jeudi 15 février 2018

LA FORME DE L'EAU - THE SHAPE OF WATER


Fantastique/Drame/Romance/Un beau conte fantastique, la réalisation soignée de Guillermo del Toro est superbe

Réalisé par Guillermo del Toro
Avec Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Doug Jones, Michael Stuhlbarg, Octavia Spencer, David Hewlett, Nick Searcy...

Long-métrage Américain
Titre original : The Shape of Water
Durée : 02h03mn
Année de production : 2017
Distributeur : Twentieth Century Fox France

Date de sortie sur les écrans américains : 22 décembre 2017
Date de sortie sur nos écrans : 21 février 2018


Résumé : Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental ultrasecret, Elisa mène une existence morne et solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent une expérience encore plus secrète que les autres…

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé : ce conte fantastique de Guillermo del Toro nous entraîne dans une aventure entre poésie et violence. Le réalisateur nous fascine avec sa mise en scène soignée qui joue sur des variations thématiques tout en conservant une personnalité bien particulière ; celle de nous donner l'impression de vivre un rêve éveillé, de ceux où l'impossible suit son chemin dans une logique indiscutable malgré ses improbabilités. Il le place dans une époque où l'avenir incertain se dessinait sur fond de conquêtes de l'inconnu. Le cadre se met en place et le scénario suit son cours. Bien qu'on voit venir les événements, on est séduit par la façon qu'à le réalisateur de nous entraîner dans son monde. Le film est spécial, métaphorique. Il aborde beaucoup de sujets : la différence, l'amour, les relations de couple, la monstruosité qui ne se niche pas toujours là où on le croit, la communication, la tolérance, le courage, la haine... Une grande douceur se dégage de certaines scènes que la violence vient chambouler par à-coups. Les effets spéciaux sont absolument remarquables dans ce film. Ils s'intègrent parfaitement à l'histoire et nous permettent d'adhérer à ce que le réalisateur nous raconte. Il en profite au passage pour rendre hommage au cinéma d'une époque révolue. 

Guillermo del Toro, le réalisateur
Sally Hawkins interprète avec beaucoup de sensibilité Elisa Esposito, une femme que le fait d'être muette a rendue solitaire. Elle est touchante. 




Octavia Spencer, dans le rôle de Zelda Fuller, est comme toujours excellente. Zelda est une véritable amie pour Elisa, elle la comprend et la soutient. 


Richard Jenkins interprète Giles, un voisin doux-rêveur qui doit lui aussi assumer sa différence dans une époque peu tolérante. 


Doug Jones offre une gestuelle parfaite à l'Amphibien, ce qui le rend hyper crédible. 



Michael Shannon sait impeccablement jouer l'andouille réactionnaire (pour rester polie). Il est très convaincant dans le rôle de Richard Strickland. Enfin, Michael Stuhlbarg joue adroitement sur les sentiments contraires qui animent son personnage. Il est attachant dans le rôle du Dr. Robert Hoffstetler.


LA FORME DE L'EAU - THE SHAPE OF WATER nous fait rentrer dans un univers où les contrastes viennent enrichir le propos. La magnifique réalisation de Guillermo del Toro est une raison suffisante pour vous le conseiller, mais ce n'est pas la seule, aussi n'ayez pas peur de vous mouiller et d'aller le découvrir.


Photos crédit @20th Century Fox 2017

NOTES DE PRODUCTION
(Á ne lire qu'après avoir vu le film pour éviter les spoilers !)
« L’eau prend la forme de son contenant, mais malgré son apparente inertie, il s’agit de la force la plus puissante et la plus malléable de l’univers. N’est-ce pas également le cas de l’amour ? Car quelle que soit la forme que prend l’objet de notre flamme – homme, femme ou créature –, l’amour s’y adapte. » Guillermo del Toro, réalisateur
Avec THE SHAPE OF WATER, l’exceptionnel talent visionnaire de Guillermo del Toro nous entraîne au cœur d’un merveilleux conte fantastique qui se déroule au sein d’un laboratoire gouvernemental secret, dans l’Amérique du début des années 60, en pleine guerre froide. Ce conteur de génie nous offre un film débordant d’imagination, visuellement époustouflant et émotionnellement audacieux. Il s’est inspiré des classiques du film de monstres et du film noir pour créer une histoire d’amour à nulle autre pareille, entre désir, imagination et fantasme. Une histoire de mystère et de monstruosités de toutes sortes... Le film vient de remporter le Lion d’or du meilleur film à la 74e Mostra de Venise. 

THE SHAPE OF WATER débute sous l’eau pour évoluer en une implacable immersion, entraînant le public dans les années 60, un univers où l’on retrouve des notions familières – le pouvoir, la colère, l’intolérance, mais aussi la solitude, la détermination et la passion – et d’autres moins familières… comme cette extraordinaire créature aquatique. Cette romance singulière et inédite met en scène un mystérieux « atout » biologique voulu par le gouvernement américain, une femme de ménage muette et ses amis, des espions soviétiques et un vol très audacieux. Arraché aux profondeurs, ce mystérieux être amphibie semble doté des qualités d’adaptation fondamentales de l’eau. Il est en effet capable d’adopter les contours du psychisme de chaque humain qu’il rencontre, reflétant tour à tour l’agressivité ou l’amour infini. Dans cette histoire imaginée par Guillermo del Toro, les thèmes du bien et du mal, de l’innocence et de la malice, de l’historique et de l’éternel, et de la beauté et de la monstruosité s’entremêlent pour illustrer le fait que les ténèbres n’obscurciront jamais totalement la lumière. 

Le réalisateur déclare : « J’aime faire des films libérateurs qui nous aident à nous accepter tels que nous sommes, et cette démarche me semble plus pertinente que jamais de nos jours. » La volonté de Guillermo del Toro d’à la fois tourmenter et enchanter les spectateurs remonte à l’enfance. Il est né à Guadalajara au Mexique, et son imagination s’est nourrie dès l’enfance d’innombrables histoires de fantômes, de films de monstres et de fables qui ont alimenté sa vie intérieure et son inventivité. 

Lorsqu’il a commencé à écrire et réaliser des films, toutes ces influences se sont entremêlées dans un style visuel singulièrement expressif, semblant plonger directement dans l’âme humaine. Guillermo del Toro est surtout connu pour LE LABYRINTHE DE PAN, récompensé par plusieurs Oscars, CRONOS et L’ÉCHINE DU DIABLE, trois films tournés en espagnol qui ont réinventé et bousculé la notion même de genre. Chacune de ces saisissantes fantasmagories met en scène les dangers moraux et matériels d’un monde rongé par la corruption, l’autoritarisme et la guerre. Ses épopées d’action surnaturelles – BLADE II, la série HELLBOY et PACIFIC RIM – ainsi que CRIMSON PEAK, sa romance gothique, n’ont rien à leur envier sur le plan créatif. THE SHAPE OF WATER perpétue cette tradition, mais cette fois dans l’Amérique socialement clivée des années 60, à deux doigts de la guerre nucléaire et en pleine révolution culturelle. Le cinéaste y explore le vertige amoureux à travers l’histoire d’une femme solitaire au passé traumatisant qui découvre un amour si puissant qu’il en défie la méfiance, la peur et la biologie. 

Il était primordial pour le réalisateur de faire appel à des interprètes d’exception. Parmi les acteurs qu’il a choisis figurent Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Doug Jones, Michael Stuhlbarg et Octavia Spencer. Explorer le thème de l’amour et de ses barrières, internes et externes, était très important pour Guillermo del Toro. Il explique : « Je voulais raconter une très belle histoire sur le thème de l’espoir et de la rédemption, un antidote au cynisme de notre époque. Je souhaitais qu’elle prenne la forme d’un conte de fées dans lequel une modeste jeune femme fait une découverte extraordinaire qui va bouleverser sa vie. Et puis j’ai pensé qu’il serait intéressant de juxtaposer cet amour avec la banalité destructrice de la haine entre les nations, comme durant la guerre froide, et de la haine entre les êtres causée par les différences – d’origines, de couleur de peau, d’aptitudes ou de sexe. » 

Le fait que les deux personnages principaux du film ne parlent pas, tout du moins de manière conventionnelle, ne fait qu’amplifier leur histoire d’amour en évitant les incompréhensions qui s’interposent souvent entre les humains. Le réalisateur confie : « L’amour est un sentiment si puissant qu’il se passe de mots. »

LE CHARME DES FILMS DE MONSTRES

THE SHAPE OF WATER marie de nombreux genres cinématographiques allant de la comédie musicale au film policier à suspense ; il revisite et redynamise particulièrement le genre du film de monstres en jouant sur nos instincts les plus primaires, comme la peur, mais également sur notre curiosité, notre faculté à nous émerveiller et nos désirs. 

Comme beaucoup de gens, Guillermo del Toro a grandi avec les monstres classiques des studios Universal : le loup-garou qui se transforme contre sa volonté, le naïf Frankenstein pourchassé par des villageois en colère, le séduisant Dracula mû par son appétit contre nature, et l’étrange créature du lac noir, un être amphibie préhistorique qui émerge des profondeurs en quête d’une compagne. Il y avait quelque chose d’évocateur et d’étrangement proche de ce que nous sommes chez ces monstres persécutés par des foules armées de fourches en raison de leur différence, contraints de vivre en marge de la société dans des châteaux isolés, des bois ou des cours d’eau. Tous étaient piégés dans un état transitoire à michemin entre l’être humain et la créature – véritable miroir pour qui s’est jamais senti ostracisé. Plus intrigant encore, ces créatures étaient des êtres charnels asservis aux désirs jamais assouvis de leur corps et de leur esprit. 

De tous ces monstres légendaires, le plus bouleversant reste sans doute l’humanoïde amphibie du film L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR (1954), réalisé par Jack Arnold et interprété par Ben Chapman (pour les plans terrestres) et Ricou Browning (pour les plans sous-marins) dans le rôle tragique de l’inimitable homme aux branchies, dernier représentant de son espèce préhistorique. À la fois dangereuse et misérable, farouchement détestée et ardemment désirée, la créature a ému les spectateurs autant qu’elle les a terrifiés. Le concept de THE SHAPE OF WATER est né un matin de 2011, alors que Guillermo del Toro et Daniel Kraus, son partenaire d’écriture sur le livre pour la jeunesse Trollhunters, s’étaient retrouvés pour un petit-déjeuner. Kraus évoqua alors une idée qu’il avait eue étant adolescent, celle d’une femme de ménage travaillant dans un complexe gouvernemental qui devenait secrètement l’amie d’un homme amphibie détenu captif en tant que spécimen d’étude, et qui décidait de le libérer. Del Toro aima tout de suite l’idée, à tel point qu’il dit vouloir en faire son prochain film. C’était en effet exactement le genre de conte de fées fantastique qu’il cherchait. Lors de ce fameux petit-déjeuner, les deux hommes décidèrent de collaborer sur un roman, et tombèrent d’accord pour que Del Toro écrive et réalise un film. 

