nous nous servions des mêmes pellicules qu’à l’époque où le film est censé se dérouler″. 

Les producteurs ont décidé de tourner à Montréal pour camper les différents espaces du film situé aux quatre coins du monde, notamment Brooklyn, Santa Monica et Reykjavik : "Montréal possède une architecture des années 60 et 70 d’une richesse extraordinairement variée. L’université de Montréal a servi pour certains intérieurs islandais. Il y a aussi des quartiers entiers de 'brownstones', [immeubles en pierre de grès typiques, NdT] qui ressemblent beaucoup à ceux de Brooklyn et même un parc qui fait penser à Washington Square. Une fois qu’on avait Washington Square, on savait qu’on tenait le bon bout", détaille Zwick. 

Isabelle Guay a passé deux semaines entières à Montréal pour y effectuer des repérages. "Le plus difficile a été de faire passer Montréal pour Santa Monica. Il était important de trouver le bon immeuble, datant de la bonne époque, pour le faire passer pour l’hôtel Miramar où Bobby termine son premier match contre Spassky. Une fois le bâtiment déniché, nous avons pu ajouter ou ôter certains éléments, comme les palmiers géants que nous avons ramenés de Floride. Avec un peu d’images de synthèse en post production et le tour était joué". 

Il a quand même fallu que la production se rende en Islande et à Santa Monica pour tourner des plans extérieurs supplémentaires. "C’était absolument nécessaire", indique Zwick. "Ce sont deux endroits à l’allure unique. Même si nous avons reconstitué un motel à Montréal qui semble tout droit sorti de Santa Monica, il y a des scènes qui se déroulent sur la plage et c’est assez inimitable. Notre budget était très serré mais nous avons quand même pu instiller assez de réalité pour que l’ensemble soit convaincant". 

C’est grâce au talent du département artistique qu’Isabelle Guay a pu transformer Montréal : "Les recherches effectuées étaient impeccables", ajoute Gail Katz. "C’est le genre de film qui peut être un cauchemar pour les accessoires. Nous avions différents pions d’échecs, horloges, signalétiques et ces détails ont été minutieusement reconstitués. Comme on traverse plusieurs décennies et continents, il fallait vraiment prêter attention à tout cela". 

Un joli coup a consisté à retrouver un hôtel de Reykjavik dans lequel Fischer a séjourné en 1972. "On y a trouvé le jeu d’échecs original, signé par Boris Spassky et Bobby Fischer", raconte Gail Katz. "On a fait reproduire les chaises sur lesquelles ils s’étaient assis par la société Herman Miller. Et comme elles sont fabriquées différemment de nos jours, on leur a fait faire exprès quatre chaises qui sont exactement celles dont Bobby et Boris s’étaient servi à l’époque". 

Toujours à Reykjavik, l'équipe a réussi à localiser la table sur laquelle les parties ont été disputées. "Nous avons pu la ramener jusqu’à Montréal. Le match final entre Tobey et Liev se joue sur cette table. Ça nous apporte beaucoup, ainsi qu’aux acteurs, de savoir qu’on a pu aller aussi loin dans l’authenticité", raconte Zwick. 

Les costumes devaient également traduire les différentes époques du film et les personnages. "Quand un acteur incarnait une personne réelle, nous essayions de rester aussi près que possible de la vérité ", explique la chef-costumière Renée April. "Les costumes ne sont pas la copie conforme des originaux, mais ils en ont l’allure". 

Pour les hommes, les costumes dominent et la garde-robe est assez sombre pour chaque époque : "Il y a du fauve et du brun, du cuir, beaucoup d’orange et de vert bouteille", explique-t-elle. "J’ai ressorti des livres et des catalogues de cette époque que j’avais conservés : ça montre bien ce que les gens portaient et ce qui était disponible à l’époque". 

La garde-robe de Bobby reflète son désir conflictuel de se fondre dans la masse tout en se faisant remarquer : "Même quand il est champion des États-Unis, il porte toujours des jeans, des baskets Converse et des pulls affreux", raconte Renée April. "Puis, un jour, il décide de porter un costume car il veut appartenir au monde des échecs. D’après les photos, on sait qu’il avait un goût assez inhabituel en matière de cravates, et on s’est donc bien amusé avec ça. On a choisi les cravates les plus criardes possibles et ça fonctionne bien avec le personnage. On a raccourci un petit peu ses manches pour accentuer son allure étrange car il avait l’air maladroit". 

