dimanche 16 mars 2014

Back to the future


Comédie/Une nouvelle absurdité réussie made by Quentin Dupieux

Réalisé par Quentin Dupieux
Avec Mark Burnham, Eric Judor, Marilyn Manson, Steve Little, Eric Wareheim, Arden Myrin, Daniel Quinn, Grace Zabriskie, Jennifer Blanc, Tim Trobec, Ray Wise, Joel Bryant, Isabella Palmieri, Roxane Mesquida, Don Stark, Agnes Bruckner, Bob McCracken, Brandon Beemer, Ping Wu, Mary Loveless, Jonathan Lajoie, Alyssa Preston, Brennan Feonix, Vanessa Sapien, Peter Crossley, Steve Howey, Jack Plotnick, Eddie Tapia, Kurt Fuller, Eric Roberts, Max Nicolas...

Long-métrage Français
Durée : 01h25mn 
Année de production : 2013 
Distributeur : UFO Distribution 
Page Facebook du film : https://www.facebook.com/WRONGCOPS
Twitter : https://twitter.com/UFODISTRIBUTION et #WrongCops

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs (et c'est pas une blague!)

Date de sortie sur nos écrans : 19 mars 2014


Résumé : Los Angeles 2014. Duke, un flic pourri et mélomane, deale de l’herbe et terrorise les passants. Ses collègues au commissariat: un obsédé sexuel, une flic maître chanteur, un chercheur de trésor au passé douteux, un borgne difforme se rêvant star de techno… Leur système fait de petites combines et de jeux d’influence se dérègle lorsque la dernière victime de Duke, un voisin laissé pour mort dans son coffre, se réveille.

Bande annonce (VOSTFR)



Teasers

Teaser #1 Burnham VOSTFR

Teaser #2 Judor VOSTFR

Teaser #3 Wareheim VOSTFR

Ce que j'en ai pensé : J'avais adoré RUBBER de Quentin Dupieux. Il avait poussé l'absurdité jusqu'au bout en mettant en scène un pneu serial killer et il avait réussi à faire fonctionner cette idée complètement barrée. Avec WRONG COPS, il reste fidèle à son style, à ses acteurs et fait plusieurs clins d'oeil à ses films précédents (y compris bien sûr à WRONG).

Quentin Dupieux, le réalisateur
Le film est donc délire et absurde comme on s'y attend mais il n'a pas le côté jusqu'au boutiste de RUBBER. Il est un peu irrégulier. Il y a d'excellentes scènes dans lesquelles les acteurs font merveilles (Marylin Manson est fandard et surprenant dans le rôle qu'il interprète), mais il y a aussi des moments pendant lesquels rien de vraiment intéressant ne se passe. Certes c'est aussi une marque de fabrique des films de Quentin Dupieux, mais comme l'action de WRONG COPS se base sur la réalité (au contraire de RUBBER qui partait d'un postulat totalement irréaliste), du coup, les longueurs ressortent.

Toujours est-il qu'il nous sert un portrait peu flatteur de la police de Los Angeles, très éloigné de tout ce que l'on voit d'habitude. L'absurdité et l'humour lui autorise tous les excès puisque rien ne paraît sérieux. J'ai apprécié qu'il sorte des sentiers battus sur ce sujet et qu'il ose tout.

Les acteurs sont parfaits en loosers, manipulateurs, menteurs, idiots, pervers et autres noms d'oiseaux. Ils s'en donnent à cœur joie et nous font marrer.








La musique est omniprésente et rappelons qu'elle est l'oeuvre du réalisateur qui se fait appeler Mr Oizo lorsqu'il passe derrière les platines. Ses fans musicaux apprécieront. 
WRONG COPS n'est pas pour moi le meilleur délire de Quentin Dupieux mais il reste un pur produit sorti de l'esprit original de ce réalisateur aux multiples talents. Si on aime son style et ses films alors WRONG COPS est définitivement à découvrir.

Musique



Notes de production
(A ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers!)

Note d’intention du producteur

Produire Rubber ou Wrong et plus encore Wrong Cops : il faut être inconscient ou fou ?

