Comédie/Une nouvelle absurdité réussie made by Quentin Dupieux
Réalisé par Quentin Dupieux
Avec Mark Burnham, Eric Judor, Marilyn Manson, Steve Little, Eric Wareheim, Arden Myrin, Daniel Quinn, Grace Zabriskie, Jennifer Blanc, Tim Trobec, Ray Wise, Joel Bryant, Isabella Palmieri, Roxane Mesquida, Don Stark, Agnes Bruckner, Bob McCracken, Brandon Beemer, Ping Wu, Mary Loveless, Jonathan Lajoie, Alyssa Preston, Brennan Feonix, Vanessa Sapien, Peter Crossley, Steve Howey, Jack Plotnick, Eddie Tapia, Kurt Fuller, Eric Roberts, Max Nicolas...
Long-métrage Français
Durée : 01h25mn
Année de production : 2013
Distributeur : UFO Distribution
Page Facebook du film : https://www.facebook.com/WRONGCOPS
Twitter : https://twitter.com/UFODISTRIBUTION et #WrongCops
Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs (et c'est pas une blague!)
Date de sortie sur nos écrans : 19 mars 2014
Résumé : Los Angeles 2014. Duke, un flic pourri et mélomane, deale de l’herbe et terrorise les passants. Ses collègues au commissariat: un obsédé sexuel, une flic maître chanteur, un chercheur de trésor au passé douteux, un borgne difforme se rêvant star de techno… Leur système fait de petites combines et de jeux d’influence se dérègle lorsque la dernière victime de Duke, un voisin laissé pour mort dans son coffre, se réveille.
Bande annonce (VOSTFR)
Teasers
Teaser #1 Burnham VOSTFR
Teaser #2 Judor VOSTFR
Teaser #3 Wareheim VOSTFR
Ce que j'en ai pensé : J'avais adoré RUBBER de Quentin Dupieux. Il avait poussé l'absurdité jusqu'au bout en mettant en scène un pneu serial killer et il avait réussi à faire fonctionner cette idée complètement barrée. Avec WRONG COPS, il reste fidèle à son style, à ses acteurs et fait plusieurs clins d'oeil à ses films précédents (y compris bien sûr à WRONG).
Le film est donc délire et absurde comme on s'y attend mais il n'a pas le côté jusqu'au boutiste de RUBBER. Il est un peu irrégulier. Il y a d'excellentes scènes dans lesquelles les acteurs font merveilles (Marylin Manson est fandard et surprenant dans le rôle qu'il interprète), mais il y a aussi des moments pendant lesquels rien de vraiment intéressant ne se passe. Certes c'est aussi une marque de fabrique des films de Quentin Dupieux, mais comme l'action de WRONG COPS se base sur la réalité (au contraire de RUBBER qui partait d'un postulat totalement irréaliste), du coup, les longueurs ressortent.
Toujours est-il qu'il nous sert un portrait peu flatteur de la police de Los Angeles, très éloigné de tout ce que l'on voit d'habitude. L'absurdité et l'humour lui autorise tous les excès puisque rien ne paraît sérieux. J'ai apprécié qu'il sorte des sentiers battus sur ce sujet et qu'il ose tout.
Les acteurs sont parfaits en loosers, manipulateurs, menteurs, idiots, pervers et autres noms d'oiseaux. Ils s'en donnent à cœur joie et nous font marrer.
La musique est omniprésente et rappelons qu'elle est l'oeuvre du réalisateur qui se fait appeler Mr Oizo lorsqu'il passe derrière les platines. Ses fans musicaux apprécieront.
Quentin Dupieux, le réalisateur |
Toujours est-il qu'il nous sert un portrait peu flatteur de la police de Los Angeles, très éloigné de tout ce que l'on voit d'habitude. L'absurdité et l'humour lui autorise tous les excès puisque rien ne paraît sérieux. J'ai apprécié qu'il sorte des sentiers battus sur ce sujet et qu'il ose tout.
Les acteurs sont parfaits en loosers, manipulateurs, menteurs, idiots, pervers et autres noms d'oiseaux. Ils s'en donnent à cœur joie et nous font marrer.
WRONG COPS n'est pas pour moi le meilleur délire de Quentin Dupieux mais il reste un pur produit sorti de l'esprit original de ce réalisateur aux multiples talents. Si on aime son style et ses films alors WRONG COPS est définitivement à découvrir.
