lundi 20 février 2017

LOVING

LOVING

Drame/Romance/Très beau film mettant en scène deux superbes acteurs

Réalisé par Jeff Nichols
Avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas, Nick Kroll, Jon Bass, Christopher Mann, Michael Shannon, Terri Abney...

Long-métrage Américain/Britannique
Durée: 02h03mn
Année de production: 2016
Distributeur: Mars Films

Date de sortie sur les écrans américains : 4 novembre 2016
Date de sortie sur les écrans britanniques : 3 février 2017
Date de sortie sur nos écrans : 15 février 2017


Résumé : Mildred et Richard Loving s'aiment et décident de se marier. Rien de plus naturel – sauf qu'il est blanc et qu'elle est noire dans l'Amérique ségrégationniste de 1958. L'État de Virginie où les Loving ont décidé de s'installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu'il quitte l'État. Considérant qu'il s'agit d'une violation de leurs droits civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux. Ils iront jusqu'à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la Virginie. Désormais, l'arrêt "Loving v. Virginia" symbolise le droit de s'aimer pour tous, sans aucune distinction d'origine.

Bande annonce (VOSTFR)



Extrait


Featurette #1


Featurette #2


Ce que j'en ai pensé : Jeff Nichols, le réalisateur, se concentre sur le couple Mildred/Richard sur une période d'une dizaine d'années pour nous raconter cette histoire très touchante. Il utilise des ellipses pour avancer dans le temps et nous emmener à des moments clés. Ce film témoigne d'une époque et d'un état d'esprit qui sont très bien retranscrits. Il est d'autant plus triste de voir Mildred et Richard souffrir que leur seul crime est de s'aimer. La simplicité et la droiture de cet amour les rendent forts, suffisamment pour lutter avec leurs moyens contre l'idiotie ambiante. Ils n'ont malheureusement que trop peu de soutiens autour d'eux et celui qu'il trouve au niveau politique veut surtout les utiliser. J'ai trouvé très intéressant la façon qu'à Jeff Nichols de traiter la partie affaire d'état de façon périphérique. C'est la tendresse de la relation de Mildred et Richard qui est au cœur de ce film. La délicatesse et la sensibilité des sentiments transmis par les regards sont impressionnantes.

Les deux acteurs principaux sont superbes et tellement attachants ! Ruth Negga interprète Mildred Loving. Elle campe ici magnifiquement un portrait de femme discrète, amoureuse et tenace.


Face à elle, Joel Edgerton interprète remarquablement son mari, Richard Loving, un homme travailleur, renfermé, fou d'amour pour sa femme qu'il veut rendre heureuse et en même temps protéger à tout prix.


Ils forment un couple émouvant à l'écran qui dépasse largement toutes les considérations raciales odieuses qui leur pourrissent la vie. Ils sont l'un comme l'autre essentiel à cette histoire, car ils illustrent parfaitement le fait que Mildred et Richard sont fusionnels. Ils veulent juste vivre ensemble et s'aimer en paix, comment cela peut-il être un crime ?





LOVING nous montre à la fois l'amour, la douleur, l'injustice et la peur et comment cette belle relation a fort heureusement changé une loi plus qu'absurde. C'est un très beau film qui ne laisse pas indifférent et que je vous conseille pour son thème instructif, sa réalisation délicate et ces deux splendides acteurs.



NOTES DE PRODUCTION 
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)

CONTEXTE HISTORIQUE
Chronologie de l'affaire «Loving contre l'état de Virginie»

29 octobre 1933 Naissance de Richard Perry Loving à Central Point (Virginie)

22 juillet 1939 Naissance de Mildred Delores Jeter à Central Point (Virginie)

2 juin 1958 Alors qu’ils attendent un enfant et qu’ils ne peuvent pas se marier en Virginie, Richard épouse Mildred à Washington. Ils retournent ensuite à Central Point et s’installent dans la famille de Mildred.

11 juillet 1958 Bernard Mahon, le procureur du comté de Caroline, en Virginie, obtient un mandat d’arrêt contre Richard et Mildred Loving.

12 juillet 1958 À 2h du matin, le shérif R. Garnett Brooks et ses adjoints font irruption dans la chambre du couple et le place en état d’arrestation. Les Loving sont incarcérés à Bowling Green, où Richard passe une nuit derrière les barreaux avant d’être libéré contre une caution de 1000 dollars.

13-17 juillet 1958 Le shérif Brooks refuse que Richard paie la caution de Mildred. Résultat : elle passe cinq nuits en prison, avant d’être libérée à son tour contre une caution de 100 dollars.

Octobre 1958 Les Loving sont inculpés pour avoir violé la loi sur « l’intégrité des races » de Virginie.