Il faut prendre des risques et faire une confiance pleine à l’artiste que vous avez choisi de défendre. Les intérêts financiers de la production, imposent des temps institutionnels longs et une chaîne de décisions complexes pour réunir les financements et les acteurs ; mais certains cinéastes ne parviennent pas à fonctionner à l’intérieur de ce temps. Comme un peintre veut créer tout de suite quand vient l’inspiration, ils veulent écrire et tourner avec la certitude de terminer leur œuvre. Pour accompagner ces auteurs et répondre à la temporalité, immédiate, de la pulsion artistique, il faut annuler le temps institutionnel. C’est un peu fou et inconscient mais vous êtes seul avec l’artiste et c’est donc aussi un moment exceptionnel de communion.

Pourtant le cinéma a évolué vers quelque chose de plus institutionnalisé ; comment jouer et gagner ?

C’est difficile de jouer aujourd’hui. Un producteur se lance quand il a financé son film avec son salaire et les frais compris. Il risque sa réputation ou son prochain projet mais il ne risque pas sa maison ou sa boite. La prise de risque peut d’ailleurs se voir sanctionnée par le système du pré financement : si vous n’attendez pas votre ticket pour tourner, l’écosystème efficace du cinéma français peut se retourner car il ne peut pas « revenir en arrière ». La logique est implacable : « Un film tourné n’a plus besoin d’être aidé ». Pourtant ces films qu’il faut finir ou promouvoir et qui n’auraient jamais dû exister, ont souvent un retentissement et une longévité inattendus. Ils ont la force du miraculé. Ils sont les enfants monstrueux et mal nourris qu’on a choisi de ne pas avorter ! Exclus du monde des produits validés ils veulent à tous prix exister, imposer leur singularité et ils rappellent que le cinéma a été le lieu de grands enjeux artistiques et intellectuels. Economiquement avec Wrong Cops j’ai joué et j’ai perdu. Mais faire un film est toujours un miracle. Il ne faut pas se comparer aux films abondamment financés et promus qui sont nécessaires au cinéma. Il faut penser à ces centaines de fœtus de films qui ne verront jamais le jour ; Wrong Cops a gagné car son fœtus a survécu à l’aspirateur implacable du système de pré sélection.

Comment se passe la procréation alors ?

Lorsque Quentin Dupieux a un projet précis en tête, plus rien d’autre n’existe pour lui. Nous en parlons et je m’efforce, quoi qu’il arrive, de lui donner dès le départ la certitude que son film va exister. Cette confiance lui donne des ailes. L’annulation de la crainte du « non » devient le moteur le plus performant de sa création. Nous sommes durant cette période les seuls décisionnaires. Avec Rubber en 2010, nous avons opéré une inversion des paradigmes et c’est devenu notre dogme, (le Rubber Dogma) réitéré à chaque fois : nous partons du postulat que le film verra le jour, et que, comme nous, d’autres fonctionneront au coup de coeur et prendront le risque de nous suivre, qu’ils soient financeurs ou acteurs. Bien entendu, il y a un principe de réalité : respecter un petit budget et tourner dans un temps donné, ou bien tourner aux Etats-Unis et en anglais pour vérifier sa portée internationale. Wrong Cops était au départ un pilote, que nous sommes allés présenter aux institutionnels, pour obtenir leur soutien en vue de réaliser une version longue. C’était une démarche atypique dans le cinéma qui fonctionne au scénario plus qu’au pilote. L’originalité n’a pas payé et Quentin comme moi avons été très surpris de voir ce pilote pourtant très bien accueilli (à la Quinzaine à Cannes puis à Sundance et multi-diffusé sur Canal Plus) ne trouver aucun soutien institutionnel. Fidèle au « Rubber Dogma », j’ai conservé la date de tournage. C’était un risque inouï, nous n’avions vraiment aucun financement et avons trouvé des moyens aux Etats-Unis où l’argent est cher. Le film a été tourné aux Etats-Unis en vingt-cinq jours. Les acteurs dont nous rêvions ont rejoint le projet et nous avons repoussé à plus tard le bouclage du financement… que nous poursuivons toujours.