À l’époque, le réalisateur mettait la dernière main à son blockbuster de robots géants et de monstres PACIFIC RIM, mais lors de ses rares moments de détente, s’inspirant aussi de films de monstres classiques comme L’ÉTRANGE CRÉATURE DU LAC NOIR, il commença à écrire le scénario d’un film plus intimiste qui allait devenir THE SHAPE OF WATER. En 2014, Del Toro finança sur ses propres fonds un groupe d’artistes et de sculpteurs qui réalisèrent des dessins et des maquettes d’argile pour que Del Toro puisse proposer une histoire complète à Fox Searchlight. Le studio donna son accord immédiatement, sans la moindre hésitation. 

Au printemps suivant, Guillermo del Toro et Fox Searchlight commencèrent à rencontrer de potentiels coscénaristes pour collaborer au scénario. Ils finirent par engager Vanessa Taylor, qui a travaillé en étroite collaboration avec Del Toro à la fois sur la construction de l’intrigue et sur les personnages, en particulier celui, complexe, d’Eliza. Guillermo del Toro souhaitait renverser le concept du film de monstres en faisant de THE SHAPE OF WATER une histoire d’amour qui érige la créature en héroïne face à une sombre et sinistre puissance de nature purement humaine. 

Il commente : « S’il s’agissait d’un film des années 50, Strickland, le séduisant agent gouvernemental à la mâchoire volontaire, serait le héros de l’histoire face à une créature malfaisante, mais j’avais envie d’inverser les rôles. » Le réalisateur a également choisi de donner une dimension charnelle à son film. Il voulait lui conférer un certain réalisme pour compenser sa nature féérique et se rapprocher d’une réalité familière aux adultes. Selon le producteur J. Miles Dale, Guillermo del Toro, avec qui il collabore depuis de nombreuses années, est l’un des rares cinéastes capable d’imaginer des créatures douées d’une humanité reflétant la nôtre. 

Il déclare : « Guillermo imagine des créatures qui n’ont pas été corrompues par l’homme et représentent en quelque sorte une version idéalisée de l’humanité. THE SHAPE OF WATER est un film résolument original, inédit et singulier, qui s’inscrit néanmoins dans l’univers de Guillermo ; on y distingue clairement sa patte. » 

Pour toile de fond, le réalisateur a délibérément choisi une période de l’histoire américaine dominée par la peur. En 1962, la crainte de la guerre nucléaire avec l’Union soviétique était en effet à son apogée, c’était aussi la dernière année de la présidence idéaliste et tournée vers l’avenir de John F. Kennedy, laquelle laisserait bientôt la place à la désillusion, à la paranoïa et aux troubles sociaux. 

J. Miles Dale commente : « Entre la guerre froide, la course à l’espace et le mouvement pour les droits civils, les années 60 sont une période très trouble, et c’est dans ce cadre que s’écrit cette romance hors du commun. » 

Guillermo del Toro rappelle que les années 60 sont parfois glorifiées au point d’omettre les injustices et le rejet des différences qui ont pourtant dominé la décennie. « Pour moi, il s’agit d’une période durant laquelle l’Amérique s’est figée, une époque marquée par le racisme, les inégalités et la peur de la guerre atomique. Quelques mois plus tard, Kennedy serait assassiné. Quelque part, c’est donc une période terrible pour l’amour, et pourtant il continue à naître envers et contre tout. » 

L’élan futuriste qui caractérise l’Amérique des années 60 s’oppose au caractère primordial de la créature, évoquant les mots de Rainer Maria Rilke dans une lettre à sa femme Clara Rilke, cette notion que « quelque chose surgit du passé, que l’on croit venir de l’avenir ». 

Guillermo del Toro commente : « J’ai trouvé le paradoxe intéressant : tandis que l’époque était tout entière tournée vers l’avenir, la créature appartient à un passé lointain. Les gens sont obnubilés par la nouveauté, la publicité, la Lune, la mode et la télévision, et dans le même temps, cette créature archaïque et amoureuse apparaît parmi eux. »

ACTEURS ET PERSONNAGES

Tous les rôles de THE SHAPE OF WATER ont été écrits pour des acteurs précis, ceux auxquels Guillermo del Toro a demandé de prendre part au film. J. Miles Dale déclare : « Il a façonné le scénario en fonction des acteurs et non l’inverse, ce qui est un atout rare. » 

Chacun des personnages du film, quelle que soit sa place dans la société, représente une forme d’amour différente. Le réalisateur explique : « Il y a l’amour pur qui unit Elisa et la créature, et à l’autre extrémité du spectre l’amour violent de Strickland, mais aussi Giles, le voisin d’Elisa, qui est en quête d’un amour considéré comme inapproprié à cette époque, et Zelda, la meilleure amie d’Elisa, qui est amoureuse d’un homme qui ne la mérite pas. Même le général qui supervise le laboratoire entretient une sorte d’amour père-fils avec Strickland. » 

Lorsqu’ils ont été approchés par Guillermo del Toro, tous les acteurs ont accepté de participer au film. Sally Hawkins confie : « THE SHAPE OF WATER est un film très spécial et il était important pour moi d’y prendre part. C’est une histoire qui tiendra à jamais une place à part dans mon cœur. » 

Michael Shannon déclare : « Ce qui m’a plu dans ce projet, c’est qu’il était porteur d’espoir. J’y ai vu la possibilité d’inspirer nos semblables à faire preuve de davantage d’empathie les uns pour les autres, ce qui nous manque cruellement à l’heure actuelle. C’est une histoire qui nous rappelle combien l’amour est important ; il exige parfois de se confronter à nos peurs ou de faire des sacrifices, mais cela en vaut la peine. » 

Pour Richard Jenkins, THE SHAPE OF WATER va bien au-delà de ce que le public peut attendre d’un film de Guillermo del Toro. Il précise : « Le cinéma de Guillermo ne ressemble à aucun autre, mais ce film se distingue également de tout ce qu’il a pu faire jusqu’à présent. » 

Octavia Spencer confie qu’elle attendait avec impatience l’appel du cinéaste. Elle raconte : « Je l’avais rencontré avant de lire le scénario et j’avais l’impression de le connaître depuis toujours. En tant que réalisateur, c’est un véritable alchimiste car il parvient à conférer aux thèmes humains une aura mystique. » 

Doug Jones, qui a collaboré avec Guillermo del Toro à six reprises, conclut : « Avec THE SHAPE OF WATER, Guillermo renoue avec ses racines artistiques et laisse libre cours à sa créativité. »

LA RÊVEUSE SOLITAIRE
« C’est le pouvoir de l’amour qui plonge Elisa dans l’inconnu. » Sally Hawkins

THE SHAPE OF WATER repose sur la métamorphose d’Elisa, figure solitaire et impuissante, en une héroïne intrépide. Le rôle est d’autant plus extraordinaire qu’il est muet. Ayant perdu l’usage de la parole après un traumatisme dans son enfance, Elisa communique en langue des signes américaine, mais elle est capable de s’exprimer avec effusion lorsqu’elle rencontre l’étrange créature aquatique retenue prisonnière dans le laboratoire gouvernemental où elle travaille en tant que femme de ménage. Le riche et audacieux monde intérieur d’Elisa prend vie grâce à la brillante interprétation de l’actrice nommée à l’Oscar Sally Hawkins, véritable moteur de l’histoire. 

Guillermo del Toro déclare : « J’ai envoyé un message à Sally en 2013 pour lui dire que j’écrivais ce rôle pour elle, et lorsque nous nous sommes rencontrés, elle m’a confié qu’elle était en train de travailler à l’écriture d’une nouvelle sur une femme qui se transforme en poisson. Elle me l’a fait parvenir et je l’ai trouvée brillante. » 

L’actrice a incarné un grand nombre de personnages exceptionnels et originaux, qu’il s’agisse de l’enseignante éternellement optimiste de BE HAPPY de Mike Leigh, qui lui a valu un Golden Globe, de la sœur prolétaire de Cate Blanchett dans BLUE JASMINE de Woody Allen, pour lequel elle a été citée à l’Oscar, ou plus récemment de la peintre folklorique Maud Lewis dans MAUDIE. Pourtant, elle a instantanément compris qu’on ne lui avait encore jamais proposé et qu’on ne lui proposerait jamais plus un rôle comme celui d’Elisa. 

Elle explique : « C’est très rare de se voir offrir un rôle qui nécessite de se mettre complètement à nu, un rôle qui repose sur l’expression pure mais où les mots ne sont pas nécessaires et qui vous donne la liberté de vous exprimer à travers le regard, la respiration et le mouvement. C’est tout Elisa. » 

Sally Hawkins a servi de muse à Guillermo del Toro tout au long de l’écriture du scénario. Le réalisateur raconte : « Elisa ne menait en aucune façon une vie épouvantable avant de rencontrer la créature. Son existence quotidienne n’avait rien de glamour mais elle était satisfaite de son sort. J’avais donc besoin de quelqu’un qui évoque ce bonheur simple, dont le visage soit capable d’exprimer toutes les émotions sans dire un mot. Sally possède cette énergie unique, c’est la raison pour laquelle j’ai écrit le rôle pour elle. C’est la personne la plus sincère et la plus naturelle qui soit – je doute qu’elle soit capable de jouer quoi que ce soit qui ne serait pas authentique sur le plan émotionnel. » La lecture du script a profondément touché l’actrice, au point que cela a suscité quelques inquiétudes chez elle. 

Elle raconte : « L’histoire m’a beaucoup émue. Elle m’était familière sans toutefois ressembler à rien de ce que j’avais pu lire jusqu’alors. C’était comme si Elisa faisait partie de moi ou que nous nous étions croisées dans une autre vie. J’avais l’impression d’être en présence du parfait conte de fées romantique. J’étais presque convaincue que Guillermo s’était trompé en m’envoyant le scénario car c’était le genre de rôle que je n’aurais jamais pensé jouer un jour. Il m’a fait un cadeau inestimable en me le proposant. » 

Si ce sont ses doutes qui ont poussé Sally Hawkins à se dépasser, l’équipe du film, elle, n’en avait aucun à son sujet. Le producteur J. Miles Dale déclare : « Avec Sally, tout se passe dans le regard. Il fallait à Guillermo une interprète incroyablement instinctive pour endosser ce rôle, et Sally est capable d’exprimer toute la gamme des émotions d’un simple regard ou d’un geste, mais aussi par sa manière de se déplacer, voire même par l’intensité de son silence. » Pour l’actrice, il n’y avait pas d’autre moyen pour interpréter Elisa que de faire le grand saut et de s’abandonner. Aux côtés du plus inattendu des partenaires, elle a ainsi pu incarner le courage ainsi que le riche imaginaire du personnage – imaginaire qui, contre toute attente, se transforme en réalité. Grâce à Guillermo del Toro, elle a pu complètement lâcher prise et s’immerger dans l’histoire. 