Musique
Notes de production
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers!)
Note d’intention du producteur
Produire Rubber ou Wrong et plus encore Wrong Cops : il faut être
inconscient ou fou ?
Il faut prendre des risques et faire une confiance
pleine à l’artiste que vous avez choisi de défendre. Les intérêts financiers de
la production, imposent des temps institutionnels longs et une chaîne de
décisions complexes pour réunir les financements et les acteurs ; mais certains
cinéastes ne parviennent pas à fonctionner à l’intérieur de ce temps. Comme un
peintre veut créer tout de suite quand vient l’inspiration, ils veulent écrire
et tourner avec la certitude de terminer leur œuvre. Pour accompagner ces
auteurs et répondre à la temporalité, immédiate, de la pulsion artistique, il
faut annuler le temps institutionnel. C’est un peu fou et inconscient mais vous
êtes seul avec l’artiste et c’est donc aussi un moment exceptionnel de
communion.
Pourtant le
cinéma a évolué vers quelque chose de plus institutionnalisé ; comment jouer et
gagner ?
C’est difficile de jouer aujourd’hui. Un producteur se
lance quand il a financé son film avec son salaire et les frais compris. Il
risque sa réputation ou son prochain projet mais il ne risque pas sa maison ou
sa boite. La prise de risque peut d’ailleurs se voir sanctionnée par le système
du pré financement : si vous n’attendez pas votre ticket pour tourner,
l’écosystème efficace du cinéma français peut se retourner car il ne peut pas «
revenir en arrière ». La logique est implacable : « Un film tourné n’a plus
besoin d’être aidé ». Pourtant ces films qu’il faut finir ou promouvoir et qui
n’auraient jamais dû exister, ont souvent un retentissement et une longévité
inattendus. Ils ont la force du miraculé. Ils sont les enfants monstrueux et
mal nourris qu’on a choisi de ne pas avorter ! Exclus du monde des produits
validés ils veulent à tous prix exister, imposer leur singularité et ils
rappellent que le cinéma a été le lieu de grands enjeux artistiques et
intellectuels. Economiquement avec Wrong Cops
j’ai joué et j’ai perdu. Mais faire un film est toujours un miracle. Il
ne faut pas se comparer aux films abondamment financés et promus qui sont
nécessaires au cinéma. Il faut penser à ces centaines de fœtus de films qui ne
verront jamais le jour ; Wrong Cops a gagné car son fœtus
a survécu à l’aspirateur implacable du système de pré sélection.
Comment se passe
la procréation alors ?
Lorsque Quentin Dupieux a un projet précis en tête,
plus rien d’autre n’existe pour lui. Nous en parlons et je m’efforce, quoi
qu’il arrive, de lui donner dès le départ la certitude que son film va exister.
Cette confiance lui donne des ailes. L’annulation de la crainte du « non »
devient le moteur le plus performant de sa création. Nous sommes durant cette
période les seuls décisionnaires. Avec Rubber en 2010, nous
avons opéré une inversion des paradigmes et c’est devenu notre dogme, (le Rubber Dogma) réitéré à
chaque fois : nous partons du postulat que le film verra le jour, et que, comme
nous, d’autres fonctionneront au coup de coeur et prendront le risque de nous
suivre, qu’ils soient financeurs ou acteurs. Bien entendu, il y a un principe
de réalité : respecter un petit budget et tourner dans un temps donné, ou bien
tourner aux Etats-Unis et en anglais pour vérifier sa portée internationale. Wrong Cops
était au départ un pilote, que nous sommes allés présenter aux
institutionnels, pour obtenir leur soutien en vue de réaliser une version
longue. C’était une démarche atypique dans le cinéma qui fonctionne au scénario
plus qu’au pilote. L’originalité n’a pas payé et Quentin comme moi avons été
très surpris de voir ce pilote pourtant très bien accueilli (à la Quinzaine à
Cannes puis à Sundance et multi-diffusé sur Canal Plus) ne trouver aucun
soutien institutionnel. Fidèle au « Rubber Dogma », j’ai conservé la date de
tournage. C’était un risque inouï, nous n’avions vraiment aucun financement et
avons trouvé des moyens aux Etats-Unis où l’argent est cher. Le film a été
tourné aux Etats-Unis en vingt-cinq jours. Les acteurs dont nous rêvions ont
rejoint le projet et nous avons repoussé à plus tard le bouclage du
financement… que nous poursuivons toujours.