Donc vous attendez la confrontation avec le public pour valider cette folie ?

Exactement. J’espère que le public va aimer cette créature étrange et la soutenir. Wrong Cops est à l’image de ce « Rubber Dogma »: fils monstrueux né d’une union contre nature, et contre la politique de l’enfant unique. C’est l’enfant caché, honteux, bruyant et agité, qu’on aime passionnément. Ce film reste avec nous comme une blessure et une fierté. Wrong Cops nous a donné nos plus grands moments de communion ou d’engueulades. Il est resté à la porte de Cannes (qui semblait l’attendre comme le fils prodigue, et a finalement rejeté le rejeton) et des télévisions; mais on ne se lasse pas de revoir Wrong Cops en festival. Cette sortie et ce moment avec le public, c’est le plus important pour Quentin comme pour moi.

Et la suite ?

Tout a été atypique dans la façon de faire ce film et nous avons l’impression d’inventer et d’expérimenter quelque chose qui pourra inspirer d’autres réalisateurs et producteurs. C’est la fin d’une période de 25 ans de cinéma soutenu par les télévisions et le début de nouveaux schémas de financement qui se mettront en place. Si on veut éviter que le cinéma indépendant ne singe le formatage des grosses productions ou applique des recettes, cette période de transition est nécessaire et permettra l’émergence de nouveaux relais et soutiens plus jeunes et plus « fous ». Il n’y a pas « trop de films » ou « trop de producteurs » : il y a trop peu de guichets et trop peu de risques. Nous avons fait le prochain « Réalité » dans la même urgence en refusant d’ajourner le tournage quand les financements furent perdus ; et le miracle a eu lieu. Il faut tenir sur ce dogme et j’espère que de nombreux soutiens viendront. Le seul moteur c’est le talent et la vision de Quentin ; il construit une œuvre solide et influente et je suis très heureux d’avoir la chance de l’accompagner.

Grégory Bernard

Entretien avec Quentin Dupieux

Wrong Cops est encore un drôle d’objet, mais la quête de l’étrangeté semble moins volontariste que dans vos autres films.

Le film est plus terre à terre, c’est vrai. Mais attention, je n’essaie jamais d’être étrange ! Ce film a été conçu selon le même procédé d’écriture où je laisse aller mon imagination, à la manière de l’écriture automatique des surréalistes. Je suis content que Wrong Cops soit limpide au final car c’est mon projet le plus tortueux, le moins limpide justement dans sa fabrication. La première impulsion, c’est un court métrage avec Marylin Manson et Mark Burnham dont il ne reste que quelques passages dans le long métrage. Après avoir terminé le court, on s’est dit que la formule marchait bien; alors je me suis lancé dans l’écriture de six nouveaux chapitres du même format que j’ai montés l’un à la suite de l’autre. Mais une fois fini, j’avais l’impression que ça ne faisait pas un film. Du coup je suis retourné en salle de montage et j’ai totalement réinventé l’ordre des choses. En général, je monte mes films en restant rigoureusement fidèle au scénario d’origine. C’est le cas pour Wrong et Rubber. C’est sans doute la première fois que j’expérimente le montage comme réécriture du film. J’ai en quelque sorte mélangé toutes les cartes. Du coup ça crée un rythme qui n’est pas tout à fait celui auquel je suis habitué, j’aime bien.

Avec ce nouveau montage où vous mélangez toutes les histoires, on a vraiment le sentiment que vous décrivez une petite communauté.

Oui, c’est vrai. Avec la construction d’origine, chaque personnage avait son chapitre. On en retrouvait quelques-uns d’un chapitre à l’autre, mais globalement ils restaient assez isolés les uns des autres.

J’imagine que vous avez dû élaguer au sein de chaque chapitre.

Oui. J’ai raboté beaucoup de plans ou de péripéties qui ne faisaient pas avancer l’histoire, des scènes que j’avais gardées pour le pur plaisir du jeu d’un comédien par exemple. Pour cette raison le film est assez court, mais je crois que la durée courte fait partie intégrante de mon style et de ma façon de raconter des histoires.