Elle confie : « Incarner Elisa a été une expérience profondément intime, mais Guillermo est quelqu’un de tellement ouvert et qui valorise tellement la créativité de ses acteurs que cela m’a beaucoup aidée. Il a une vision si nette que quelles que soient vos craintes, il les fait disparaître comme par enchantement parce qu’il sait vous guider. » Pour autant, les exigences du réalisateur étaient extrêmement élevées. 

L’actrice poursuit : « Guillermo n’est satisfait que lorsqu’il sent battre le cœur de ses acteurs. Il veut être ému par chaque plan et je pense que c’est ce qui peut arriver de mieux à un comédien. Il vous invite à vous hisser au – très haut – niveau de son imagination. » Le travail de l’actrice a débuté par un long apprentissage. Bien avant le début des répétitions, elle a commencé à apprendre l’ASL, la langue des signes américaine, et à prendre des leçons de danse. Elle a aussi commencé à définir la manière de se déplacer tout en légèreté d’Elisa. 

Elle commente : « Pour moi, le personnage semblait constamment suspendu dans les airs, comme s’il dansait, et je tenais à traduire cette sensation aérienne dans sa démarche. Tout chez elle est tellement délicat qu’il m’a semblé que sa manière de signer devait elle aussi être éthérée et harmonieuse, en accord avec ce qu’elle est. » Son objectif était de maîtriser parfaitement la langue des signes. 

Elle explique : « Je voulais être suffisamment à l’aise pour improviser au cas où Guillermo souhaiterait prendre une autre direction que celle indiquée dans le scénario, afin de rester constamment naturelle. » Si apprendre le langage des signes et définir la manière de se déplacer du personnage s’est révélé difficile, le principal défi de Sally Hawkins a été de « donner à entendre » 

Elisa sans pouvoir utiliser aucun son. Pour cela, elle a dû trouver un moyen plus instinctif mais tout aussi efficace de communiquer – d’autant plus qu’Elisa est un personnage qui a beaucoup à dire. L’actrice explique : « J’ai exploré ses relations avec Giles, Zelda, Strickland et la créature, et l’alchimie très différente qui opère avec chacun d’entre eux. Toute la difficulté a été de le faire sans utiliser les mots, en sachant que les émotions se devaient d’être authentiques et sincères. » 

Pour atteindre ce degré d’authenticité totale, l’actrice s’est interrogée sur la raison qui pousse Elisa à tout risquer pour une créature dont elle ne sait rien, dont elle ignore le passé et dont l’expérience de la vie demeure un mystère pour elle. Elle s’est aussi questionnée sur le courage que l’amour déclenche en elle. Elle raconte : « Elisa décide que rien ne se mettra sur son chemin. Dès lors qu’elle ressent le lien qui l’unit à la créature, ne pas essayer de l’aider lui serait fatal. Elle est touchée en plein cœur et ne peut rester impassible. Elle sait qu’elle doit agir. Et lorsqu’on est dans cet état d’esprit, on peut accomplir l’impossible. » 

Elisa se découvre une force qu’elle ne soupçonnait pas. Sally Hawkins raconte : « Elle est surprise de voir à quel point elle est déterminée. Elle se transforme en quelqu’un qu’elle ignorait être et prend conscience de ce dont elle est capable. » 

La transformation du monde de la jeune femme commence dès qu’elle aperçoit pour la première fois la créature dans son caisson de transport. Elle réalise alors qu’il y a quelque chose de bien vivant à l’intérieur. On ne connaît que très peu de choses à propos de la créature, seulement qu’il est probablement le dernier représentant de son espèce, qu’il était vénéré par un peuple d’Amazonie, qu’il possède une extraordinaire structure pulmonaire qui lui permet de respirer hors de l’eau – une potentielle aubaine pour la course à l’espace –, que l’armée soviétique cherche aussi à mettre la main sur lui, et que, troublé par son intelligence et l’étrangeté de son physique, l’homme qui l’a capturé est convaincu qu’il représente une sérieuse menace pour l’humanité. Mais Elisa ne voit rien de tout cela lorsqu’elle découvre cet être opalescent enchaîné. À ses yeux, il est l’incarnation même de la solitude, et cela attire immédiatement son attention.

LE GUERRIER INSENSIBLE

Richard Strickland est l’homme qui a traqué la créature amphibie à travers l’Amazonie avec une détermination implacable. Cet agent gouvernemental ambitieux et rigoureux ne voit en son étrange prise rien de plus qu’une bête féroce à mater – et le meilleur moyen d’obtenir une promotion. Le personnage est incarné par Michael Shannon, nommé à deux reprises aux Oscars. Cet acteur recherché est connu pour les rôles à la psychologie complexe qu’il a tenus dans des films tels que TAKE SHELTER, NOCTURNAL ANIMALS, MIDNIGHT SPECIAL, LES NOCES REBELLES et 99 HOMES. 

J. Miles Dale déclare : « Strickland est tout entier acquis à la cause du complexe militaro-industriel et tente d’en gravir les échelons. La paranoïa de la guerre froide s’est totalement emparée de lui. » Pour Guillermo del Toro, Michael Shannon était le seul acteur capable d’interpréter Strickland. 

Il développe : « Michael possède l’incroyable précision d’un acteur classique britannique doublée de l’impulsivité et de l’immédiateté d’un acteur américain. Il est également capable d’humaniser le plus odieux des méchants. Je ne voulais pas que Strickland soit uniquement un sale type, je voulais que ce soit quelqu’un pour qui on ait presque de l’empathie car il est lui aussi victime du système et de son époque. Je tenais à ce qu’il affronte des choses auxquelles un méchant n’est généralement pas confronté, comme le doute, la réflexion et le désespoir. Et Michael exprime tout cela dans le film. » 

En dépit de la noirceur du personnage, Guillermo del Toro admet avoir de la sympathie pour Strickland, car il sait ce que c’est d’être confronté à un univers strict au point d’être cruel. Il confie : « Strickland est pour moi un personnage d’une absolue tristesse. C’est un homme qui avait foi en son pays et était convaincu d’agir de façon juste, sûr que ses bonnes actions seraient récompensées. Mais il réalise qu’il en faut très peu pour que les gens le prennent en grippe et lui tournent le dos. Cette partie est autobiographique car l’industrie du cinéma est exactement comme cela. J’ai personnellement vécu la conversation que Strickland a avec le général. » 

Pour Michael Shannon, THE SHAPE OF WATER offrait l’opportunité de visiter l’univers complexe du cinéaste. Il explique : « Lorsque j’ai rencontré Guillermo, il m’a confié qu’il rêvait depuis longtemps de faire ce film. Il aurait été insensé de ma part de laisser passer la chance d’y prendre part, car s’il y a bien quelque chose que Guillermo fait en grand, c’est rêver. » L’acteur a développé son personnage au-delà de l’archétype de l’agent gouvernemental solide, appliqué et inféodé à la hiérarchie des années 60. 

Il déclare : « Strickland voudrait être fort, invulnérable et dépourvu de tout défaut avec cet enthousiasme naïf typiquement américain, mais cette pression est trop forte pour lui. L’épaisse carapace qu’il s’est forgée lui demande énormément d’énergie et dissimule son anxiété, ses doutes, son stress et ses peurs, comme on va le voir au fil de l’histoire. » 

Le stress que ressent Strickland trouve un dangereux exutoire dans les avances inappropriées qu’il fait à Elisa, qu’il considère par ailleurs comme un laquais sans importance. Michael Shannon commente : « Je pense que Strickland est attiré par Elisa en raison de sa vulnérabilité et parce qu’elle est muette, mais aussi parce qu’elle est son exact opposé. Dans une réalité alternative, Strickland aimerait sans doute lui ressembler davantage. » La collaboration de Michael Shannon avec Sally Hawkins a tout de suite été électrique. Les deux acteurs ont creusé leurs personnages jusqu’à créer une tension à couper au couteau entre Elisa et Strickland. 

Michael Shannon raconte : « Je suis fan de Sally depuis que je l’ai vue dans BE HAPPY où son interprétation m’avait époustouflé ; j’étais donc impatient de travailler avec elle. C’est extrêmement difficile de jouer un personnage qui ne parle pas, et pourtant, Sally est capable de communiquer silencieusement avec encore plus de force. C’est très impressionnant à voir. » 

Sally Hawkins a elle aussi trouvé le contraste entre leurs personnages très stimulant. Elle déclare : « Elisa voit clair en Strickland et ça a été un plaisir à jouer – en particulier face à Michael qui est tellement terrifiant ! Son personnage est une cocotte-minute sur le point d’exploser mais Elisa sait lui tenir tête, ce qui est très libérateur. » Pour la créature, Strickland représente une menace très sérieuse. 

Doug Jones raconte : « Strickland considère mon personnage comme un monstre, et comme il ne le comprend pas et ne fait aucun effort pour y parvenir, il prend plaisir à le voir souffrir. C’est l’archétype de la brute tyrannique : il voit quelqu’un de différent de lui, qu’il ne comprend pas, et il s’acharne dessus. Ce qui est paradoxal, c’est que Michael est tout l’inverse de son personnage, c’est quelqu’un d’absolument charmant dans la vie, mais au cinéma, il parvient à faire ressortir la noirceur du cœur humain comme aucun autre acteur. Son jeu est d’une intensité extraordinaire, je ne crois pas l’avoir jamais vu cligner des yeux ! » 

À propos de la manière dont son personnage perçoit la créature, Michael Shannon déclare : « Strickland s’est occupé de la capture de la créature et espère que cela aura des retombées positives sur sa carrière. Je pense que la créature lui procure un sentiment de satisfaction, mais il l’utilise également comme un exutoire à ses sentiments refoulés. » L’acteur a en outre pris énormément de plaisir à collaborer avec Guillermo del Toro. Il déclare : « Guillermo vous intègre totalement au processus créatif. J’admire aussi beaucoup le fait qu’il ne s’arrête jamais : lorsqu’il ne tourne pas, il travaille au montage du film, écoute ce qui se passe autour de lui ou réfléchit. Chaque atome de son être est constamment à l’affût d’une opportunité car il ne prend jamais rien pour acquis. Et ça me va plutôt bien parce que je suis pareil. » Aux côtés de Michael Shannon, on découvre David Hewlett (LA PLANÈTE DES SINGES : LES ORIGINES) dans le rôle de Fleming, le directeur de la sécurité du laboratoire qui n’a aucune intention de laisser la situation lui échapper. 