Donc vous
attendez la confrontation avec le public pour valider cette folie ?
Exactement. J’espère que le public va aimer cette
créature étrange et la soutenir. Wrong Cops est à l’image de
ce « Rubber Dogma »: fils monstrueux né d’une union contre nature, et contre la
politique de l’enfant unique. C’est l’enfant caché, honteux, bruyant et agité,
qu’on aime passionnément. Ce film reste avec nous comme une blessure et une
fierté. Wrong Cops nous a donné nos plus grands moments
de communion ou d’engueulades. Il est resté à la porte de Cannes (qui semblait
l’attendre comme le fils prodigue, et a finalement rejeté le rejeton) et des
télévisions; mais on ne se lasse pas de revoir Wrong Cops
en festival. Cette sortie et ce moment avec le public, c’est le plus
important pour Quentin comme pour moi.
Et la suite ?
Tout a été atypique dans la façon de faire ce film et
nous avons l’impression d’inventer et d’expérimenter quelque chose qui pourra
inspirer d’autres réalisateurs et producteurs. C’est la fin d’une période de 25
ans de cinéma soutenu par les télévisions et le début de nouveaux schémas de
financement qui se mettront en place. Si on veut éviter que le cinéma indépendant
ne singe le formatage des grosses productions ou applique des recettes, cette
période de transition est nécessaire et permettra l’émergence de nouveaux
relais et soutiens plus jeunes et plus « fous ». Il n’y a pas « trop de films »
ou « trop de producteurs » : il y a trop peu de guichets et trop peu de
risques. Nous avons fait le prochain « Réalité » dans la même urgence en
refusant d’ajourner le tournage quand les financements furent perdus ; et le
miracle a eu lieu. Il faut tenir sur ce dogme et j’espère que de nombreux
soutiens viendront. Le seul moteur c’est le talent et la vision de Quentin ; il
construit une œuvre solide et influente et je suis très heureux d’avoir la
chance de l’accompagner.
Grégory Bernard
Entretien avec Quentin Dupieux
Wrong Cops est encore un
drôle d’objet, mais la quête de l’étrangeté semble moins volontariste que dans
vos autres films.
Le film est plus terre à terre, c’est vrai. Mais
attention, je n’essaie jamais d’être étrange ! Ce film a été conçu selon le
même procédé d’écriture où je laisse aller mon imagination, à la manière de
l’écriture automatique des surréalistes. Je suis content que Wrong Cops
soit limpide au final car c’est mon projet le plus tortueux, le moins limpide
justement dans sa fabrication. La première impulsion, c’est un court métrage
avec Marylin Manson et Mark Burnham dont il ne reste que quelques passages dans
le long métrage. Après avoir terminé le court, on s’est dit que la formule
marchait bien; alors je me suis lancé dans l’écriture de six nouveaux chapitres
du même format que j’ai montés l’un à la suite de l’autre. Mais une fois fini, j’avais
l’impression que ça ne faisait pas un film. Du coup je suis retourné en salle
de montage et j’ai totalement réinventé l’ordre des choses. En général, je
monte mes films en restant rigoureusement fidèle au scénario d’origine. C’est
le cas pour Wrong et Rubber. C’est sans
doute la première fois que j’expérimente le montage comme réécriture du film.
J’ai en quelque sorte mélangé toutes les cartes. Du coup ça crée un rythme qui
n’est pas tout à fait celui auquel je suis habitué, j’aime bien.
Avec ce nouveau montage où vous mélangez toutes les
histoires, on a vraiment le sentiment que vous décrivez une petite communauté.
Oui, c’est vrai. Avec la construction d’origine,
chaque personnage avait son chapitre. On en retrouvait quelques-uns d’un
chapitre à l’autre, mais globalement ils restaient assez isolés les uns des
autres.
J’imagine que vous avez dû élaguer au sein de chaque
chapitre.