D’où est venue l’idée de travailler sur des personnages de flics ?

C’est une idée qui m’est venue sur Wrong où Mark Burnham avait une courte scène où il était absolument génial. Dès son casting vidéo, j’étais dingue de lui. Il récitait son texte de manière fermée, ce qui le différenciait des autres acteurs qui essayaient d’incarner un personnage. Lui jouait comme s’il n’en avait rien à faire. Il avait quelque chose de brut qui m’a immédiatement plu. Et il est comme ça dans la vie. Dans un café, un lieu public, tout le monde se retourne car il parle fort, il dégage. Il n’est pas horrible comme dans le film, mais il a une personnalité impressionnante. J’ai donc eu l’idée de faire une sorte de spin-off à partir de ce personnage. Trois mois plus tard, je sortais un disque et je me suis dit que ce serait bien de faire un petit film pour la promo plutôt qu’un clip. Au même moment, Marylin Manson m’avait contacté parce qu’il était fan de Rubber et voulait travailler avec moi d’une manière ou d’une autre.

C’est drôle que vous parliez de « spin-off » car il y a quelque chose d’une série télé dans le film, un côté « serial » qui tient peut-être à la façon dont les événements se suivent un peu à la manière de mini épisodes.

C’est précisément comme ça que le film a été conçu. La première idée – qui était une fausse bonne idée – c’était de recréer l’addiction de la série dans une salle de cinéma. On l’a d’ailleurs expérimenté à mi-chemin de la post production. Nous sommes allés au Festival de Sundance avec trois chapitres, agrémentés pour chacun d’eux d’un petit générique très court, pour une durée globale de 40 minutes. Ça marchait du feu de dieu. Dès que le générique redémarrait, la salle était hystérique. J’aurais pu poursuivre dans cette voie-là, mais je crois que mes envies de cinéma étaient plus fortes que tout.

Même formellement, il y a des effets de relance ou de clôture qui évoquent lointainement la série télé. Je pense par exemple aux arrêts sur image assez fréquents.

Wrong était un film un peu maniéré, très cadré, et pour Wrong Cops je voulais quelque chose de plus sale, avec des zooms à des moments qui ne veulent rien dire, ce genre de choses. C’était à la fois une approche série télé et série z !

Dans Wrong il y avait un côté miniature, film clos sur luimême. Là en effet, c’est comme si vous lâchiez prise volontairement.

Oui, tout s’est fait très rapidement. J’écrivais les chapitres pendant deux ou trois jours, je ne relisais pas, j’envoyais directement le texte à la traduction. C’était une perspective assez excitante de faire le film très vite. Quand j’écrivais le 4ème chapitre, j’avais déjà oublié ce qui se passait dans le 3 ! J’avais envie d’un objet à la fois léger et vulgaire.

Il y a une nouveauté dans Wrong Cops : jamais dans vos autres films il n’y avait cette obsession du sexe.

Consciemment je voulais m’éloigner un moment de mon univers aseptisé et minutieux. J’écris toujours un nouveau film dans le rejet de celui qui précède.

Le personnage de Wrong par exemple était complètement asexué.

Oui, on peut même dire que pour lui ça n’existe pas.

Et ce n’est pas une sexualité normée que vous décris, mais foncièrement obsessionnelle et joyeusement déviante.

En fait au départ je voulais peindre une humanité dans laquelle je n’ai pas foi. Quand je vois les horreurs du monde qui nous entoure, j’ai pitié de l’Homme. Je voulais me moquer un peu de tout ça, à travers la misère sexuelle et le rapport au Dieu argent, deux choses qui traversent le film. Les bassesses qui font que ce flic couche avec un travelo et se permet d’être odieux avec lui ensuite et l’insulte. Mais ce qu’on voit globalement ce sont des personnages qui se contentent d’en parler. Je n’avais pas envie de filmer des gens qui baisent.

Marylin Manson est le seul qui n’a pas l’âge de son personnage. Vous ne craigniez pas que la greffe avec les autres personnages prenne difficilement ?