Janvier 1959 On conseille aux Loving de plaider coupables. Après y avoir consenti, ils sont condamnés par le juge Leon Bazile à un an d’emprisonnement avec sursis, à condition qu’ils quittent « le comté de Caroline et l’État de Virginie immédiatement et qu’ils n’y reviennent plus, ensemble ou en même temps, pendant vingt-cinq ans ».
Les Loving s’installent à Washington, où ils sont accueillis par le cousin de Mildred, Alex Byrd et sa femme Laura.

1963 Mildred écrit au ministre de la Justice Robert F. Kennedy pour solliciter son aide.
L’homme politique répond qu’il ne peut rien faire, mais qu’il a transmis l’affaire à l’Union Américaine pour les Droits Civiques (ACLU).

En juin, l’affaire est confiée au juriste de l’ACLU Bernard Cohen. Quelques mois plus tard, Philip Hirschkop, avocat spécialisé dans les droits civiques, vient lui prêter main-forte et les deux hommes acceptent de travailler bénévolement.

En novembre, Bernard Cohen dépose une requête auprès du juge Bazile pour annuler la condamnation des Loving.

1964 Les Loving et leurs trois enfants reviennent en Virginie et s’installent dans une ferme du comté de King & Queen, où ils vivent le plus secrètement possible.

22 janvier 1965 Le juge rejette la requête en s’appuyant sur les lois de la Virginie proscrivant le « métissage entre races » (autrement dit, les unions inter-communautaires) dans sa décision : « Dieu Tout-Puissant a créé les races blanche, noire, jaune et rouge, et les a placées sur des continents séparés. Et si l’on ne vient pas perturber Son ordonnancement, il n’y a aucune raison pour que ce type de mariage existe. Car s’Il a ainsi séparé les races, c’est parce qu’Il n’avait pas l’intention qu’elles se mélangent ».

7 mars 1966 La Cour Suprême de Virginie maintient la condamnation des Loving, mais considère que l’obligation faite au couple de ne pas revenir dans l’État pendant 25 ans était excessive et renvoie l’affaire devant les tribunaux pour établir une nouvelle sentence. 

18 mars 1966 Le magazine Life publie l’article (anonyme) « Le mariage hors la loi », illustré par les photos en noir et blanc de Grey Villet, montrant la famille Loving dans son quotidien. L’article mentionne la décision de la Cour Suprême de Virginie et indique que « l’affaire Loving contre l’État de Virginie pourrait bien devenir la prochaine étape décisive dans la lutte pour les droits civiques ». 

Mars 1966 Les Loving se pourvoient en appel devant la Cour Suprême des États-Unis. 

9 avril 1967 La Cour Suprême accepte d’entendre les arguments de la défense, et notamment la plaidoirie de Bernard Cohen : « Les Loving ont le droit de se coucher le soir en sachant que s’ils devaient ne pas se réveiller le lendemain matin, leurs enfants pourraient légitimement hériter de leurs parents. Ils ont le droit d’être rassurés en sachant que, s’ils devaient ne pas se réveiller le lendemain matin, leurs héritiers pourraient bénéficier de la Sécurité Sociale ». 

12 juin 1967 Les Sages de la Cour Suprême, à l’unanimité, rendent leur décision en déclarant l’intégralité des lois interdisant les unions mixtes anticonstitutionnelles et en violation du 14e amendement [garantissant que la liberté de choix de se marier ne soit pas restreinte par des discriminations raciales, NdT]. 

Le président de la Cour, Earl Warren, rédige l’arrêt historique suivant : « En vertu de notre Constitution, la liberté d’épouser ou de ne pas épouser une personne d’une autre race relève du choix individuel et ne peut donc être limitée par l’État ». 

Tous les 12 juin Commémoration du « Loving Day », en souvenir de l’arrêt de la Cour Suprême.


« Comment j’ai fait pour passer à côté de ça ? »


C’est une rengaine habituelle qu’on entend lorsqu’on découvre que des progrès significatifs en matière de droits de l’homme ont été obtenus au cours des décennies précédentes. Et l’histoire d’amour de Richard et Mildred Loving a ouvert la voie à bien d’autres avancées par la suite.

Le parcours de Richard et Mildred est aujourd’hui raconté par Jeff Nichols dans LOVING : « J’ai été frappé par la simplicité de leur histoire d’amour, d’une grande pureté », indique-t-il.

Richard, qui était blanc, et Mildred, d’origine noire et indienne, formaient un couple banal vivant à Central Point, en Virginie. Ils ont décidé de se marier et de fonder une famille. Pourtant, à l’époque, en Virginie, leur union était illégale : ils n’ont pas tardé à être arrêtés peu après leur mariage.