Oui. J’ai raboté beaucoup de plans ou de péripéties
qui ne faisaient pas avancer l’histoire, des scènes que j’avais gardées pour le
pur plaisir du jeu d’un comédien par exemple. Pour cette raison le film est
assez court, mais je crois que la durée courte fait partie intégrante de mon
style et de ma façon de raconter des histoires.
D’où est venue l’idée de travailler sur des
personnages de flics ?
C’est une idée qui m’est venue sur Wrong où Mark Burnham
avait une courte scène où il était absolument génial. Dès son casting vidéo,
j’étais dingue de lui. Il récitait son texte de manière fermée, ce qui le
différenciait des autres acteurs qui essayaient d’incarner un personnage. Lui
jouait comme s’il n’en avait rien à faire. Il avait quelque chose de brut qui
m’a immédiatement plu. Et il est comme ça dans la vie. Dans un café, un lieu
public, tout le monde se retourne car il parle fort, il dégage. Il n’est pas
horrible comme dans le film, mais il a une personnalité impressionnante. J’ai
donc eu l’idée de faire une sorte de spin-off à partir de ce personnage. Trois
mois plus tard, je sortais un disque et je me suis dit que ce serait bien de
faire un petit film pour la promo plutôt qu’un clip. Au même moment, Marylin
Manson m’avait contacté parce qu’il était fan de Rubber et voulait travailler
avec moi d’une manière ou d’une autre.
C’est drôle que vous parliez de « spin-off » car il y
a quelque chose d’une série télé dans le film, un côté « serial » qui tient peut-être
à la façon dont les événements se suivent un peu à la manière de mini épisodes.
C’est précisément comme ça que le film a été conçu. La
première idée – qui était une fausse bonne idée – c’était de recréer
l’addiction de la série dans une salle de cinéma. On l’a d’ailleurs expérimenté
à mi-chemin de la post production. Nous sommes allés au Festival de Sundance
avec trois chapitres, agrémentés pour chacun d’eux d’un petit générique très
court, pour une durée globale de 40 minutes. Ça marchait du feu de dieu. Dès
que le générique redémarrait, la salle était hystérique. J’aurais pu poursuivre
dans cette voie-là, mais je crois que mes envies de cinéma étaient plus fortes
que tout.
Même formellement, il y a des effets de relance ou de
clôture qui évoquent lointainement la série télé. Je pense par exemple aux
arrêts sur image assez fréquents.
Wrong était un film un peu maniéré, très
cadré, et pour Wrong Cops je voulais quelque chose de plus sale,
avec des zooms à des moments qui ne veulent rien dire, ce genre de choses. C’était
à la fois une approche série télé et série z !
Dans Wrong il y avait un côté miniature, film clos sur
luimême. Là en effet, c’est comme si vous lâchiez prise volontairement.
Oui, tout s’est fait très rapidement. J’écrivais les
chapitres pendant deux ou trois jours, je ne relisais pas, j’envoyais
directement le texte à la traduction. C’était une perspective assez excitante
de faire le film très vite. Quand j’écrivais le 4ème chapitre, j’avais déjà
oublié ce qui se passait dans le 3 ! J’avais envie d’un objet à la fois léger et
vulgaire.
Il y a une nouveauté dans Wrong Cops : jamais dans vos
autres films il n’y avait cette obsession du sexe.
Consciemment je voulais m’éloigner un moment de mon
univers aseptisé et minutieux. J’écris toujours un nouveau film dans le rejet
de celui qui précède.
Le personnage de Wrong par exemple était
complètement asexué.
Oui, on peut même dire que pour lui ça n’existe pas.
Et ce n’est pas une sexualité normée que vous décris,
mais foncièrement obsessionnelle et joyeusement déviante.
En fait au départ je voulais peindre une humanité dans
laquelle je n’ai pas foi. Quand je vois les horreurs du monde qui nous entoure,
j’ai pitié de l’Homme. Je voulais me moquer un peu de tout ça, à travers la
misère sexuelle et le rapport au Dieu argent, deux choses qui traversent le
film. Les bassesses qui font que ce flic couche avec un travelo et se permet d’être
odieux avec lui ensuite et l’insulte. Mais ce qu’on voit globalement ce sont
des personnages qui se contentent d’en parler. Je n’avais pas envie de filmer
des gens qui baisent.