Non, au pire le risque aurait été qu’il passe pour un attardé mental resté chez sa mère. Mais quand nous nous sommes vus pour la première fois, j’étais face à un adolescent. Je n’ai pas rencontré une vieille rock star, mais un gamin tout excité qui, par exemple, ouvrait ses cartons pour me montrer un saxophone qu’il avait reçu gratuitement alors qu’il ne sait pas en jouer ! Il a quelque chose de très juvénile. Il peint, il fait de la photo, des vidéos, c’est quelqu’un de très créatif et curieux. Il m’est apparu comme une évidence de créer ce personnage d’ado spécialement pour lui.

Vous êtes donc parti de la personnalité de Mark Bunham et Marylin Manson pour construire leurs personnages. Mais ce n’est pas systématique j’imagine, je pense à Eric Judor dont le personnage est complètement fantaisiste.

Eric est un acteur que je n’ai jamais dirigé. Sur Wrong, on s’était mis d’accord sur cet accent français à couper au couteau et ensuite on a fait notre propre cuisine. Wrong Cops est le troisième film que nous faisons ensemble et il fallait inventer quelque chose de nouveau.

La plupart des acteurs de Wrong Cops sont des gens avec qui vous avez déjà tourné, il me semble, ce qui en fait un film un peu différent de vos précédents. Comme si vous vous livriez à un autre type de jeu de rôles avec eux.

Absolument. Un des moteurs c’est aussi la frustration de ne pas avoir suffisamment expérimenté avec eux sur le film précédent. Jack Plotnick n’avait eu que deux jours sur Rubber, si bien que j’ai eu le désir très fort de développer une collaboration plus complète avec lui dans Wrong. Même chose avec Arden Myrin, qui jouait la patronne de Plotnick dans une courte scène de Wrong. Elle m’avait tellement impressionné que j’ai inventé pour elle ce rôle de flic odieuse. Il y a tout de même deux nouveaux venus, Marylin Manson et Eric Wareheim, qui interprète ce flic obsédé par les seins et apparaît dans mon prochain film Réalité.

On identifie désormais une couleur Quentin Dupieux, notamment sur les acteurs.

Peu à peu j’approfondis ma relation à eux. Sur Wrong, Steve Little avait accepté le job, mais je sentais que ce n’était pas un moment si spécial pour lui. Il se trouve qu’il a adoré le film. Du coup quand il revient dans Wrong Cops, sa performance est beaucoup plus épanouie. Il se protège moins.

C’est peut-être pour cette raison aussi qu’on sent moins une volonté d’être bizarre, la relation aux acteurs est plus organique, on a moins le sentiment que chaque acteur a sa grande scène.

Effectivement, dans Wrong on peut avoir le sentiment que c’est une bizarrerie conçue, même si je pense que c’est mon film le plus abouti. En fait, la nouveauté c’est peut-être cette impression que les personnages de Wrong Cops existent dans la vraie vie, contrairement aux autres films qui sont plus codés. Là on est rattaché au sol, en quelque sorte. Et ils ont des obsessions dans lesquelles on peut se reconnaître. Je voulais faire une pose sur l’absurde pur et dur, même si je ne renonce pas du tout à creuser cette veine dans le futur. Si on habitue les gens à l’absurde, cet absurde devient lui-même routinier. Je voulais m’essayer au premier degré, tout en gardant le même ton, le même monde.

Pour en revenir à Eric Judor, il a un personnage très singulier, ne serait-ce que physiquement.