En tant que plaignants dans l’affaire « Loving v. Virginia », ils ont provoqué la décision de la Cour Suprême visant à abolir les lois anti-mariages mixtes dans l’ensemble du pays. Définissant le mariage comme un droit fondamental de l’être humain, l’arrêt Loving v. Virginia est encore fréquemment cité au cours de procès, et notamment lors d’affaires contestant l’interdiction du mariage homosexuel.

Mais les Loving n’étaient pas des militants : ils espéraient simplement que leur mariage, conclu dans un cadre parfaitement légal à Washington, leur permettrait de vivre en toute sérénité dans leur petite ville natale de Central Point. Au départ, ils n’ont même pas fait appel après avoir été arrêtés pour violation des lois anti-mariages mixtes de la Virginie : ils ont accepté de plaider coupable pour s’éviter une peine trop lourde et ont été déclarés interdits de séjour dans l’État qui les avait vu naître.

Lorsque le couple a sollicité un recours en justice en 1963, il n’était animé que du seul désir d’être autorisé à retourner vivre dans leur région d’origine. Ce n’est qu’en 1965, à la demande insistante de leurs avocats Bernard Cohen et Philip Hirschkop, que les Loving acceptent de rencontrer des journalistes pour que leur histoire soit connue du grand public. Après l’arrêt de la Cour Suprême en leur faveur, en juin 1967, Mildred et Richard ont repris une vie normale et élevé leurs trois enfants, accordant très peu d’interviews.

En 2008, Mildred s’éteint, 33 ans après la mort de son mari. Apprenant la disparition de Mildred, la documentariste Nancy Buirski a été touchée par l’amour inébranlable des époux Loving l’un pour l’autre et par le caractère actuel de leur affaire. Elle décide alors de leur consacrer un documentaire. Au cours de ses recherches, elle rencontre la productrice et journaliste d’ABC News Hope Ryden qui avait passé plusieurs heures à filmer les Loving chez eux en 1965 et qui les avait rencontrés à nouveau en 1967 à la veille de la décision de la Cour Suprême. Pour son film, THE LOVING STORY, dont elle est scénariste, productrice et réalisatrice, Nancy Buirski a utilisé ces images d’archives – et d’autres encore – ainsi que les magnifiques photos de Grey Villet, publiées dans Life Magazine. Le documentaire a été sélectionné dans plusieurs festivals en 2011, avant sa diffusion sur HBO le jour de la Saint-Valentin en 2012. Lauréat du Peabody Award et de l’Emmy, son portrait d’un couple courageux, soudé et, surtout, très amoureux, a bouleversé le public et la critique.

Parmi ces spectateurs captivés, Colin Firth, comédien oscarisé, connaissait l’existence du projet puisque Nancy Buirski l’avait contacté pour une adaptation de son documentaire sous forme de fiction. En effet, la réalisatrice avait appris par l’épouse de l’acteur que celui-ci s’intéressait à l’histoire sociale et politique américaine. En 2009, Nancy Buirski et Colin Firth réfléchissaient ensemble à une narration et se sont attelés à l’écriture d’un scénario.

En janvier 2011, Firth contacte la documentariste pour l’informer qu’il monte une société de production, Raindog Films, avec Ged Doherty et qu’il souhaite développer l’adaptation fictionnalisée de THE LOVING STORY. « Colin venait de remporter un Golden Globe pour LE DISCOURS D’UN ROI, mais c’est moi qui étais folle de joie ! », se remémore Nancy Buirski.

Doherty précise : « Colin était très séduit par la simplicité de l’histoire et par ce couple banal qui a contribué à bouleverser le destin de très nombreux autres couples. » « Après avoir découvert le documentaire, c’est devenu une obsession, reprend-il. Je n’ai pas dormi pendant 48 heures parce que j’étais à l’affût de tout ce que je pouvais trouver sur Internet. Certes, il s’agissait d’une affaire judiciaire retentissante, mais c’était surtout une magnifique histoire d’amour. Avec Colin, on avait la conviction que le parcours des Loving méritait d’être connu du public du monde entier et on tenait à en tirer un long métrage partiellement inspiré du documentaire de Nancy. »

Il fallait ensuite dénicher un scénariste et un réalisateur. Lorsque les trois producteurs ont vu MUD – SUR LES RIVES DU MISSISSIPPI de Jeff Nichols en 2012, ils ont eu le sentiment que la mise en scène du réalisateur et sa description sensible des hommes et des femmes du Sud des États-Unis correspondaient parfaitement à leurs attentes.