David Hewlett déclare : « Fleming est un rouage clé de l’odieuse machine gouvernementale dont cette magnifique créature est prisonnière. C’est un faible car il reste silencieux face aux exactions dont il est témoin. Il a une impression de toutepuissance alors qu’en réalité il est impuissant. » 

L’acteur n’a que des éloges pour ses partenaires. « Octavia est une véritable boule d’énergie, Fleming est imbuvable avec son personnage mais comme elle est absolument adorable dans chaque scène, j’avais du mal à ne pas sourire. Sally est tellement stupéfiante que c’en est presque douloureux à regarder. Quant à Michael, il réussit à être captivant et terrifiant à la fois à chacune de ses apparitions à l’écran. »

LES ALLIÉS D’ELISA

Une fois que Guillermo del Toro a pris conscience qu’il écrivait une histoire d’amour, les personnages ont commencé à prendre forme. Elisa et ses deux meilleurs amis, Giles et Zelda, ont toujours été liés dans son esprit. Il explique : « Ensemble, ils constituent un seul et même personnage, comme s’il s’agissait des trois parties d’un même tout. Tous sont marginaux et invisibles pour des raisons bien différentes – couleur de peau, orientation sexuelle ou handicap – mais ensemble, rien ne peut les arrêter. Je trouve savoureux que le laboratoire pense combattre de sournois espions soviétiques, alors qu’en réalité il fait face à deux femmes de ménage et un artiste homosexuel. » 

Avant sa rencontre avec la créature, Elisa combat sa solitude avec son voisin et ami le plus cher, Giles, un publicitaire solitaire et malchanceux passionné de comédies musicales. Le personnage au courage discret mais bien présent est incarné par l’acteur cité à l’Oscar Richard Jenkins (THE VISITOR, LAISSE-MOI ENTRER, « Olive Kitteridge ») qui confie avoir sauté sur l’occasion de prendre part à cette histoire « de toute beauté ». 

L’acteur était très enthousiaste à l’idée de collaborer pour la première fois avec Guillermo del Toro. Il déclare : « Pour moi, Guillermo est une sorte de vieux maître qui possède un univers propre. Il est aussi très différent des réalisateurs avec lesquels j’ai pu travailler. Il imagine des histoires authentiques mais qui possèdent aussi ce petit truc en plus qui incarne la vie, l’art et l’amour. C’est quelqu’un d’unique, c’est pourquoi chacun d’entre nous était prêt à tout pour lui sur le tournage. » 

Guillermo del Toro avait la conviction profonde que le potentiel de Richard Jenkins n’avait pas encore été entièrement exploité. Il explique : « J’étais convaincu qu’outre ses talents d’acteur de genre, il ferait un formidable premier rôle. Pour Giles, j’avais besoin de quelqu’un d’élégant pour qui la symbiose avec Elisa semble être une deuxième nature. Leur relation est platonique mais ils s’aiment profondément et se protègent mutuellement. Ce sont de véritables âmes sœurs. » 

En tant qu’homosexuel évoluant dans la société intolérante des années 60, Giles a peu d’exutoires pour sa vie émotionnelle intérieure, ce qui constitue un élément essentiel pour l’interprétation du personnage. Le réalisateur commente : « J’ai expliqué à Richard que je voulais que Giles soit à la fois effacé et rebelle, c’est quelqu’un de fort qui se trouve dans une position vulnérable. Et Richard a fait preuve d’une sincérité et d’une justesse extraordinaires, il a tout mis dans son interprétation. » 

Frustré par l’immobilisme de sa carrière artistique, Giles s’évade en regardant des comédies musicales. Si l’âge d’or du genre touche à sa fin en 1962, Giles continue à les savourer sur son écran de télévision en compagnie d’Elisa. Richard Jenkins commente : « Je pense qu’il aime l’idée d’un monde imaginaire parfait. Il ne peint quasiment plus pour le plaisir, uniquement pour joindre les deux bouts, il vit donc par procuration à travers ces films. C’est la raison pour laquelle ce que traverse Elisa se transforme une planche de salut pour lui aussi. » 

En effet, lorsque Giles rencontre la créature, le feu créateur qui s’était éteint en lui se rallume. L’acteur raconte : « La créature a un effet sur tous ceux qui entrent en contact avec elle. Elle ravive ainsi l’amour de Giles pour l’art, qui a évidemment envie de peindre cet être remarquable et mystérieux. » Richard Jenkins a pris beaucoup de plaisir à travailler avec Sally Hawkins, notamment en raison de la forme de communication unique qui lie Giles, un homme à la recherche de quelqu’un à qui parler, et Elisa, une femme muette. 

De sa partenaire, il dit : « THE SHAPE OF WATER est son film, personne d’autre qu’elle n’aurait pu jouer ce rôle, mais je pense qu’elle ignore à quel point elle est talentueuse. » L’actrice a elle aussi été charmée par son partenaire. « Je rêvais de travailler avec Richard, que je trouve à la fois intelligent et libre. Avec lui, une prise est chaque fois différente et chaque fois fantastique. Il exprime avec brio la vulnérabilité de Giles. L’enthousiasme avec lequel il s’est plongé dans son personnage a été un véritable bonheur pour moi. » 

La seule autre personne à qui Elisa se confie est sa collègue Zelda, l’une des plus anciennes femmes de ménage du laboratoire qui, outre le fait de comprendre Elisa, devient son alliée indéfectible. Zelda est interprétée par Octavia Spencer, l’actrice oscarisée pour son rôle dans LA COULEUR DES SENTIMENTS et récemment nommée à l’Oscar pour le rôle de la mathématicienne de la NASA Dorothy Vaughan dans LES FIGURES DE L’OMBRE. C’est le regard de l’actrice que Guillermo del Toro avait à l’esprit lorsqu’il a écrit le rôle pour elle. 

Il explique : « Lorsque je choisis un comédien, je prête une attention particulière au regard car le métier d’acteur consiste pour moitié à écouter et observer. Chaque personnage de ce film a une manière de regarder très particulière et j’avais besoin du regard perçant d’Octavia. Octavia est profondément humaine et représente ce qu’il y a de meilleur en l’humanité à travers son courage, sa ténacité et son intelligence. Lorsqu’elle vous regarde, vous êtes comme lavé de tous vos pêchés. » 

En lisant le scénario de THE SHAPE OF WATER, Octavia Spencer a été profondément touchée par Zelda, une femme aux pouvoirs limités et désavouée par la société qui s’avère posséder une fibre héroïque qu’elle n’imaginait pas. L’actrice déclare : « Ce qui est formidable avec ce film, c’est qu’il s’intéresse à la majorité silencieuse, au petit personnel. Bien qu’il soit question du gouvernement, d’espions, de scientifiques et d’une créature, je trouve très intéressant que l’histoire repose sur une équipe de nettoyage. » 

Octavia Spencer s’est attachée à faire ressortir les qualités de Zelda, lesquelles sont mises à rude épreuves au cours du film. Elle raconte : « Zelda a des opinions bien arrêtées et n’a aucun problème à les exprimer. Si Elisa incarne la douceur, Zelda représente la force – au moins au sein de l’équipe de nettoyage. » 

Les deux femmes sont en effet complémentaires, chacune possède les qualités qui manquent à l’autre. Octavia Spencer explique : « Mon personnage n’arrête pas de parler tandis qu’Elisa est silencieuse. Ensemble, nous formons un duo de choc et avec Sally, cela s’est fait tout naturellement. » 

L’amitié qui unit les deux actrices hors caméra est palpable dans l’affection tacite que se portent Elisa et Zelda. Sally Hawkins déclare : « Octavia et moi sommes des amies proches, travailler avec elle m’a donc semblé tout naturel et évident. Octavia est très intelligente et surtout hilarante, et je trouve remarquable qu’elle arrive à ne jamais basculer dans le cliché avec Zelda. Elle laisse au contraire s’exprimer son cœur tandis que Zelda subit elle aussi une profonde transformation. » 

Pour sa rencontre avec la créature, l’actrice a volontairement refusé de regarder ne serait-ce que les premières esquisses du personnage, car elle voulait que sa réaction soit spontanée. Elle explique : « Guillermo était impatient de nous montrer les dessins de la créature, mais je n’ai rien voulu voir avant que mon personnage soit confronté à elle. J’aime vivre les choses en temps réel. Lorsque j’ai enfin découvert la créature, j’ai été stupéfaite ; avec ses branchies et ses écailles, elle semblait incroyablement réelle. » 

Zelda est effrayée par la créature, même après qu’Elisa succombe à son charme. Octavia Spencer commente : « La plupart des gens ont peur de l’inconnu et ce qui compte pour Zelda, c’est de conserver son emploi. Elle sait que l’équipe chargée de l’entretien n’est pas censée fourrer son nez dans les secrets du laboratoire. C’est la raison pour laquelle elle tente d’ignorer la créature, qu’elle considère davantage comme une chose que comme une personne avant de réaliser que son amie en est tombée amoureuse, ce qui change tout. » 

Le Dr Robert Hoffstetler, le biologiste marin chargé d’étudier l’étrange structure pulmonaire de la créature, joue quant à lui un rôle trouble dans la vie d’Elisa. Témoin du lien furtif entre Elisa et le prisonnier top secret du laboratoire, il se méprend sur les intentions de la jeune femme. L’homme de science déchiré entre son devoir, son amour pour son pays et son admiration pour la créature est interprété par Michael Stuhlbarg, que l’on a notamment pu voir dans A SERIOUS MAN des frères Coen, BLUE JASMINE réalisé par Woody Allen, STEVE JOBS de Danny Boyle et « Boardwalk Empire » sur HBO. 