Comme on connaît bien Eric, j’avais un peu peur qu’on le voit simplement accoutré d’un déguisement. Mark Burnham en costume de flic, avec cette gueule et ce port de corps, son attitude, est une sorte d’évidence. Steve Little, lui, j’en ai fait un flic de bureau car je craignais aussi l’effet déguisement. Là il est un peu bedonnant, ça marche bien. Je ne voulais pas tomber dans le pastiche du film de flics. Surtout qu’il ne se passe rien, ils ne travaillent pas, n’utilisent jamais leurs armes. On a d’ailleurs eu cette crainte au mixage si bien que le mixeur a injecté des sons de talkies walkies, des petits trucs pour signifier que ce sont des vrais flics. Eric Judor est spontanément un mec drôle. On peut l’habiller n’importe comment, il sera drôle parce qu’il a un langage du corps assez fort. J’ai eu cette sorte d’instinct de lui forcer le trait, un peu à la manière de certains personnages de John Carpenter. On ne sait pas pourquoi il a une moustache et une bosse, mais ça le caractérise fortement. La bosse était beaucoup plus petite au départ, puis on s’est dit qu’il fallait carrément y aller. Et la moustache n’était pas prévue. Il a vu une moustache grise qui traînait, il l’a portée sans rien me dire et quand je l’ai découvert, je me suis pissé dessus de rire. S’il me faisait autant marrer, il n’y avait aucune raison d’hésiter à aller dans ce sens. Si Mark Burnham met une fausse moustache, on va juste penser qu’il a une fausse moustache. C’est différent avec Eric qui amène son personnage vers quelque chose de plus inattendu. J’ai forcé le trait pour éviter qu’on ne croît pas à lui en tant que flic.

C’est une manière de faire diversion, on ne se pose même plus la question de savoir s’il est crédible en flic ou pas.

Exactement. Et puis cette bosse qui lui déforme un peu le visage permet de le voir différemment. Les premières heures de tournage ressemblaient trop à ce qu’on avait déjà fait ensemble. Je lui ai raconté que son personnage avait eu un accident cérébral et que du coup il fallait peu de modulations dans sa façon de jouer. J’en ai fait une sorte de mec un peu robotique, même si paradoxalement c’est un des rares personnages à avoir un cœur.

Son obsession à vouloir devenir musicien le rend même très émouvant. La musique est d’ailleurs l’autre grande nouveauté du film, après le sexe : Mark Burnham qui a l’air d’un grand connaisseur de musique techno, le voisin moribond qui se mue en consultant musical, etc…

J’avais envie de profiter de mon catalogue de morceaux que j’ai accumulés depuis 15 ans. Ça faisait partie des entrailles du film dès le début. L’idée était de traduire ma musique en image. Faire un clip c’est déjà un peu la même ambition, mais c’est moins satisfaisant. Je voulais retrouver cet état d’esprit complètement basique et un peu débile qui m’anime parfois quand je fais de la musique, ce néant intellectuel que je ressens quand je joue dans des soirées au point que ça produit quelque chose d’inouï sur le dance floor. Je suis content de séparer ma musique de mes films, je peux ainsi creuser deux sillons à part, mais pour cette fois j’avais envie de faire se croiser les deux.

J’imagine qu’il y a une dimension un peu autobiographique dans les différentes saynètes tournant autour de la musique.

Effectivement. La scène de la maison de disque est écrite pour l’écran mais c’est le genre de situations que j’ai vécues, ces moments de gêne où on comprend trop tard qu’on n’est pas devant la bonne personne. Ou encore cet embarras à devoir dire à un copain que le morceau qu’il fait écouter est nul. Quant à la musique qu’on entend presque systématiquement dans les scènes de voiture, ça vient de la façon que j’avais, pendant les dix premières années de musique, d’écouter un même morceau 200 fois d’affilée pour vérifier s’il est valable. Ce n’est pas à proprement parler autobiographique mais, très clairement, je suis allé piocher dans mon vécu.

La musique du film n’a pas juste valeur d’accompagnement. Vous mettez en scène le processus de création musicale, l’écoute de la musique, le jugement qu’on peut avoir sur un morceau etc…

C’est la première fois que j’assume pleinement de parler musique dans un de mes films. Cette musique est quand même très agressive pour les non-initiés, mais moi j’adore la faire et l’intégrer à mon univers de cinéma. J’ai eu du succès avec un morceau absurde, dans un moment absurde où tout était absurde. Quand je réécoute le morceau aujourd’hui, je trouve qu’il a plutôt bien vieilli, mais je me rends compte qu’il n’y a même pas de production, qu’il été fait dans un petit laboratoire. C’est inouï que ce truc ait été un tube. Le succès hasardeux ça marche une fois, ensuite il faut vraiment se donner de la peine pour réitérer l’expérience. Or je n’ai jamais joué le jeu de la promo. Normalement on se pose avec des mecs de l’industrie musicale qui réfléchissent et vous demandent si vous avez envie de faire un clip suffisamment séduisant pour donner envie aux gens, faire un morceau un peu plus accessible avec un mec qui chante… Personnellement j’ai juste continué à faire de la musique pour me faire plaisir. Je suis resté un peu underground parce que ce je m’y sens bien.