Marylin Manson est le seul qui n’a pas l’âge de son
personnage. Vous ne craigniez pas que la greffe avec les autres personnages
prenne difficilement ?
Non, au pire le risque aurait été qu’il passe pour un
attardé mental resté chez sa mère. Mais quand nous nous sommes vus pour la
première fois, j’étais face à un adolescent. Je n’ai pas rencontré une vieille
rock star, mais un gamin tout excité qui, par exemple, ouvrait ses cartons pour
me montrer un saxophone qu’il avait reçu gratuitement alors qu’il ne sait pas
en jouer ! Il a quelque chose de très juvénile. Il peint, il fait de la photo,
des vidéos, c’est quelqu’un de très créatif et curieux. Il m’est apparu comme
une évidence de créer ce personnage d’ado spécialement pour lui.
Vous êtes donc parti de la personnalité de Mark Bunham
et Marylin Manson pour construire leurs personnages. Mais ce n’est pas
systématique j’imagine, je pense à Eric Judor dont le personnage est
complètement fantaisiste.
Eric est un acteur que je n’ai jamais dirigé. Sur Wrong, on s’était mis
d’accord sur cet accent français à couper au couteau et ensuite on a fait notre
propre cuisine. Wrong Cops est le troisième
film que nous faisons ensemble et il fallait inventer quelque chose de nouveau.
La plupart des acteurs de Wrong Cops sont des gens
avec qui vous avez déjà tourné, il me semble, ce qui en fait un film un peu
différent de vos précédents. Comme si vous vous livriez à un autre type de jeu
de rôles avec eux.
Absolument. Un des moteurs c’est aussi la frustration
de ne pas avoir suffisamment expérimenté avec eux sur le film précédent. Jack
Plotnick n’avait eu que deux jours sur Rubber, si bien que
j’ai eu le désir très fort de développer une collaboration plus complète avec
lui dans Wrong. Même chose avec Arden Myrin, qui
jouait la patronne de Plotnick dans une courte scène de Wrong. Elle m’avait
tellement impressionné que j’ai inventé pour elle ce rôle de flic odieuse. Il y
a tout de même deux nouveaux venus, Marylin Manson et Eric Wareheim, qui interprète
ce flic obsédé par les seins et apparaît dans mon prochain film Réalité.
On identifie désormais une couleur Quentin Dupieux,
notamment sur les acteurs.
Peu à peu j’approfondis ma relation à eux. Sur Wrong, Steve Little
avait accepté le job, mais je sentais que ce n’était pas un moment si spécial
pour lui. Il se trouve qu’il a adoré le film. Du coup quand il revient dans Wrong Cops, sa performance est
beaucoup plus épanouie. Il se protège moins.
C’est peut-être pour cette raison aussi qu’on sent
moins une volonté d’être bizarre, la relation aux acteurs est plus organique,
on a moins le sentiment que chaque acteur a sa grande scène.
Effectivement, dans Wrong on peut avoir le
sentiment que c’est une bizarrerie conçue, même si je pense que c’est mon film
le plus abouti. En fait, la nouveauté c’est peut-être cette impression que les
personnages de Wrong Cops existent dans la vraie vie,
contrairement aux autres films qui sont plus codés. Là on est rattaché au sol,
en quelque sorte. Et ils ont des obsessions dans lesquelles on peut se
reconnaître. Je voulais faire une pose sur l’absurde pur et dur, même si je ne
renonce pas du tout à creuser cette veine dans le futur. Si on habitue les gens
à l’absurde, cet absurde devient lui-même routinier. Je voulais m’essayer au
premier degré, tout en gardant le même ton, le même monde.
Pour en revenir à Eric Judor, il a un personnage très
singulier, ne serait-ce que physiquement.
Comme on connaît bien Eric, j’avais un peu peur qu’on
le voit simplement accoutré d’un déguisement. Mark Burnham en costume de flic,
avec cette gueule et ce port de corps, son attitude, est une sorte d’évidence.