Après l’avoir vu dans plusieurs de ces films, Guillermo del Toro avait écrit son nom dans la liste des acteurs avec lesquels il avait envie de travailler. Il explique : « J’ai reconnu en Michael la capacité de se métamorphoser en tueur, en saint ou en figure tragique. Je savais qu’il saurait créer un personnage composite comme celui d’Hoffstetler, qui est à la fois un dangereux espion et un scientifique altruiste et doué d’empathie capable de se sacrifier. C’est le personnage qui a le plus de principes car il prend beaucoup de risques pour faire ce qui lui semble juste. » 

Mais Hoffstetler est tiraillé entre des désirs contraires. Michael Stuhlbarg raconte : « Il a une histoire compliquée, mais la science a toujours été son premier amour. Pourtant, sa fascination croissante pour la créature se transforme presque en sentiment amoureux. Ils souffrent tous les deux de solitude et se reconnaissent presque l’un en l’autre. » Pour aider Michael Stuhlbarg à s’approprier le rôle, le réalisateur lui a remis un épais dossier sur Hoffstetler. 

L’acteur explique : « Guillermo a écrit pour moi la biographie de cet homme tel qu’il se le représentait. Elle revenait sur son enfance en Russie, sa formation pour en arriver là où il en est et sa passion pour la biologie marine. Hoffstetler est coincé entre les Soviétiques et les Américains, qui se préoccupent davantage de faire en sorte que le camp adverse ne mette pas la main sur cette créature mythique que d’apprendre d’elle. Finalement, il réalise que ce qu’il veut avant tout, c’est sauver la vie de la créature. » 

Michael Stuhlbarg était loin de parler couramment le russe avant le tournage du film, c’est la raison pour laquelle il a décidé de prendre des leçons pour approfondir sa connaissance de cette langue largement considérée comme l’une des plus difficiles à maîtriser. 

Il déclare : « J’avais suivi un séminaire de six semaines en russe lorsque j’étais étudiant et j’avais parlé la langue ici et là dans des pièces de théâtre, l’intonation et le rythme ne m’étaient donc pas tout à fait étrangers, mais ça a tout de même été un long processus d’apprentissage. Lorsque le tournage a débuté, j’ai été l’un des premiers personnages principaux à avoir une scène de dialogues et c’était en russe, ça a donc été mon baptême du feu ! Je me suis lancé et tout s’est finalement bien passé. Malgré les difficultés, cela m’a permis de mieux cerner mon personnage. »

LA CRÉATURE

Le rôle de la créature à mi-chemin entre l’homme, l’animal et le mythe est interprété par Doug Jones, qui lui donne vie grâce à un costume prosthétique soigneusement conçu et un formidable don pour l’expression physique. L’acteur possède un talent rare qui l’a amené à incarner plusieurs des créations de Guillermo del Toro : il a été l’inoubliable faune du LABYRINTHE DE PAN, Abe Sapien dans la série HELLBOY et un vampire dans « The Strain ». Mais comme Sally Hawkins, il n’avait jamais imaginé tenir le rôle principal d’une histoire d’amour. 

À propos de son partenaire, Sally Hawkins déclare : « Doug livre une performance magistrale, comme l’exigeait le thème que nous explorons. Nous incarnons des êtres de deux espèces différentes qui tombent amoureux l’un de l’autre, et cela devait être empreint de réalisme et de justesse. Heureusement, je suis tombée sous le charme de son interprétation. » 

Il ne faisait aucun doute dans l’esprit de Guillermo del Toro que Doug Jones serait la créature. Il explique : « Doug et moi travaillons ensemble depuis vingt ans, il a tenu certains des rôles les plus cruciaux de mes films. Il fait partie des rares interprètes de créatures qui sont aussi des acteurs dramatiques accomplis. Ce sont souvent des talents distincts, mais Doug les possède tous les deux. C’est un fantastique acteur, avec ou sans maquillage. » 

Le réalisateur ajoute : « S’il n’y a pas d’acteur sous le costume de la créature, il n’y a pas de film. Et Doug n’est pas un performer, c’est un comédien. Prenez par exemple la scène dans laquelle il pénètre dans la salle de cinéma et qu’on réalise qu’il n’a jamais vu de film, c’est un moment qui repose sur son jeu d’acteur. Je me souviens également qu’avant de tourner la scène qui se déroule dans la salle de bain où il apprend à connaître la créature, Richard Jenkins s’inquiétait de devoir donner la réplique à un simple costume. Mais après coup, il m’a confié avoir eu le sentiment d’être face à une divinité aquatique. Il a ressenti toute la douleur et la confusion de la créature chez Doug. » 

L’interprétation de Doug Jones repose sur son empathie, nourrie par la force de son imagination, pour cette créature amphibie profondément intelligente, pourchassée et arrachée à son environnement afin d’être étudiée par une espèce étrangère. L’acteur déclare : « Il est seul au monde, c’est le dernier représentant de son espèce. Il n’a également jamais quitté sa rivière, si bien qu’il ne comprend pas où il se trouve ni pourquoi. Le gouvernement le soumet à des tests et des biopsies dans l’espoir de pouvoir un jour l’utiliser à son avantage. » 

Mais la créature est bien plus complexe que ne l’imaginent les agents du gouvernement. Elle possède en effet le pouvoir unique de se faire le reflet des désirs de ses interlocuteurs. Doug Jones observe : « Malgré son apparence de phénomène de foire, cet être tient aussi de l’ange. Il semble avoir la capacité d’exposer et d’amplifier tout ce qui se passe chez l’humain qui se trouve face à lui. » 

Lorsqu’il rencontre Elisa, leurs émotions à tous les deux sont décuplées. L’acteur raconte : « Par nécessité, leur communication dépasse les mots pour reposer entièrement sur la vue et les émotions. Les personnages sont tous les deux hors de leur élément dans la société, mais lorsqu’ils sont ensemble, plus rien d’autre n’existe. » 

Pour développer les mouvements de la créature, Doug Jones s’est servi d’une description que lui en a faite Guillermo del Toro. « Il m’a dit que la créature avait l’allure d’un toréador sexy et dangereux doublée de la fluidité du Surfeur d’argent ! » Durant le mois de répétitions qui a précédé le tournage, Sally Hawkins et Doug Jones se sont attachés à donner vie à des personnages jusqu’alors abstraits. 

L’acteur se souvient : « Ça a été un plaisir d’explorer le champ de la communication non-verbale avec Sally, on peut exprimer énormément de choses sans dialogue. La force de leur amour conduit d’ailleurs Elisa à s’opposer à l’ordre établi et à sortir de sa zone de confort. » La scène d’amour entre les personnages a également obligé Doug Jones à s’éloigner de sa zone de confort. L’acteur admet n’avoir jamais imaginé tourner une scène de sexe, aussi astucieuse soit-elle, en costume de monstre – et pourtant il confie que cela lui a permis de faire l’expérience de la communication physique pure. 

Il développe : « Pour cette scène, je me suis mis dans la peau d’un être qui n’a jamais été touché et qui n’a jamais connu l’intimité. Elisa et lui vivent tous les deux cela pour la première fois, il y a donc une grande innocence qui émane de leur acte d’amour. » 

L’acteur confie avoir particulièrement savouré sa collaboration avec Sally Hawkins. « Nous interprétons tous les deux des personnages tellement atypiques et originaux que cela nous a énormément rapprochés. » Dès que la caméra tournait, le lien qui les unissait devenait palpable. 

L’acteur poursuit : « J’étais parfois si absorbé par ce que faisait Sally que j’en oubliais ce que je devais moi-même faire. Elle est tellement vraie et tellement naturelle que, comme la créature, je suis tombé sous son charme. » 

Octavia Spencer, qui incarne Zelda, l’amie et collègue d’Elisa, se souvient de l’émotion qui s’est emparée d’elle en découvrant les images d’Elisa avec la créature. « C’était extrêmement beau et touchant, à tel point que je me suis tout simplement mise à pleurer. »

LA CRÉATION DE L’AMPHIBIEN

Le cinéma a déjà mis en scène des hommes-poissons ou des tritons, à l’image d’Abe Sapien dans HELLBOY, mais pour la créature de THE SHAPE OF WATER, Guillermo del Toro voulait quelque chose d’original. Il a donc placé la barre encore plus haut en matière de réalisme en créant un être d’une telle vraisemblance biologique qu’il serait capable de susciter une passion dévorante chez une humaine. Trois ans avant que ne débute le tournage de THE SHAPE OF WATER sur les plateaux des studios de Toronto, Guillermo del Toro a engagé Guy Davis et Vincent Proce pour entamer la conception du laboratoire et du cylindre devant contenir l’eau et la créature. 

L’année suivante, il engagea deux sculpteurs, David Meng et Dave Grasso, pour débuter le design de la créature aquatique dans son atelier chez Bleak House. Il a financé personnellement ces recherches. Le cinéaste tenait en effet tellement à ce que la créature soit réussie qu’il a lui-même financé sa mise au point et consacré des centaines de milliers de dollars à un processus qui a duré neuf mois. 

Il confie : « Je voulais que la créature ait l’air vraie mais il fallait aussi qu’elle soit belle, ce qui était plus facile à dire qu’à faire. J’étais conscient que cela prendrait du temps, c’est pourquoi je ne l’ai même pas inscrit au budget du film. C’est véritablement la créature dont la création m’a donné le plus de fil à retordre. » 

Très en amont, Guillermo del Toro a rassemblé une équipe d’artistes reconnus pour leur capacité à donner vie à l’imaginaire. Parmi eux figurent Shane Mahan de Legacy Effects, un expert de la conception de créature et superviseur des effets visuels primé pour son travail sur le super-héros IRON MAN et sur PACIFIC RIM ; et Mike Hill, un célèbre sculpteur spécialisé dans la création de miniatures ultra-réalistes inspirées des monstres des classiques de l’horreur, qui a pris part à des films tels que WOLFMAN, APOCALYPTO et MEN IN BLACK 3. L’équipe au grand complet a travaillé sans relâche pour mettre au point l’apparence de la créature : dessins, puis maquettes, et enfin le costume porté par Doug Jones. 