C’est aussi ce qu’il y a de beau dans le film, vous décrivez de purs amateurs de musique, au sens premier du terme, complètement désintéressés. Ça amène les personnages vers autre chose que la description de gens bêtes et méchants.

Je ne l’avais pas pensé ainsi mais c’est vrai. La seule chose que j’ai un peu conceptualisée, c’est l’idée que le personnage principal, Duke - joué par Mark Burnham - était l’équivalent de ma musique, un truc un peu rugueux qui vous gueule dessus, qui peut être attendrissant, mais qui prend trop de place dans une pièce. Il représente davantage ma musique qu’une belle femme car ma musique n’est pas sexy. Et puis j’aimais bien l’idée de montrer ce mec qui décide ce qui est bon et ce qui ne l’est pas (rires). Pour la musique composée par Eric Judor dans le film, j’ai pris mon morceau le plus con. J’ai réellement compris que je tenais un sujet quand j’ai terminé le court métrage d’origine avec le mec dans le coffre. Il est en train de mourir, on se dit « ah merde il n’est pas mort », et lui change totalement de registre quand il cherche à savoir quelle est cette musique qui passait dans la voiture. Je ne voulais pas lâcher ce fil, c’est pour cette raison que j’ai gardé ce voisin moribond qui parcourait les sept chapitres dans le premier montage.

Est-ce que vous auriez envie de faire un film ayant comme sujet explicite la musique ?

Je ne sais pas, tout peut arriver. Ce qui est certain c’est que j’ai toujours envie de fuir ce que je suis en train de faire. Mais le vrai problème qui se pose c’est que ma musique, en l’état, me coupe de 98% de la population mondiale. Et je sais que des gens vont subir ma musique dans ce film. Je ne suis pas sûr de vouloir davantage imposer ça aux spectateurs ! (rires). Par contre je pourrais écrire sur un personnage de musicien.

Cet univers musical est très masculin. D’ailleurs aucun personnage féminin du film n’est vraiment concerné par la musique.

Cette musique à l’évidence a quelque chose de très masculin – ce qui n’empêche pas que des filles viennent à mes concerts. S’intéresser au son de la caisse claire c’est vraiment un truc de mecs, il n’y a que des mecs pour faire cette musique de dégénérés !

Vos personnages sont un peu ça : dégénérés. Mais en même temps il n’y a jamais rien de méprisant à leur encontre. Vous êtes-vous posé la question de savoir comme éviter de tomber dans cet écueil ?

A plein de moments dans le montage j’ai eu peur de ça en effet, et aussi d’être un peu lâche par rapport à mon sujet. J’ai l’impression que le film est rigolo, drôle par moments, suffisamment étonnant pour qu’on évite de sentir un malaise. J’ai même l’impression que mes autres films mettaient plus mal à l’aise.

Ça tient aussi à l’écriture des personnages. Au bout de leur parcours, vous ajoutez souvent quelque chose qui change la perspective qu’on avait sur eux. Par exemple le discours existentialiste de Mark Burnham dans la scène de l’enterrement, ou encore Eric Wareheim qui finit enfin par comprendre que sa partenaire est odieuse avec lui.

J’ai beaucoup de tendresse pour tous ces personnages. Même si ces flics ripoux qui agressent les gens, c’est un peu une description de l’Enfer, on reste quand même chez les Télétubbies. J’aime l’idée qu’on garde une sorte de détachement, une légèreté. Et puis ça se termine par une danse, il n’y a presque aucune conséquence à rien.