Steve Little, lui, j’en ai fait un flic de bureau car je craignais aussi
l’effet déguisement. Là il est un peu bedonnant, ça marche bien. Je ne voulais
pas tomber dans le pastiche du film de flics. Surtout qu’il ne se passe rien,
ils ne travaillent pas, n’utilisent jamais leurs armes. On a d’ailleurs eu
cette crainte au mixage si bien que le mixeur a injecté des sons de talkies
walkies, des petits trucs pour signifier que ce sont des vrais flics. Eric
Judor est spontanément un mec drôle. On peut l’habiller n’importe comment, il
sera drôle parce qu’il a un langage du corps assez fort. J’ai eu cette sorte
d’instinct de lui forcer le trait, un peu à la manière de certains personnages
de John Carpenter. On ne sait pas pourquoi il a une moustache et une bosse,
mais ça le caractérise fortement. La bosse était beaucoup plus petite au
départ, puis on s’est dit qu’il fallait carrément y aller. Et la moustache n’était
pas prévue. Il a vu une moustache grise qui traînait, il l’a portée sans rien
me dire et quand je l’ai découvert, je me suis pissé dessus de rire. S’il me
faisait autant marrer, il n’y avait aucune raison d’hésiter à aller dans ce
sens. Si Mark Burnham met une fausse moustache, on va juste penser qu’il a une fausse
moustache. C’est différent avec Eric qui amène son personnage vers quelque chose
de plus inattendu. J’ai forcé le trait pour éviter qu’on ne croît pas à lui en
tant que flic.
C’est une manière de faire diversion, on ne se pose
même plus la question de savoir s’il est crédible en flic ou pas.
Exactement. Et puis cette bosse qui lui déforme un peu
le visage permet de le voir différemment. Les premières heures de tournage
ressemblaient trop à ce qu’on avait déjà fait ensemble. Je lui ai raconté que
son personnage avait eu un accident cérébral et que du coup il fallait peu de
modulations dans sa façon de jouer. J’en ai fait une sorte de mec un peu robotique,
même si paradoxalement c’est un des rares personnages à avoir un cœur.
Son obsession à vouloir devenir musicien le rend même très
émouvant. La musique est d’ailleurs l’autre grande nouveauté du film, après le
sexe : Mark Burnham qui a l’air d’un grand connaisseur de musique techno, le
voisin moribond qui se mue en consultant musical, etc…
J’avais envie de profiter de mon catalogue de morceaux
que j’ai accumulés depuis 15 ans. Ça faisait partie des entrailles du film dès
le début. L’idée était de traduire ma musique en image. Faire un clip c’est
déjà un peu la même ambition, mais c’est moins satisfaisant. Je voulais
retrouver cet état d’esprit complètement basique et un peu débile qui m’anime
parfois quand je fais de la musique, ce néant intellectuel que je ressens quand
je joue dans des soirées au point que ça produit quelque chose d’inouï sur le
dance floor. Je suis content de séparer ma musique de mes films, je peux ainsi
creuser deux sillons à part, mais pour cette fois j’avais envie de faire se
croiser les deux.
J’imagine qu’il y a une dimension un peu
autobiographique dans les différentes saynètes tournant autour de la musique.
Effectivement. La scène de la maison de disque est écrite
pour l’écran mais c’est le genre de situations que j’ai vécues, ces moments de
gêne où on comprend trop tard qu’on n’est pas devant la bonne personne. Ou
encore cet embarras à devoir dire à un copain que le morceau qu’il fait écouter
est nul. Quant à la musique qu’on entend presque systématiquement dans les
scènes de voiture, ça vient de la façon que j’avais, pendant les dix premières
années de musique, d’écouter un même morceau 200 fois d’affilée pour vérifier
s’il est valable. Ce n’est pas à proprement parler autobiographique mais, très clairement,
je suis allé piocher dans mon vécu.
La musique du film n’a pas juste valeur
d’accompagnement. Vous mettez en scène le processus de création musicale, l’écoute
de la musique, le jugement qu’on peut avoir sur un morceau etc…
C’est la première fois que j’assume pleinement de
parler musique dans un de mes films. Cette musique est quand même très
agressive pour les non-initiés, mais moi j’adore la faire et l’intégrer à mon
univers de cinéma. J’ai eu du succès avec un morceau absurde, dans un moment
absurde où tout était absurde. Quand je réécoute le morceau aujourd’hui, je
trouve qu’il a plutôt bien vieilli, mais je me rends compte qu’il n’y a même
pas de production, qu’il été fait dans un petit laboratoire. C’est inouï que ce
truc ait été un tube. Le succès hasardeux ça marche une fois, ensuite il faut
vraiment se donner de la peine pour réitérer l’expérience. Or je n’ai jamais
joué le jeu de la promo. Normalement on se pose avec des mecs de l’industrie musicale
qui réfléchissent et vous demandent si vous avez envie de faire un clip
suffisamment séduisant pour donner envie aux gens, faire un morceau un peu plus
accessible avec un mec qui chante… Personnellement j’ai juste continué à faire
de la musique pour me faire plaisir. Je suis resté un peu underground parce que
ce je m’y sens bien.