Sally Hawkins déclare : « La créature est une des plus belles choses que j’aie jamais vues. Mon personnage est attiré par elle et grâce au travail des artistes, cela s’est fait tout naturellement. Je ne voyais plus Doug, mais cet incroyable et mystérieux spécimen. Certains le considèrent comme un monstre, mais pas Elisa, et cela se sent. » 

Pour tester le potentiel de séduction de la créature, Guillermo del Toro avait sa propre méthode. Il raconte : « Tous les soirs, je ramenais les esquisses à la maison pour les soumettre à ma femme et mes filles et obtenir leur avis sur ses fesses, ses abdos et la largeur de ses épaules, car il était important qu’il s’agisse d’une créature dont une femme puisse tomber amoureuse. » 

La créature a directement été inspirée de la nature avec sa peau bioluminescente, ses yeux aux multiples membranes, ses lèvres épaisses et son apparence humanoïde élancée. Pour ceux dont le métier consiste à imaginer de nouvelles formes de vie, créer quelque chose d’aussi original était irrésistible. Shane Mahan déclare : « Dès le départ, l’idée était de transmettre la notion d’une vie aquatique existant depuis des milliers d’années, de donner au personnage l’apparence d’une créature des mers de forme humaine mais dotée de la phosphorescence et des couleurs changeantes des poissons tropicaux pour le rendre captivant. » 

Pour l’aider dans ce processus, Guillermo del Toro a fait appel à Mike Hill, dont les sculptures de monstres ultra réalistes l’avaient récemment impressionné lors d’une convention de films d’horreur. Le réalisateur déclare : « Mike entretient un rapport étonnant avec les monstres et j’ai pensé que ses connaissances en la matière nous seraient utiles. La difficulté avec cette créature, c’est qu’elle tient le premier rôle du film. » 

Le sculpteur se souvient de la mission que lui a fixée Guillermo del Toro : « Il voulait que je confère une âme à la créature. Il tenait également à ce que ce soit un être pour qui une femme puisse avoir le coup de foudre. Je me suis donc mis à esquisser un séduisant homme-poisson avec des lèvres qui donnent envie de les embrasser, une mâchoire carrée et des yeux de biche. Tout est parti de là. » 

Le processus s’est tellement intensifié que Mike Hill a passé jour et nuit à travailler et retravailler ses sculptures d’argile avec Guillermo del Toro. Le cinéaste raconte : « Après des semaines et des semaines d’affinage, nous sommes enfin arrivés à ce que nous voulions. » 

Une version plus athlétique de la créature venait de voir le jour. Mike Hill explique : « Je voulais lui donner une allure plus imposante, mais j’ai pensé qu’il fallait utiliser le physique élancé de Doug à notre avantage et ne pas en faire un être massif. » En parallèle de leur travail, Mike Hill et Guillermo del Toro ont attentivement lu tout ce qu’ils ont pu trouver sur le monde marin. 

Le sculpteur déclare : « Nous voulions que la créature ressemble à quelque chose qu’on pourrait voir échoué sur une plage et dont on penserait à première vue qu’il s’agit d’un poisson. Il était donc important que nous utilisions des couleurs familières, naturellement présentes chez les poissons. » 

Avec sa membrane interne qui lui permet d’avaler sa nourriture en un temps record, la rascasse volante, un magnifique poisson exotique très coloré et très venimeux du Pacifique, a inspiré la manière dont mange la créature. Mike Hill a également puisé l’inspiration dans la nature pour la peau bioluminescente et translucide du personnage. Il explique : « Les gens qui possèdent des aquariums sont souvent attirés par les poissons qui brillent dans le noir et sont transparents, c’est ce qui a motivé notre choix. Legacy a ensuite réussi à intégrer cette idée dans un superbe costume opaque. » 

Mais les sculptures d’argile ne représentaient que la moitié du travail. L’étape suivante a été tout aussi complexe car il a fallu transformer ces effigies en une série de costumes en latex pouvant être portés par un comédien. Legacy est parti des maquettes de Mike Hill pour créer une image numérique agrandie qui a ensuite été retravaillée pour rendre la musculature et les veines plus apparentes. Les artistes se sont également attelés à la création du visage de la créature, et en particulier de ses yeux. 

Shane Mahan raconte : « Dès le départ, Guillermo nous a dit qu’il voulait que les yeux puissent être changés sur le tournage afin de modifier l’humeur ou l’apparence de la créature. Comme il était impossible de démaquiller entièrement Doug pour le faire, nous avons eu l’idée d’utiliser un système magnétique qui permet d’échanger les yeux sans toucher à rien d’autre. C’était la seule solution car pendant une nuit de tournage, il fallait changer ses yeux quatre ou cinq fois. » 

Les détails apparemment secondaires – comme la création du système de branchies de la créature – ont demandé énormément de temps et de réflexion. Shane Mahan explique : « Les branchies ont constitué un défi de taille parce qu’il y a des scènes avec beaucoup d’eau, mais ça a aussi été passionnant car elles donnent au personnage un moyen supplémentaire de réagir sans utiliser de mots. Elles nous ont permis d’utiliser la respiration de Doug pour souligner des émotions comme l’excitation, la colère ou l’affection. » 

Guillermo del Toro a été présent auprès de l’équipe de Legacy tout au long du processus de création du costume. Shane Mahan raconte : « Sa passion pour notre métier est contagieuse. Il a toujours répondu présent, que ce soit tard le vendredi soir ou le dimanche, et il s’est impliqué dans toutes les étapes. C’est très rare d’être encouragé à faire preuve d’un pareil degré d’attention aux détails, mais pour nous, une telle obsession est une source d’inspiration. Cela nous pousse à vouloir créer quelque chose d’aussi parfait que possible. »

Finalement, ce sont quatre costumes d’une incroyable complexité, pouvant être entièrement plongés dans l’eau, qui ont été fabriqués pour le film. Guillermo del Toro déclare : « Shane et le reste de l’équipe de Legacy ont été des partenaires de choix dans la conception de ce costume. Ils ont joué un rôle clé dans le développement de la couleur et la résolution des problèmes logistiques, et ils ont réussi à créer quelque chose de parfaitement fonctionnel tout en conservant la beauté du design que Mike et moi avions imaginé. » Conçu avec le plus grand soin, le costume a cependant constitué un défi quotidien pour Doug Jones, qui a non seulement dû apprendre à vivre sous cette carapace mais également à tomber amoureux derrière un masque. Malgré les efforts déployés par Legacy pour qu’il soit aussi souple que possible, il restait très contraignant. 

Shane Mahan commente : « Le costume était très près du corps et comprenait des corsets à l’intérieur pour le rendre encore plus moulant. Nous avons cependant conçu des plaques abdominales segmentées pour plus de souplesse et de liberté de mouvement. Il n’est donc pas rigide, ce qui permet à Doug de réaliser les mouvements gracieux exigés par l’histoire. » 

En raison de la nature même du costume, Doug Jones, 56 ans, confie n’avoir jamais été aussi en forme. « Je savais que ce serait le rôle le plus exigeant de ma carrière sur le plan physique et ça m’a motivé. Le simple fait de porter le costume, dont la mousse de latex de caoutchouc et le silicone ont été conçus pour revenir systématiquement à la forme dans laquelle ils ont été sculptés, était en soi une intense séance de sport car chaque mouvement revenait à faire une pompe ou une traction ! » 

Pour parachever sa transformation, l’acteur passait également quotidiennement entre deux et quatre heures au maquillage. Dans certaines scènes, les prothèses qu’il portait à la place des yeux l’empêchaient tout simplement de voir. Pour enfiler son costume, Doug Jones avait en outre besoin de l’aide de quatre personnes. 

Il se souvient : « C’était comique ! Les quatre hommes adultes qui m’aidaient dans cette tâche devaient utiliser toute leur force – et pas mal de talc – pour tirer, pousser et réussir à faire passer mes jambes et mes bras dans le costume. »

LES EFFETS VISUELS

Dennis Berardi, superviseur des effets visuels du film et collaborateur régulier de Guillermo del Toro, a également été un partenaire clé dans la réalisation de la créature. Lorsqu’il a lu le scénario de THE SHAPE OF WATER, il a été envahi par les émotions… et l’excitation. 

Il explique : « J’ai tout de suite su que mon équipe allait pouvoir apporter une réelle contribution à l’un des éléments clés du film au plan émotionnel, et cela me plaisait. » Le superviseur des effets visuels a commencé par créer un double numérique de Doug Jones dans le costume prosthétique. 

Il déclare : « Guillermo voulait non seulement que la créature soit capable d’exprimer ses émotions comme Doug, mais aussi qu’elle se déplace sous l’eau avec grâce. Nous avons donc commencé par faire des tests de mouvements avec notre équipe animation chez Mr. X avant de pouvoir créer une version numérique du personnage digne de la magnifique performance livrée par Doug. » 

L’élaboration des mouvements sous-marins de la créature a nécessité d’importantes recherches qui ont amené l’équipe à s’intéresser non seulement aux nageurs olympiques mais également aux espèces aquatiques telles que les requins, les macareux moines, les loutres et les pingouins. 

Dennis Berardi commente : « Nous avons étudié tous les animaux qui se déplacent gracieusement sous l’eau dans le but d’ancrer notre création dans la réalité. » 

Le résultat est un double numérique alliant le formidable jeu d’acteur de Doug Jones à la forme d’une créature imaginaire : le réel et l’irréel parfaitement synchronisés. Dennis Berardi a même joué sur les couleurs de la créature en les modifiant en fonction de l’humeur de celle-ci. 

Il explique : « Notre objectif était que les spectateurs ne puissent pas distinguer la version numérique du personnage de celle interprétée par Doug. Le jeu de Doug a inspiré notre animation, et à son tour notre animation a façonné la manière dont Doug a été filmé. Si le public ne parvient pas à les différencier l’une de l’autre, nous aurons réussi notre pari. » 

Les connaissances encyclopédiques de Guillermo del Toro en matière de cinéma, et en particulier l’histoire du cinéma de monstres, ont été très précieuses pour le superviseur des effets visuels et son équipe. 

Dennis Berardi déclare : « Il sait tout ce qu’il y a à savoir sur les créatures, on peut lui soumettre n’importe quelle référence tirée d’un film et on peut être sûr qu’il sait comment elle a été créée. Cela lui permet de communiquer très clairement ce qu’il veut en citant des références visuelles mais également en décrivant ce qu’il a à l’esprit. Il vous donne l’inspiration initiale puis vous met au défi d’apporter vos propres idées, ce qui est très gratifiant. »

FILMER L’IRRÉEL AVEC RÉALISME

L’atmosphère sombre de THE SHAPE OF WATER entraîne le public dans les profondeurs de l’histoire, et la photographie de Dan Laustsen est la clé de voûte de cette atmosphère, fruit de la vision de Guillermo del Toro. 