« On a aussi vu TAKE SHELTER, poursuit Doherty. Dans les films de Jeff, la tension et la dramaturgie sont très fortes et se manifestent souvent en creux : chez lui, un simple regard ou le plan d’un paysage sont très éloquents. On s’est dit que ce style convenait à Richard et Mildred Loving, et au type de personnes qu’ils étaient. »

Après trois longs métrages, Nichols n’envisageait pas d’écrire ou de réaliser un film dont il n’était pas à l’origine. Malgré tout, intrigué par l’histoire du couple, il a accepté d’étudier le projet. Le cinéaste a visionné le documentaire et remarqué l’importance de l’arrêt Loving v. Virginia et de ses retombées positives, encore aujourd’hui. Mais il a surtout été sensible à la tranquille détermination de Richard et Mildred de vivre comme ils voulaient – et d’aimer qui ils voulaient.

« C’est l’amour qui les unissait qui m’a touché, affirme le réalisateur. À partir de là, la décision de la Cour Suprême est l’autre aspect important de cette histoire. Je pense que c’est toujours salutaire de pouvoir se souvenir de l’élégance et de la beauté très simple de l’amour. » Le mode de vie de la petite ville rurale des Loving, Central Point, a fait forte impression sur Nichols. Commune d’agriculteurs enclavée et nichée entre les collines du comté de Caroline, en Virginie, Central Point était un village où cohabitaient des métayers et des ouvriers agricoles d’origines différentes : la pauvreté était leur dénominateur commun. Mais les Noirs, les Blancs et les Indiens se côtoyaient et se mêlaient les uns aux autres sans difficulté depuis plusieurs générations. Les habitants s’épaulaient volontiers.

Lorsqu’il a découvert le genre d’éducation qui a nourri le tempérament et les valeurs de Richard et Mildred, Nichols s’est souvenu de ce que son père lui avait raconté sur sa propre enfance : « L’éclairage qu’apporte le documentaire de Nancy sur leur environnement quotidien m’a vraiment touché parce qu’il faisait écho à ce que m’avait raconté mon père, qui a grandi à Altheimer dans l’Arkansas, constate Nichols. Il m’avait dit : « Là-bas, on avait tous besoin les uns des autres pour s’en sortir ». » Le cinéaste envisage alors un long métrage qui s’attache à Richard et Mildred Loving entre 1958 et 1967, années pendant lesquelles ils vivent dans la peur du lendemain, plutôt qu’aux événements de leur vie connus des livres d’histoire. « Il est évident que l’affaire judiciaire pourrait donner lieu à un film à part entière, dit-il. Mais je ne voulais pas qu’elle prenne le pas sur l’histoire d’amour, car je tenais à privilégier leur idylle – d’autant plus que c’était tout nouveau pour moi, même si MUD parlait d’amour non partagé – sur la dimension judiciaire de cette histoire. »

Cherchant avant tout à mettre en avant les personnages, il rencontre les producteurs qui, selon lui, « ont vraiment accueilli avec enthousiasme la manière dont je voulais raconter cette histoire. »

Bien que Doherty, Nancy Buirski et Firth souhaitent d’emblée confier le scénario et la réalisation à Jeff Nichols, celui-ci se montre prudent et ne s’engage au départ qu’à écrire le script. La productrice citée à l’Oscar Sarah Green, fidèle collaboratrice du cinéaste, explique : « Jeff n’avait jamais travaillé à partir d’une intrigue dont il n’était pas l’auteur, et c’était donc un vrai défi pour lui. » « Cela m’a pris deux mois environ, confie Nichols. Finalement, j’ai compris comment faire en sorte que ces deux êtres, qui avaient vraiment existé, soient également des personnages de mon film. Il fallait donc que je me les approprie, tout en respectant leur singularité. » Sarah Green poursuit : « Je me souviens qu’il m’a appelé un jour pour me dire : « Je crois que je sais comment je vais m’y prendre, mais ce sera un récit intimiste. Je ne suis pas sûr que cela corresponde aux attentes, mais c’est la manière dont je veux raconter cette histoire ». »

« Je lui ai répondu : « C’est ton film. Raconte-le à ta manière », ajoute-t-elle. Elle tient à saluer la compréhension et la patience de ses partenaires : « C’était formidable de travailler avec Ged, Nancy et Colin, parce qu’ils ont vraiment fait confiance à Jeff. Et dès l’instant où il su comment aborder l’histoire, il était évident qu’il allait aussi réaliser le film. »

« Je voulais que la tension soit palpable, mais sous-jacente, dit le réalisateur. Il fallait que les bombes n’explosent pas et que les incendies ne se déclenchent pas. Le couple est pris dans un tourbillon qui le dépasse, mais il vaque aussi à ses occupations quotidiennes dans cette région rurale. LOVING ne brosse pas un portrait du Sud auquel on peut s’attendre. »