Ça vaut aussi pour les personnages plus secondaires comme la maîtresse d’Eric Judor dont on comprend le sentiment d’ennui en deux plans, ou même de son mari, un personnage qui pourrait n’être que prétexte à moquerie, mais qui devient touchant quand il réfléchit à la musique de Judor.

Je connais le risque de ces petites scènes écrites pour faire transition où le mec n’est là que pour deux blagues. Au bout d’une heure de film, si le personnage n’a pas un peu plus à nous livrer, il y a toutes les chances pour qu’on s’en fiche complètement. Il faut que le personnage ait une raison d’être à l’écran, sinon ce n’est pas la peine. Surtout aux Etats-Unis où un acteur qui joue bien, c’est le minimum syndical. Il faut donner un peu plus aux acteurs, même dans un tout petit rôle, pour qu’ils puissent vraiment incarner un personnage, éviter la petite vignette inconséquente.

L’apparition de la biche à la fin, est-ce un hommage à l’autruche de La voie lactée de Buñuel ?

Tout dans mes films est un hommage à l’autruche de Buñuel ! Cette autruche qui apparaît à la fin du film, après que ce type a tué tout le monde, pour moi c’est une définition du cinéma. Dans Wrong Cops, j’adore l’idée que ce personnage qui vient de faire une tirade conceptuelle sur sa conception de l’Enfer et du Paradis se retrouve face à face avec une biche. Cela dit, il y a beaucoup de bestioles dans mes films. Un type dans une chambre d’hôtel avec une dinde dans Rubber, des lapins, un chien dans Wrong

La biche apparaît dans une sorte de climax où on se dit que le réel de ce type pourrait basculer dans autre chose, et puis finalement non, on revient à sa réalité un peu sinistre.

La tristesse, c’était un gros pari. Il y a notamment ce passage musical un peu triste quand on les voit tous complètement perdus. Je voulais à tout prix éviter le petit goût amer du petit malin qui s’est bien marré sur le dos de ses personnages, mais qui du coup fait l’impasse sur l’émotion.

La biche, c’est la possibilité de ce bouquin que la veuve lui dit d’écrire et qui pourrait changer sa vie. Mais cette possibilité s’évapore parce qu’il est trop stone, c’est presque tragique.

Oui, comme s’il prenait conscience que la beauté existe dans le monde mais sans pouvoir ne serait-ce que la toucher.

La femme flic jouée par Arden Myrin est un personnage extraordinaire. D’où vient cette comédienne ?

Elle bosse sur Mad TV, c’est une actrice comique qui intervient dans des émissions de type Saturday Night Live.

Elle a un truc qu’ont beaucoup de comédiens américains, une incroyable plasticité, une sorte d’hyper-expressivité, pas très loin du cartoon.

Oui, elle est grandiose. Je n’ai pas eu à la diriger beaucoup. C’est ce genre d’acteur américain assez mécanique, qu’on ne gère pas avec des indications psychologiques, mais plutôt avec des paramètres du type « essaie sans le sourire », « là, moins fort » etc.., parce qu’elle est tout le temps excellente. Et puis elle est pleine d’initiatives. Je ne savais pas qu’elle allait se pointer avec ces ongles-là, avec cette coupe de cheveux, hyper attifée et vulgaire. Je me suis même demandé si ce n’était pas un peu trop mais en fait elle est parfaite comme ça.

C’est peut-être le seul personnage qui incarne la méchanceté pure, jusqu’à l’ignorance de sa propre méchanceté, presque candide.

Il y a très peu de rôles féminins dans mes films, mais globalement les femmes y sont bien plus intelligentes que les hommes. La veuve est héroïque face à cet imbécile de flic qui lui dit que sa fille pue le poisson. Ce sont les personnages les plus lucides. Les hommes sont moins glorieux. Quant à Arden Myrin, ce qui synthétise l’horreur de son personnage, c’est la tête qu’elle fait quand elle montre son pognon à ces pauvres filles. C’est fait pour rire, mais en même temps c’est la cruelle réalité. J’ai déjà assisté à des scènes dans la vie où des filles hautaines arrivent en boîte de nuit en Lamborghini pour faire baver les filles qui roulent en Peugeot. C’est la même horreur.

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chauvin

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