Le réalisateur déclare : « C’est l’éclairage qui donne son apparence finale à la créature. Si mon directeur de la photo n’avait pas compris cela, notre collaboration n’aurait pas fonctionné. Dan sait aussi que son travail ne se limite pas au réglage de la lumière. Il ne se soucie pas de la technique, il se laisse guider par ses émotions et je pense que c’est le cas de tous les grands chefs opérateurs. Un bon directeur de la photo est comme un chef d’orchestre, sauf qu’il transmet des émotions grâce à la lumière et non via des notes de musique. » 

Lorsqu’il a lu le scénario, Dan Laustsen s’est demandé comment il allait bien pouvoir mettre cette histoire en images. Il se souvient : « J’ai discuté avec Guillermo et sa vision était tellement claire que je me suis mis à croire que c’était possible. Ce film a été à la fois un défi de taille et une expérience fantastique. »

Le mutisme des deux personnages principaux a particulièrement séduit le directeur de la photographie. Il explique : « L’idée de deux personnages muets attirés l’un par l’autre est très cinématographique. » 

Il a également été inspiré par l’idée de créer une certaine fluidité visuelle évocatrice de l’eau. « Dans le film, tout est en mouvement. Guillermo tenait à ce qu’il y ait beaucoup de mouvements de caméra et comme il apprécie particulièrement les mouvements précis, nous avons utilisé toutes sortes de grues, de dollies et de Steadicams. Ça a été passionnant. » 

Dan Laustsen a utilisé la caméra numérique Arri Alexa avec des objectifs Arri/Zeiss de la série Master Prime pour un maximum de précision. Il explique : « Guillermo voulait des images d’une netteté absolue pour laisser apparaître tous les détails, et c’est le cas grâce à cette combinaison. » Le réalisateur et le chef opérateur avaient initialement envisagé de tourner le film en noir et blanc avant de changer d’avis – une décision à l’effet catalyseur, selon les deux hommes. Après avoir opté pour des tons monochromatiques à la place, ils ont méticuleusement travaillé l’éclairage et sa texture afin de créer une esthétique plus moderne mais désaturée, dominée par des tons aquatiques. 

Guillermo del Toro commente : « Je tenais à ce que le film soit monochrome, la palette se compose donc principalement de bleus et de verts contrebalancés par de l’ambre. Le rouge n’est utilisé que pour le sang et l’amour. » 

L’éclairage quasi architectural du film est la pièce maîtresse du travail de Dan Laustsen. Le réalisateur déclare : « Dan est un génie de la lumière. Il a réussi à éclairer THE SHAPE OF WATER comme s’il s’agissait d’un film en noir et blanc des années 50 alors que nous avons utilisé la couleur. La lumière de ce film est très expressionniste et pleine d’ombres, ce qui donne un résultat que je trouve très élégant, dans l’esprit des grands classiques. » 

L’éclairage a joué un rôle particulièrement important dans le tournage des scènes avec la créature. Dan Laustsen explique : « Ce n’est pas vraiment un personnage terrifiant, mais il est fascinant et la caméra est hypnotisée par lui. S’agit-il d’un animal ou d’une personne ? Sur le plan photographique, il a fallu que nous l’éclairions avec beaucoup de soin car en tant que spectateur, on veut le voir sous toutes les coutures, mais il était également important de lui conserver une part de mystère. » 

Pour certaines des séquences sous-marines, le directeur de la photographie a eu recours à une technique de la vieille école baptisée « dry for wet » qui permet de donner l’illusion de l’eau. Pour cela, il a utilisé une épaisse fumée, des ventilateurs et des projections lumineuses afin de créer une atmosphère semblable à celle du milieu aquatique. Cela a eu l’avantage de permettre aux acteurs de travailler les yeux ouverts, ce qui était essentiel pour saisir leurs expressions. 

Guillermo del Toro déclare : « Nous avons fait beaucoup de recherches sur la meilleure manière de faire du dry for wet, qu’il s’agisse du nombre d’images par seconde ou de la manière de créer des particules flottantes. Nous savions que la clé était de créer des effets de lumière projetée sur les personnages afin de donner aux scènes une dimension lyrique. » Doug Jones se souvient : « Lorsque nous avons tourné ces scènes « sous-marines », Sally et moi nous trouvions dans la brume tandis que des rais de lumière zigzaguaient autour de nous comme des vagues. C’était très étrange, mais lorsque j’ai vu ce que cela donnait, j’ai été sidéré par le réalisme des images. » 

C’est par contre dans un bassin qu’ont été tournées les séquences qui se déroulent dans la salle de bain. Dan Laustsen déclare : « Tourner sous l’eau est toujours compliqué en raison du manque de communication, mais l’aspect sousmarin était vraiment le cadet de nos soucis pour ces scènes. Nous voulions surtout qu’Elisa soit rayonnante, que la créature ait l’air inquiétante et que le tout soit très romantique. »

SOUS LE SIGNE DE L’EAU

Au-delà de ses talents de metteur en scène, Guillermo del Toro possède le don extraordinaire de créer des univers à nul autre pareils. Pour THE SHAPE OF WATER, il a convoqué l’Amérique de la guerre froide, à laquelle il a conféré l’aura d’une légende intemporelle. Le projet était ambitieux. Malgré son existence tranquille et sa quasi-invisibilité, Elisa évolue dans des mondes marquants, qu’il s’agisse du laboratoire gouvernemental secret où elle travaille, de son appartement où filtre la lumière vacillante du cinéma de série B situé juste en dessous, ou de la côte du Maryland où culmine le film. À l’image de la fluidité des mouvements de la caméra, les décors opposent courbes et ondulations à un monde dans lequel les hommes se montrent raides et inflexibles. 

J. Miles Dale déclare : « Guillermo est indéniablement un grand visualiste. Des décors aux costumes en passant par le cadrage, aucun détail ne lui échappe, ce qui le rend très populaire auprès des chefs de départements créatifs. Avec Paul Austerberry, le processus a très vite été amorcé afin de concevoir le laboratoire, le bureau et le domicile de Strickland, les appartements d’Elisa et Giles ainsi que la salle de bain qui tient une place si importante dans l’histoire. Il a passé beaucoup de temps à mettre au point la palette des couleurs, et ça a été la même chose avec les costumes de Luis Sequeira. 

Guillermo a toujours des idées très précises sur les couleurs et les textures, et Luis s’en est largement inspiré, travaillant en étroite collaboration avec Paul et Dan Laustsen tout au long du processus. » Pour Guillermo del Toro, faire appel à Paul Austerberry – qui prend également part à PACIFIC RIM 2 – était une évidence. Il explique : « Ce que j’apprécie tout particulièrement chez Paul, c’est qu’il a des opinions très tranchées qui lui permettent de réagir à tout ce que je propose en avançant de nouvelles idées. Il sait néanmoins rester réaliste, ce qui était crucial en raison de la portée de ce film, de la complexité de ses décors et de ses scènes sous-marines. Il fallait qu’il soit capable d’orchestrer et de gérer tous ces paramètres. » 

Recherches et réalisme ont été les piliers du travail du chef décorateur, dont les créations ont transporté les acteurs et l’équipe. Sally Hawkins commente : « À chaque fois que je pénétrais sur le plateau, j’avais l’impression d’entrer dans un tableau. » 

Paul Austerberry a commencé par ancrer ses créations dans la réalité du début des années 60, entre futurisme et design élégant et fonctionnel de la décennie précédente. Il déclare : « Guillermo et moi tenions à ce que les décors soient ancrés dans le réel, c’est la raison pour laquelle j’ai commencé par faire d’importantes recherches. J’ai épluché d’innombrables livres ainsi que les archives de toutes sortes de laboratoires de recherche gouvernementaux pour rassembler un maximum de références. Guillermo a l’habitude de dire qu’il faut d’abord ancrer un univers dans la réalité pour le faire ensuite basculer dans le fantastique. Nous sommes donc restés aussi fidèles à la réalité que possible. » 

Le laboratoire, où se trouve le bassin intérieur sécurisé qui abrite la créature, donne le ton au film avec son mélange de haute technologie émergente et sa salle des horreurs intemporelle. Le chef décorateur explique : « Nous ne voulions pas d’un laboratoire trop stérile et trop lumineux comme ceux que l’on a l’habitude de voir. À l’inverse, nous avons créé un lieu au passé sombre dont on sent qu’il a été le théâtre de nombreux événements troublants. » L’espace dédié à la créature est un labyrinthe de tuyauteries, de conduits et de chambres cylindriques. 

Guillermo del Toro commente : « Je voulais que l’enceinte où évolue la créature évoque un donjon avec toutes ses chaînes, ses tables d’opération et ses canalisations fumantes. On est loin d’un laboratoire agréable et bien éclairé, je tenais à ce qu’il ait l’air plus médiéval que moderne pour souligner l’atmosphère de conte de fées de cette histoire. » 

Paul Austerberry ajoute : « Ces tuyaux apparents ont l’air d’être en fonte mais ils sont en réalité en polystyrène. La complexité de ce décor était telle qu’il a fallu penser à chaque détail, jusqu’au moindre fil électrique. Pour couronner le tout, il fallait que tous les éléments soient résistants à l’eau et à la vapeur et puissent accueillir un important dispositif d’éclairage. » 

Pour ce décor, le chef décorateur a puisé l’inspiration dans l’architecture brutaliste – un style très populaire des années 50 aux années 70 qui se caractérise par son aspect fonctionnel et l’omniprésence du béton brut. À la recherche de quelque chose de moins angulaire, il s’est référé aux photos d’un sanatorium français en béton aux formes plus arrondies. 

Il explique : « Je ne voulais pas de lignes droites trop marquées qui renvoient à l’univers de la science-fiction moderne. » On lui doit également la capsule dans laquelle arrive la créature. Il déclare : « Dans le scénario, la capsule était décrite comme un poumon d’acier, j’ai donc fait plein de recherches à ce sujet et j’ai trouvé une référence qui a particulièrement plu à Guillermo. Il a été séduit par sa couleur, sa forme et les matériaux utilisés pour sa conception. C’est un des premiers éléments que nous avons créés car sa fabrication a nécessité plus de huit semaines. L’idée est que le caisson est monté sur roues, de sorte qu’il peut être accolé au large cylindre pressurisé qui se trouve dans le laboratoire pour transférer la créature. » 

Pour le centre de contrôle du laboratoire, similaire à celui de la NASA, Paul Austerberry a confectionné une mosaïque en pâte de verre typique des années 50, réalisée sous forme de panneaux pour un déploiement plus rapide. Il déclare : « J’ai fait des recherches sur les fresques murales des années 50 et j’ai découvert des carreaux de mosaïque de Lisbonne d’un incroyable bleu-vert que Guillermo a adorés. On la voit beaucoup dans le film car le bureau de Strickland, plutôt austère, domine le laboratoire, ce qui permet de voir cette magnifique palette de couleurs derrière les grandes vitres de ses fenêtres. »