Quant à Spassky, la pièce phare de sa garde-robe est une paire de lunettes de soleil qu’il porte pour s’isoler du reste du monde. "Boris les portait souvent", explique Schreiber. "Pour Ed, elles ont quelque chose d’emblématique et je suis d’accord avec lui. Boris est un peu comme une rock star dans son pays, et les lunettes lui donnent un côté intimidant, comme quelque chose que Bobby doit affronter, et aussi un peu d’intimité dans un univers qui lui en octroyait peu". 

Pour reproduire le tournoi disputé à Reykjavik, les producteurs ont demandé l’aide d’un spécialiste, le responsable de la fédération québécoise des échecs Richard Berubé : "Richard n’est pas seulement un grand maître mais également un historien des échecs", commente Zwick. 

"Il connaissait la signification de chaque mouvement et nous a permis de comprendre à quoi ressemblaient les compétitions il y a 40 ans. Il savait ce à quoi les carnets de notes de Bobby ressemblaient, quel type d’échiquiers avait été utilisé et même de quoi les pions étaient faits". 

Berubé a appris à jouer à l’âge de 12 ans, soit à l’époque du match historique entre Fischer et Spassky. Il se souvient de la difficulté à trouver un jeu d’échecs d’occasion dans ces années-là. Bobby Fischer a changé la donne du tout au tout. "La popularité du jeu a explosé. Avant le match avec Spassky, la fédération des échecs des États-Unis comptait 12 000 membres, mais deux ou trois ans plus tard, elle en comptait plus de 60 000", confie-t-il. 

Le frère aîné de Berubé lui a finalement fabriqué son propre jeu à partir de vis et de boulons et c’est sur celui-ci qu’il a appris à jouer, qu'il est devenu grand maître à 24 ans et l’un des dix plus grands joueurs du Québec. 

"Mon premier travail a été de faire de ces acteurs des joueurs", explique-t-il. "Ce n’est pas facile, car les joueurs d’échecs pensent d’une manière tout à fait unique. Ils doivent apprendre à faire bouger les pions mentalement. Le jeu a trois dimensions : les cases de l’échiquier sont le monde tangible, les mouvements le temps et le plateau l’espace. L’essentiel dans le jeu, ce sont les détails". 

Il a tout d’abord commencé avec Maguire qui a dû apprendre à se comporter comme un champion en très peu de temps : "Il s’en est vraiment bien sorti", commente-il. "Il a su cerner l’esprit d’un joueur, déplacer les pions, mais aussi réfléchir comme un joueur. Il est venu au tournoi de l’Open de Montréal pour voir de grands maîtres jouer et ça l’a aidé à mon avis". 

Maguire a trouvé passionnant d’en apprendre plus sur ce jeu : "C’est la tactique psychologique surtout qui m’intéresse. Mais pour devenir bon, il faut vraiment s’y consacrer", dit-il. 

Une fois le tournage commencé, Berubé est devenu encore plus indispensable en veillant à ce que les détails restent le plus authentique possible, jusqu’aux types de feuilles de score et aux chronomètres utilisés. "Mon travail m’a mené auprès de tous les départements", poursuit-il. "Je pense que ma plus grande contribution a consisté à apporter d'infimes modifications au scénario. Nous avons retravaillé certaines des séquences de jeu et revu le vocabulaire utilisé. La précision est essentielle aux échecs. S’il y a une faute, elle sera repérée. Ed a su décrire la sensation réelle que procure une partie. Il comprend la tension que l’on ressent et je pense qu’il mène sa mise en scène comme un joueur. C’est également quelqu’un qui est toujours bien préparé et il peut anticiper ses mouvements". 

Les passionnés des échecs auront de quoi admirer ce film, estime Berubé : "Il y a des séquences que les joueurs reconnaîtront", dit-il. "On a rejoué des parties très célèbres comme celle entre Fischer et un grand maître nommé Reuben Fine qui se termine par un échec et mat, ainsi qu’une partie entre Lombardy et le champion soviétique Tigran Petrosian que nous avons filmée d’en haut, en aplomb". 

Il est également certain que LE PRODIGE séduira tous ceux qui aiment les histoires captivantes et bien racontées, et pas seulement les joueurs d’échecs. "Les producteurs ont donné vie à Bobby Ficher, ce qui n’était pas une tâche facile. C’était un homme complexe aux nombreuses contradictions mais ils ont su très bien l’incarner : Tobey Maguire le personnifie totalement à mon sens. Il a appris tous les mouvements des pions aux échecs afin de pouvoir passer pour un vrai joueur. Il aurait pu se contenter de cela mais il a aussi voulu en savoir plus sur Bobby", poursuit le consultant. 

Les producteurs ont également sollicité l’avis du docteur Joseph Ponterotto, auteur du livre "A Psychobiography of Bobby Fischer: Understanding the Genius, Mystery, and Psychological Decline of a World Chess Champion". Si ce dernier n’a jamais rencontré Fischer personnellement, il a dédié au joueur quatre années de recherches intensives avant la publication de son ouvrage. 