Fait inhabituel : le premier jet signé Nichols est aussi la version définitive du scénario. « Il était magnifique, s’enthousiasme Doherty. On pouvait visualiser chaque scène et même entrevoir les moments plus contemplatifs. »

« Entre la première mouture, la deuxième et le découpage technique, on a peut-être changé trois mots et deux virgules et corrigé une faute de typo », souligne-t-il. Sarah Green a compris que le réalisateur avait parfaitement saisi le point de vue des Loving et que, pour être plus précis, ceux-ci n’avaient pas pour objectif de bouleverser le cours de l’histoire. « La seule question qu’ils se posaient, dit-elle, c’était de savoir comment faire pour vivre là où ils sentaient qu’était leur place, là où ils se sentaient aimés. Dans plusieurs films que j’ai produits, les personnages tentent de trouver leur place. Ici, il s’agit de deux personnages qui savent où est leur place. Dans LOVING, les deux protagonistes ne cherchent donc pas leur place, mais aspirent à la réintégrer puisqu’ils en ont été chassés. »

« Ce n’étaient pas des martyrs et ils ne se considéraient pas comme tels, intervient le réalisateur. Ils n’étaient pas non plus des symboles, et ne se considéraient pas comme tels. C’étaient deux êtres qui s’aimaient, et qui voulaient vivre ensemble et avec leur famille. »

Si Jeff Nichols et Sarah Green se sont d’abord attelés à un autre film, MIDNIGHT SPECIAL, le projet de LOVING a bénéficié d’un coup d’accélérateur inattendu à l’automne 2013 au cours d’un voyage d’affaires à Los Angeles. Alors qu’ils n’étaient pas prêts à auditionner le moindre comédien, la responsable de casting Francine Maisler a insisté pour qu’ils rencontrent Ruth Negga, actrice vivant à Londres et de passage en Californie.

Cette dernière avait été profondément marquée par THE LOVING STORY : « J’ai trouvé ce documentaire brillant et je n’en revenais pas de ne pas avoir entendu parler de Richard et Mildred auparavant, confie-t-elle. Leur parcours m’a fasciné, non seulement parce que l’arrêt Loving v. Virginia est un tournant dans l’avancée des droits civiques, mais aussi parce qu’il s’agit d’une sublime histoire d’amour. Je n’ai pas cessé d’y repenser. Tout ce que voulait Mildred, c’était épouser l’homme qu’elle aimait. On n’a pas besoin d’être tonitruant pour être un héros. »

« Le scénario de Jeff raconte l’histoire de deux êtres qui s’aiment, pas de militants, même si leur histoire a fini par modifier la loi américaine, dit-elle encore. J’ai le sentiment que tous ses films parlent de gens simples. »

Après avoir lu le scénario, la comédienne s’est terrée dans sa chambre d’hôtel de Los Angeles pendant trois jours pour se préparer à une éventuelle audition et cerner la personnalité de Mildred du mieux qu’elle pouvait. « J’ai vu et revu le documentaire, et j’ai travaillé les scènes du script comme je ne l’avais jamais fait jusque-là, reprend-elle. Je me sens totalement en empathie avec Mildred et je ne pouvais plus envisager une seconde de ne pas décrocher le rôle. »

« On a déjà travaillé avec Francine Maisler sur plusieurs films, si bien qu’on a suivi son conseil de rencontrer cette comédienne qu’on ne connaissait pas », rappelle Nichols. « Quand Ruth Negga est arrivée, je me suis tout de suite aperçu qu’elle était plus menue, mais plus trapue que Mildred Loving surnommée « Brindille », raconte le réalisateur. J’étais un peu sceptique… Mais Ruth s’est attaquée à une scène et elle était extraordinaire ! Elle a réussi à exprimer tout ce que nous savions sur Mildred grâce au documentaire. Ce n’était en aucun cas une imitation. Avec Sarah, on s’est dit : « Elle est l’incarnation de Mildred ». »

« Lorsqu’on a tourné le film deux ans plus tard, Ruth s’était encore davantage métamorphosée en Mildred, signale-t-il. Elle s’était approprié le tempérament de Mildred et le restituait face à la caméra. » Peu après le démarrage du tournage de MIDNIGHT SPECIAL, Nichols a compris qu’il tenait son Richard Loving. Alors que le réalisateur collaborait pour la première fois avec l’acteur australien Joel Edgerton, une grande complicité professionnelle s’est aussitôt nouée entre eux. Un jour, sur le plateau, Nichols a remarqué quelque chose : « Joel est assez grand et on lui avait quasi entièrement rasé le crâne pour les besoins du film, dit-il. Je me suis dit qu’il ressemblait plutôt à Richard Loving… »

Nichols n’a pas tardé à évoquer le projet avec Edgerton : « Je me suis demandé comment je réagirais si on m’annonçait que je devais faire de la prison parce que j’avais épousé la femme que j’aime, à moins que j’accepte de vivre exilé, loin de ma famille et de mes amis, s’interroge le comédien.