C’est aussi ce qu’il y a de beau dans le film, vous
décrivez de purs amateurs de musique, au sens premier du terme, complètement
désintéressés. Ça amène les personnages vers autre chose que la description de
gens bêtes et méchants.
Je ne l’avais pas
pensé ainsi mais c’est vrai. La seule chose que j’ai un peu conceptualisée,
c’est l’idée que le personnage principal, Duke - joué par Mark Burnham - était
l’équivalent de ma musique, un truc un peu rugueux qui vous gueule dessus, qui
peut être attendrissant, mais qui prend trop de place dans une pièce. Il
représente davantage ma musique qu’une belle femme car ma musique n’est pas
sexy. Et puis j’aimais bien l’idée de montrer ce mec qui décide ce qui est bon
et ce qui ne l’est pas (rires). Pour la musique composée par Eric Judor dans le
film, j’ai pris mon morceau le plus con. J’ai réellement compris que je tenais
un sujet quand j’ai terminé le court métrage d’origine avec le mec dans le
coffre. Il est en train de mourir, on se dit « ah merde il n’est pas mort », et
lui change totalement de registre quand il cherche à savoir quelle est cette
musique qui passait dans la voiture. Je ne voulais pas lâcher ce fil, c’est
pour cette raison que j’ai gardé ce voisin moribond qui parcourait les sept
chapitres dans le premier montage.
Est-ce que vous auriez envie de faire un film ayant
comme sujet explicite la musique ?
Je ne sais pas, tout peut arriver. Ce qui est certain
c’est que j’ai toujours envie de fuir ce que je suis en train de faire. Mais le
vrai problème qui se pose c’est que ma musique, en l’état, me coupe de 98% de
la population mondiale. Et je sais que des gens vont subir ma musique dans ce
film. Je ne suis pas sûr de vouloir davantage imposer ça aux spectateurs !
(rires). Par contre je pourrais écrire sur un personnage de musicien.
Cet univers musical est très masculin. D’ailleurs
aucun personnage féminin du film n’est vraiment concerné par la musique.
Cette musique à l’évidence a quelque chose de très
masculin – ce qui n’empêche pas que des filles viennent à mes concerts.
S’intéresser au son de la caisse claire c’est vraiment un truc de mecs, il n’y
a que des mecs pour faire cette musique de dégénérés !
Vos personnages sont un peu ça : dégénérés. Mais en même
temps il n’y a jamais rien de méprisant à leur encontre. Vous êtes-vous posé la
question de savoir comme éviter de tomber dans cet écueil ?
A plein de moments dans le montage j’ai eu peur de ça
en effet, et aussi d’être un peu lâche par rapport à mon sujet. J’ai
l’impression que le film est rigolo, drôle par moments, suffisamment étonnant
pour qu’on évite de sentir un malaise. J’ai même l’impression que mes autres
films mettaient plus mal à l’aise.
Ça tient aussi à l’écriture des personnages. Au bout
de leur parcours, vous ajoutez souvent quelque chose qui change la perspective
qu’on avait sur eux. Par exemple le discours existentialiste de Mark Burnham
dans la scène de l’enterrement, ou encore Eric Wareheim qui finit enfin par comprendre
que sa partenaire est odieuse avec lui.
J’ai beaucoup de tendresse pour tous ces personnages. Même
si ces flics ripoux qui agressent les gens, c’est un peu une description de
l’Enfer, on reste quand même chez les Télétubbies. J’aime l’idée
qu’on garde une sorte de détachement, une légèreté. Et puis ça se termine par
une danse, il n’y a presque aucune conséquence à rien.