Ponterotto a décrit en termes psychologiques la personnalité de Fischer, tant jeune garçon qu’adulte, ainsi que celle de sa mère et de sa soeur. "L’idée était d’aider les acteurs à mieux comprendre la psychologie au sein de cette famille et la manière dont elle avait été influencée par la politique et la culture de la guerre froide", explique-t-il. "Tobey Maguire a pu s’entretenir avec un certain nombre de ses proches comme Franck Brady, son biographe, et certains de ses mentors. Il a fait un très bon travail car il a réussi à montrer à la fois son génie et sa paranoïa". 

Lorsqu’il étudiait la vie de Bobby, ses origines ainsi que les facteurs psychologiques qui l’ont perturbé, Ponterotto a obtenu les fichiers du FBI sur Fischer et sur sa mère, dossier avoisinant les 1000 pages. "Il y avait énormément de secrets dans cette famille, sans doute parce que ses membres étaient constamment suivis", dit-il. "Bobby était prédisposé à souffrir de maladie mentale. Les échecs sont devenus son sanctuaire et son identité mais cela l’a aussi isolé. Les championnats du monde ont été le point culminant de sa vie, mais ensuite, il n’y avait plus d'objectif à atteindre et la paranoïa s’est encore plus installée". 

Selon le psychologue, la question principale concernant Fischer a toujours été de savoir s’il était simplement excentrique ou véritablement malade mental. "Selon un certain stéréotype, il existe un nombre important de malades mentaux parmi les très grands joueurs d’échecs, mais ma recherche ne cautionne pas cela. Certains neuropsychologues ont proposé une théorie suggérant que les gens très doués sont moins à même de filtrer les stimuli, ce qui leur confère une plus grande aptitude à penser de façon originale mais aussi un plus grand risque de souffrir de maladie mentale. Ce n’est toutefois qu’une hypothèse qui reste à prouver". 

Ponteretto a été très impressionné par le degré d’authenticité du film, y compris dans les séquences relatant les moments les plus douloureux de la vie de Bobby : "Le film ne cherche pas à édulcorer les choses. Bobby a fini par perdre tous ses amis, y compris Lombardy et Paul Marshall. Il est mort seul et isolé mais il a aussi apporté une immense contribution à la théorie des échecs. Il a professionnalisé ce jeu et lui a donné un cachet qu’il n’avait jamais eu et qu’il n’a jamais retrouvé depuis". 

"Pendant tout un été, le monde a observé cet Américain solitaire et prétentieux battre Boris Spassky et la machine à jouer soviétique à l'oeuvre", ajoute le psychologue qui a lui-même appris à jouer à ce moment-là. "La ferveur et l'enthousiasme étaient irrésistibles. Pour la première fois, les échecs passaient à la télévision. Les ventes d’échiquiers ont augmenté et jouer aux échecs est devenu une carrière viable grâce aux exigences de Fischer qui a demandé que les joueurs soient traités en professionnels". 

LE PRODIGE reconstitue minutieusement une époque qui a vu les échecs devenir une passion mondiale : le film rappelle au spectateur cette période extraordinaire et le fait que ces deux personnages ont réellement existé. "Pour ceux qui n’étaient pas là en 1972, c’est une histoire incroyable", confie Knight. "Cette année a marqué un tournant. Les historiens, avec le recul, y voient le commencement de la fin de la guerre froide. La victoire de Bobby contre Spassky en a été un marqueur. Deux systèmes de pensées antagonistes se sont affrontés à Reykjavik. Un conflit mondial s’est concentré sur deux hommes assis de part et d’autre d’un échiquier. On n’aurait pas osé l’inventer mais c’est exactement ce qui s’est passé". 

Zwick est certain que le film va transporter les spectateurs à une époque différente de la nôtre, mais finalement peu éloignée dans le temps : ″Les gens vont au cinéma pour découvrir un univers qui ne leur est pas familier. Je veux que le public se plonge dans un monde qui n’est pas le leur. Ici, on voit des personnages dont on a un peu entendu parler et on est surpris par ce qu’on découvre. Le défi relevé par ce film est de dresser un portrait compréhensible des échecs. On a essayé de rendre le jeu exaltant et plein de suspense, même pour ceux qui ne connaissent pas bien les échecs, afin que le public soit transporté dans l’esprit de Bobby Fischer. Je pense que c’est un film foncièrement drôle, plein d’émotion et vraiment divertissant. Je dois rendre hommage pour cela aux acteurs et au scénariste″, conclut le réalisateur.

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