« Jeff n’est jamais dans l’esbroufe dans son cinéma, poursuit-il. Dans LOVING, il adopte un point de vue très subtil sur l’affaire de ce couple, mais c’est grâce à toutes ces nuances qu’il tient un propos extrêmement actuel dans lequel tout le monde peut se reconnaître. » Nichols s’est aperçu qu’Edgerton pouvait prendre l’accent sudiste de Richard : « Joel possède une facilité déconcertante à adopter toutes sortes d’accents, ce qui nécessite des facultés vocales très spécifiques », dit-il. « Mais ce qui m’intéresse vraiment dans le jeu de Joel, c’est qu’il est capable d’éprouver les émotions qu’il exprime sur son visage, relève le réalisateur. C’était essentiel pour LOVING car Richard est un taiseux qui intériorise ses sentiments. Joel a su manifester ces émotions dans son attitude et dans sa posture. Grâce à son intelligence et à son talent, il a réussi à camper un homme qui appartient profondément à son temps et à sa terre. »

Edgerton s’est considérablement documenté sur son personnage, s’efforçant surtout de l’observer plus que de l’écouter, car il existe peu d’archives sonores de Richard Loving. « Il est clair qu’il n’était pas très à l’aise en présence de la caméra, remarque l’acteur. Ce qui m’a semblé le plus difficile en interprétant ce rôle, c’est que Richard pouvait facilement passer pour quelqu’un de peu futé, alors que je crois qu’il était très intelligent. »

« Qui était-il ?, s’interroge-t-il. C’était un maçon, un type très physique, et pas franchement cérébral. Je crois que c’était un effort important de sa part de tenter d’élucider l’argumentation juridique destinée à s’extirper de la situation dans laquelle lui et sa femme s’étaient retrouvés. Il s’apprêtait à se lancer dans des actions qu’instinctivement il n’approuvait pas. »

Tandis que le casting des deux rôles principaux se mettait en place, Marc Turtletaub et Peter Saraf, à la tête de la société de production Big Beach, ont appris que Nichols développait un nouveau projet. Admirateurs de son cinéma, ils ont lu le scénario de LOVING et proposé d’accompagner financièrement le film.

« Parmi les cinéastes actuels, Jeff est l’un des rares qui sache raconter une histoire grâce à la mise en scène tout en réussissant à susciter de l’empathie pour des personnages très émouvants », déclare Turtletaub.

« En réfléchissant à la portée de cette histoire et à son côté très actuel, on était convaincus de devoir participer au projet, ajoute Saraf. Nichols s’est rendu compte en lisant le script que le film était d’autant plus d’actualité que les tensions raciales étaient encore bien présentes dans notre société d’aujourd’hui. Mais avant tout, nous avons tous été bouleversés par cette histoire d’amour qui a résisté à l’adversité, poursuit Peter Saraf. »

1963 marque un tournant dans les épreuves subies par le couple. Quatre ans après leur emménagement contraint à Washington, les Loving et leurs trois enfants se sentent à l’étroit et doivent vivre avec très peu d’argent. Sans même parler du fait que leurs proches, restés à Central Point, leur manquent cruellement. Mildred décide de prendre les choses en main : elle écrit une lettre au ministre de la Justice Robert F. Kennedy pour solliciter son aide. Ruth Negga confie : « Au fil du temps, Mildred découvre qu’elle est animée par une véritable détermination. Elle est peut-être innocente, mais elle n’est pas naïve. »

« Elle prend de l’assurance et comprend que c’est à elle de se retrousser les manches et de ne pas se laisser intimider par les représentants de l’ordre », dit-elle.