Ça vaut aussi pour les personnages plus secondaires comme
la maîtresse d’Eric Judor dont on comprend le sentiment d’ennui en deux plans,
ou même de son mari, un personnage qui pourrait n’être que prétexte à moquerie,
mais qui devient touchant quand il réfléchit à la musique de Judor.
Je connais le risque de ces petites scènes écrites
pour faire transition où le mec n’est là que pour deux blagues. Au bout d’une
heure de film, si le personnage n’a pas un peu plus à nous livrer, il y a
toutes les chances pour qu’on s’en fiche complètement. Il faut que le
personnage ait une raison d’être à l’écran, sinon ce n’est pas la peine.
Surtout aux Etats-Unis où un acteur qui joue bien, c’est le minimum syndical.
Il faut donner un peu plus aux acteurs, même dans un tout petit rôle, pour
qu’ils puissent vraiment incarner un personnage, éviter la petite vignette
inconséquente.
L’apparition de la biche à la fin, est-ce un hommage à
l’autruche de La voie lactée de Buñuel ?
Tout dans mes films est un hommage à l’autruche de
Buñuel ! Cette autruche qui apparaît à la fin du film, après que ce type a tué
tout le monde, pour moi c’est une définition du cinéma. Dans Wrong Cops, j’adore l’idée
que ce personnage qui vient de faire une tirade conceptuelle sur sa conception
de l’Enfer et du Paradis se retrouve face à face avec une biche. Cela dit, il y
a beaucoup de bestioles dans mes films. Un type dans une chambre d’hôtel avec
une dinde dans Rubber, des lapins, un chien dans Wrong…
La biche apparaît dans une sorte de climax où on se
dit que le réel de ce type pourrait basculer dans autre chose, et puis
finalement non, on revient à sa réalité un peu sinistre.
La tristesse, c’était un gros pari. Il y a notamment
ce passage musical un peu triste quand on les voit tous complètement perdus. Je
voulais à tout prix éviter le petit goût amer du petit malin qui s’est bien
marré sur le dos de ses personnages, mais qui du coup fait l’impasse sur
l’émotion.
La biche, c’est la possibilité de ce bouquin que la
veuve lui dit d’écrire et qui pourrait changer sa vie. Mais cette possibilité s’évapore
parce qu’il est trop stone, c’est presque tragique.
Oui, comme s’il prenait conscience que la beauté
existe dans le monde mais sans pouvoir ne serait-ce que la toucher.
La femme flic jouée par Arden Myrin est un personnage extraordinaire.
D’où vient cette comédienne ?
Elle bosse sur Mad TV, c’est une
actrice comique qui intervient dans des émissions de type Saturday
Night Live.
Elle a un truc qu’ont beaucoup de comédiens
américains, une incroyable plasticité, une sorte d’hyper-expressivité, pas très
loin du cartoon.
Oui, elle est grandiose. Je n’ai pas eu à la diriger
beaucoup. C’est ce genre d’acteur américain assez mécanique, qu’on ne gère pas
avec des indications psychologiques, mais plutôt avec des paramètres du type «
essaie sans le sourire », « là, moins fort » etc.., parce qu’elle est tout le
temps excellente. Et puis elle est pleine d’initiatives. Je ne savais pas
qu’elle allait se pointer avec ces ongles-là, avec cette coupe de cheveux, hyper
attifée et vulgaire. Je me suis même demandé si ce n’était pas un peu trop mais
en fait elle est parfaite comme ça.
C’est peut-être le seul personnage qui incarne la
méchanceté pure, jusqu’à l’ignorance de sa propre méchanceté, presque candide.
Il y a très peu de rôles féminins dans mes films, mais
globalement les femmes y sont bien plus intelligentes que les hommes. La veuve
est héroïque face à cet imbécile de flic qui lui dit que sa fille pue le
poisson. Ce sont les personnages les plus lucides. Les hommes sont moins
glorieux. Quant à Arden Myrin, ce qui synthétise l’horreur de son personnage,
c’est la tête qu’elle fait quand elle montre son pognon à ces pauvres filles.
C’est fait pour rire, mais en même temps c’est la cruelle réalité. J’ai déjà
assisté à des scènes dans la vie où des filles hautaines arrivent en boîte de
nuit en Lamborghini pour faire baver les filles qui roulent en Peugeot. C’est
la même horreur.
Propos recueillis
par Jean-Sébastien Chauvin.
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