Lors du casting, le choix de l’interprète du shérif R. Garnett Brooks, qui arrête les Loving en plein milieu de la nuit, s’est révélé difficile. Le réalisateur ne considère pas Brooks comme le « méchant » de l’intrigue ou l’ennemi du couple, rappelant que ses préjugés racistes étaient banals à l’époque. « Pour moi, le shérif Brooks fait partie de l’équation, observe-t-il. J’ai moi-même grandi dans l’Arkansas et certains membres de ma famille étaient racistes. Je n’en suis pas fier, mais je sais comment ces opinions sont perpétuées de génération en génération et comment chacun se forge son propre point de vue sur ces questions. »

« On raconte que Brooks aurait dit « Ce n’est pas un hasard si les rouge-gorge ne s’accouplent pas avec des moineaux », poursuit le réalisateur. Et il y croyait. C’était important que Brooks ne soit pas joué comme le stéréotype du policier sudiste malveillant et péquenaud. »

Joel Edgerton a suggéré le nom de Marton Csokas, comédien à l’aise dans tous les registres, dont le physique imposant et la taille correspondaient à ceux du véritable Brooks. Après avoir rencontré le comédien, le réalisateur souhaitait connaître son point de vue sur le personnage : « Marton voyait Brooks comme un adulte qui doit s’occuper d’enfants turbulents, dit-il. Mildred et Richard étaient nés dans une région du Sud où les différences de couleur de peau n’avaient pas forcément d’importance, mais à ses yeux, Dieu avait mis en place des lignes de partage entre chaque communauté. »

Pour se préparer au rôle, Csokas a consulté les archives et s’est entretenu avec la famille de Brooks. « Pour ses proches, il s’agissait d’un père de famille et d’un être humain travailleur, fidèle et sévère qui aimait les siens et les animaux, et qui était un maniaque de la loi et l’ordre, commente le comédien. Ses propos témoignent des mentalités de l’époque. Et la loi était ainsi conçue. Il faisait son boulot en étant particulièrement consciencieux. »

Tout au long du casting, Nichols avait en tête les caractéristiques physiques des personnages réels représentés à l’écran. Alors qu’il regardait la télévision un soir, il est tombé sur l’émission satirique « Kroll Show », créée et animée par Nick Kroll, et a été frappé par la ressemblance entre l’humoriste et Bernard Cohen, avocat des Loving. « Je suis allé sur Internet pour en savoir plus sur lui, et j’ai commencé à me dire qu’il serait parfait pour le rôle », confie-t-il.

Non seulement Kroll connaissait l’histoire des Loving, mais il appréciait le cinéma de Jeff Nichols. « J’avais vu TAKE SHELTER et MUD que je trouvais démentiels, reconnaît-il. Ce sont deux films très différents où l’on reconnaît pourtant la même patte. Jeff a un style qui lui est propre. »

« C’était galvanisant d’être contacté pour ce projet, à la fois en raison du cinéaste et du sujet qui est toujours d’une actualité brûlante », constate-t-il. Jeune comédien prometteur, Jon Bass a été retenu pour camper Phil Hirschkop, avocat qui prête main-forte à Cohen. « En me documentant sur l’affaire, je me suis rendu compte à quel point les Loving étaient des gens discrets qui ne voulaient surtout pas faire la Une des journaux, ditil. Mais ils vivaient à une époque où les droits civiques ont connu des évolutions majeures. »

« Les films de Jeff sont d’une authenticité extraordinaire, poursuit-il. Il est très bien entouré et il arrive à se concentrer sur ce qui lui tient le plus à coeur, autrement dit le jeu des acteurs et les émotions. Avec Nick, on a l’habitude de l’impro, mais grâce à Jeff, on arrivait plutôt à faire surgir l’émotion dans les silences. » Lorsque le tournage de MIDNIGHT SPECIAL s’est achevé et que la préparation de LOVING a démarré, les responsables de casting Erica Arvold et Anne Chapman ont été chargées de repérer les interprètes des proches, amis et voisins des Loving. Nichols et ses producteurs estimaient qu’il valait mieux faire appel à des inconnus pour ne pas détourner l’attention du spectateur.

« Je cherchais à faire en sorte que notre représentation des personnages, des lieux et de l’époque soient aussi proches de la réalité que possible, en nous appuyant sur notre documentation, et je voulais donc que le public y adhère immédiatement, explique Nichols. On reconstituait toute une communauté composée de gens d’origines différentes, en restant fidèle à la réalité de Central Point. Et pour les habitants, on pensait qu’il nous fallait absolument des acteurs inconnus. » « Nous avons fini par dénicher des comédiens extrêmement talentueux, se félicite-t-il. La petite communauté et les familles ont pris forme sous mes yeux. »

De son côté, Nichols a réuni ses plus fidèles collaborateurs de création. Outre la productrice Sarah Green et la directrice de casting Francine Maisler, il a refait appel au directeur de la photo Adam Stone, au chef-décorateur Chad Keith, à la chef-costumière Erin Benach, au compositeur David Wingo, à la chef-monteuse Julie Monroe et au producteur exécutif Brian Kavanaugh- Jones. Sans oublier des comédiens habituels – dans des rôles modestes – comme Bill Camp, David Jensen, et Michael Shannon. « J’espère qu’on pourra toujours faire des films tous ensemble, car ils n’hésitent pas à me dire ce qu’ils pensent », déclare le cinéaste.

Le tournage a commencé à l’automne 2015. Pour coller encore davantage à la réalité, le film a été tourné en Virginie.

Pour Nichols, les paysages de Virginie étaient à même de susciter l’émotion, bien mieux que les dialogues. « La relation qu’entretient Mildred avec sa terre natale est au coeur du film, souligne le réalisateur. La jeune femme fait partie intégrante de ce petit coin de Virginie. »

« Lorsque les Loving sont contraints d’emménager à Washington, elle vit douloureusement ce changement de vie, poursuit-il. Ils s’éloignaient de leurs amis et de leurs proches, qui les soutenaient, et ils se retrouvaient dans un environnement urbain, pollué et bruyant, alors qu’ils n’avaient pas du tout l’habitude de la ville. En découvrant la beauté de la Virginie, j’ai compris pourquoi elle n’avait pas la moindre envie de s’en aller. Bowling Green et Central Point sont des points d’ancrage essentiels dans la vie de Richard et Mildred qui permettent de comprendre leur évolution et les événements qui ont ponctué leurs parcours. »

Le tournage sur les lieux mêmes où se sont déroulés les faits a contribué au réalisme du film, et comédiens et techniciens ont eu d’excellentes surprises. Le chefdécorateur a été soulagé de constater que la plupart des bâtiments publics de Bowling Green étaient intacts et pouvaient donc être filmés tels quels : « Je ne m’attendais pas à ce que le tribunal soit toujours en fonctionnement et à ce que la prison où Mildred et Richard ont été incarcérés soit toujours là », dit-il.

« C’était extraordinaire de tourner dans les rues mêmes que l’on voit sur les photos et les images d’archives des Loving, note-t-il encore. J’espère qu’on a su filmer bon nombre de situations que Richard et Mildred ont vécues. »

La seule fille encore en vie des Loving, Peggy, a été consultante sur le plateau. Elle s’est rendue sur le tournage et a été frappée par la proximité entre les comédiens et ses parents, à la fois sur le plan du caractère et de l’apparence physique.

S’agissant des costumes, Erin Benach s’est inspirée des archives iconographiques des Loving et du style de l’époque. Pour Joel Edgerton, elle a étudié la gestuelle de Richard Loving et ses habitudes vestimentaires. « Richard était un peu avachi, et il se tenait avec une hanche en avant et le dos arrondi, relève-t-elle. Comme Joel a adopté cette posture, il a fallu que je prête particulièrement attention à ses pantalons, car Richard les portait toujours très relevés. »

« On a testé différentes tailles et, après ce premier essayage, on voyait ceux qui convenaient et ceux qui ne convenaient pas du tout, ajoute-t-elle. Après coup, on a presque mis au point une formule scientifique : Joel adoptait la posture du personnage pendant les essayages et on décidait ensemble si le style des pantalons lui correspondait ou pas, avant de le soumettre à Jeff. » Pour Ruth Negga, Erin Benach a constitué une garderobe fidèle à celle de Mildred Loving, mais qui traduit aussi l’évolution du personnage, d’abord célibataire, puis épouse et mère de famille. La difficulté consistait à concevoir plusieurs prothèses de grossesse, de tailles différentes, que la comédienne devait porter sous ses vêtements. Là encore, la chef-costumière ne s’est pas contentée d’une simple apparence : elle souhaitait que « les prothèses évoquent les états d’âme de Mildred. Par exemple, elle est accablée lorsqu’elle est enceinte et qu’elle arpente les allées d’un supermarché au début de son séjour à Washington, dit-elle. Du coup, on a conçu une tenue qui donne l’impression qu’elle est toute engoncée et qu’elle est écrasée sous son poids. » 

Cette scène n’est pas dialoguée, comme la plupart des séquences entre Joel Edgerton et Ruth Negga, car les Loving parlaient peu. Les deux acteurs ont imaginé que l’histoire d’amour du couple a commencé avant les événements du film, comme le souligne la comédienne. « Le scénario est imprégné de l’énergie de Richard et Mildred, dit-elle. C’est grâce à cela qu’avec Joel, on s’est glissés sans mal dans la peau de nos personnages. C’était comme une deuxième nature. »

Joel Edgerton confirme : « On ne sait jamais à l’avance si l’alchimie va prendre avec sa partenaire, mais Ruth et moi nous sommes sentis très vite à l’aise l’un avec l’autre. Le scénario de Jeff est magnifiquement bien écrit. C’est une histoire qui vous touche au coeur et vous remue profondément. C’était extraordinaire pour nous d’exprimer toutes ces émotions sans recours au dialogue. »

  
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