Le bureau de Strickland domine le centre de contrôle, bardé de matériel de surveillance, telle une vigie dans le ciel. Paul Austerberry raconte : « Strickland observe ses employés grâce à un système de caméras de surveillance en circuit fermé qui nous a été inspiré par les installations utilisées dans les studios de télévision des années 60. Lorsqu’on voit Strickland derrière son mur d’images, on comprend qu’il se considère au-dessus de tout le monde et qu’il a un sentiment d’omniscience grâce à toutes les informations qu’il collecte. » 

Les toilettes et les vestiaires du laboratoire sont le théâtre de scènes clés du film qui ont été tournées dans la gigantesque centrale électrique désaffectée Hearn à Toronto, symbole d’une ère industrielle jadis florissante. Le chef décorateur explique : « Nous avons choisi Hearn pour ses pièces carrelées. Malheureusement, le carrelage y était de couleur crème, ce qui ne convenait pas à Guillermo. Nous avons alors repeint chaque carreau à la main afin qu’il s’intègre à la palette de couleurs du film. » 

Paul Austerberry a pris beaucoup de plaisir à créer les appartements d’Elisa et Giles, situés au-dessus d’un petit cinéma de quartier. Pour l’extérieur, il a utilisé l’un des hauts lieux culturels de Toronto, Massey Hall. Reconnu lieu historique national du Canada, Massey Hall a été érigé dans le style néoclassique par l’architecte Sidney Badgley en 1894 puis rénové dans les années 1940 pour se transformer en une salle de spectacle. Bien qu’il n’ait jamais été dédié au septième art, le lieu évoque l’élégance d’un vieux cinéma, et agrémenté d’un fronton illuminé, il fait parfaitement illusion. Mais c’est à l’intérieur que le chef décorateur a réellement pu laisser s’exprimer toute sa créativité. Guillermo del Toro souhaitait que les appartements d’Elisa et Giles soient, à l’image de leur amitié, les deux moitiés d’un tout, séparées par une fenêtre en ogive. 

Le réalisateur déclare : « Leurs appartements sont en quelque sorte les deux hémisphères d’un même globe, mais nous les avons éclairés très différemment. Pour Giles, même si la scène se passe en pleine nuit, nous avons opté pour une lumière de coucher de soleil aux tons chauds. À l’inverse, le code couleur de l’appartement d’Elisa est très aquatique avec des éclairages froids et beaucoup de cyan. Son logement est corrodé par l’eau, ce qui n’est pas le cas de celui de Giles où l’on trouve beaucoup de bois et de lumière dorée, des couleurs très terriennes harmonisées au rôle de port d’attache que tient le personnage dans la vie d’Elisa. L’appartement de la jeune femme est, à l’inverse, inondé de la lumière magique provenant du cinéma. » 

L’appartement d’Elisa figure parmi les décors préférés du réalisateur et du chef décorateur. Paul Austerberry explique : « Nous nous sommes imaginé qu’il s’agissait jadis d’une majestueuse pièce qui avait été ravagée par les flammes et n’avait jamais été réparée, si bien qu’elle semble vieillie et possède cette patine que Guillermo affectionne tant. Il nous a montré une image qu’il avait ramenée d’un concours de photographie en Inde représentant une femme âgée dans une pièce sombre à la texture vieillie, avec un mur bleu cyan en arrière-plan, et c’est devenu une importante source d’inspiration. » Le chef décorateur a porté une attention toute particulière aux murs. Ses importantes recherches l’ont conduit à un motif de papier peint anglo-japonais représentant de petites courbes évoquant subtilement les écailles d’un poisson, dans l’esprit d’une gravure japonaise ancienne. Il a alors apposé ce motif sur une vague déferlante estompée qui rappelle la très célèbre gravure sur bois de l’artiste japonais du XIXe siècle Hokusai, « La Grande Vague de Kanagawa ». 

Paul Austerberry explique : « Nous avons demandé à un peintre d’art de décor de peindre une version de « La Vague » sur plâtre texturé que nous avons ensuite recouverte encore et encore jusqu’à ce qu’elle soit quasiment imperceptible tout en conservant l’impression de la présence de l’eau sur le mur. Guillermo tenait à ce que le mur soit nu et discret mais aussi à ce qu’il raconte une histoire pour qui sait ce qu’il cherche. C’est de là qu’est partie notre inspiration. » 

Tous les murs de l’appartement étaient amovibles, ils ont été conçus pour être rapidement démontables et s’adapter aux mouvements de la caméra. De plus, les fenêtres ont été conçues pour résister aux déluges de pluie qui précèdent l’apogée du film. 

Pour le sol, Paul Austerberry a façonné des brèches dans le sous-plancher pour que la lumière du cinéma pénètre dans l’appartement, de sorte que la vie quotidienne d’Elisa et Giles est rythmée par les histoires fantastiques diffusées sous leurs pieds. Le chef décorateur s’est ensuite attelé au décor le plus complexe de tous : la modeste salle de bain rétro d’Elisa, qui lui permet d’échapper au monde et qui devient le refuge de la créature ainsi que le théâtre de leur amour. Toute la difficulté de ce décor reposait sur le fait qu’il devait se transformer en piscine. 

Paul Austerberry commente : « Nos décors sont généralement fabriqués en bois, en polystyrène et en plâtre. Mais cette fois-ci il a fallu qu’on se tourne vers l’aluminium et la résine à la place du plâtre parce que nous savions qu’il serait immergé dans un bassin. Pendant le tournage, nous avons lentement abaissé les décors dans le bassin pour qu’on puisse voir l’eau monter. L’opération a été très délicate. » 

Malgré les nombreuses difficultés, le résultat en valait la peine, comme l’explique Sally Hawkins : « L’appartement d’Elisa m’a laissée sans voix. J’ai été époustouflée par sa richesse et ses couleurs, c’était comme travailler à l’intérieur d’un poème où d’une incroyable œuvre d’art. » 

Pour prolonger les décors, le superviseur des effets visuels Dennis Berardi a ressuscité le Baltimore des années 1960 en recréant la ville sur ordinateur d’après des photos d’archives. Il déclare : « Notre objectif était de créer une ville photoréaliste qui tende vers la fable – un équilibre difficile à trouver. La collaboration de Guillermo nous a été d’une aide précieuse. Il nous a obligés à repousser nos limites pour que chaque plan soit éblouissant. » 

La frontière trouble entre fable et réalité a également influencé le travail du chef costumier Luis Sequeira. Le réalisateur commente : « Chaque pièce créée par Luis reflète l’identité profonde du personnage qui la porte, qu’il s’agisse du somptueux costume en tissu peau de requin qui donne à Strickland des faux airs de James Bond, ou des robes d’Elisa. » Luis Sequeira avait déjà travaillé avec Guillermo del Toro sur « The Strain », mais THE SHAPE OF WATER a nécessité une nouvelle approche. 

Il explique : « Sur ce film, nous n’avions pas beaucoup de concept art, tout est donc parti des discussions que nous avons eues sur chacun des personnages et leurs univers. Nous avons collecté des centaines de photos et d’images qui nous ont permis d’affiner le style de chaque personnage dans le cadre de l’histoire. » Les tenues d’Elisa ont avant tout été dictées par son statut social mais également par le thème subtil de l’eau. 

Le chef costumier déclare : « Elisa ne possède pas beaucoup de vêtements, elle n’avait donc besoin que de quelques pièces mais elles se devaient d’être très spéciales. Elle porte principalement du bleu et du vert, des couleurs liées au monde aquatique. On la voit porter un peu de rouge seulement à la fin du film, ce qui marque un changement dans sa détermination. » 

Zelda, incarnée par Octavia Spencer, porte quant à elle des couleurs contrastées. Luis Sequeira explique : « J’ai imaginé pour Zelda une palette qui évoque les fruits abîmés, de sorte que ses tenues soient non seulement très différentes de celles du personnage de Sally, mais également de tous les autres personnages féminins du film. » 

L’équipe du chef costumier a confectionné la plupart des pièces des costumes du film, des chapeaux et chaussures d’époque portés par Michael Shannon, aux bijoux et sous-vêtements. Luis Sequeira commente : « Il était important pour Guillermo que les costumes soient non seulement historiquement corrects mais qu’ils aient aussi l’air d’avoir été portés. » 

Voir ses costumes dans les décors de Paul Austerberry a beaucoup ému le chef costumier. « Lorsque tout est rassemblé, les costumes, la coiffure, le maquillage, l’éclairage, les décors et les acteurs, il se produit quelque chose de magique, c’est là toute la beauté du cinéma. On se retrouve soudain transporté en 1962, sauf qu’il s’agit de la version unique de 1962 imaginée par Guillermo del Toro. »

LA DANSE DES PROFONDEURS

L’équipe de THE SHAPE OF WATER au complet – avec le directeur de la photographie Dan Laustsen, le chef décorateur Paul Austerberry et le chef costumier Luis Sequeira – a mis toute sa créativité au service d’une des séquences les plus singulières du film : un numéro de chant et de danse digne des plus grands classiques de l’âge d’or de Hollywood… qui semblerait tout droit sorti d’un film en noir et blanc des années 40 s’il ne mettait pas en scène une femme de ménage muette et une créature aquatique. Comme dans les comédies musicales, ce numéro est réservé à un moment où le cadre conventionnel du cinéma ne suffit plus à exprimer les émotions des personnages. 

Guillermo del Toro raconte : « La créature ne connaît que six mots et Elisa aimerait lui dire combien elle l’aime, mais elle ignore comment s’y prendre. C’est alors qu’elle se met à chanter. J’étais conscient qu’il s’agissait d’une scène extravagante pour un film comme celui-ci et que ça signifiait que nous allions devoir être vigilants côté budget. Cette séquence musicale a donc été tournée en une demijournée. » 

Plutôt que d’imiter la mise en scène relativement statique des comédies musicales de la MGM des années 40, le réalisateur s’est inspiré du style énergique et fluide du cinéaste Stanley Donen, célèbre pour ses films avec Gene Kelly tels que CHANTONS SOUS LA PLUIE et BEAU FIXE SUR NEW YORK. 

Guillermo del Toro explique : « Stanley Donen utilisait beaucoup de mouvements de caméra balayés réalisés à la grue, j’ai donc fait le choix d’associer l’esthétique classique d’une comédie musicale en noir et blanc à ce mouvement qu’il affectionnait tant. C’est la combinaison de ces deux styles qui donne tout son poids à la séquence, elle arrive en outre à un moment du film où tout semble désespéré et réinjecte une certaine énergie dans l’histoire pour la porter vers son dernier acte. » 

Pour Sally Hawkins, la scène a littéralement été un rêve, un rêve qu’elle portait en elle depuis l’enfance. Elle confie : « Petite, j’étais envoûtée par les films de Fred Astaire et Ginger Rogers, je ne regardais rien d’autre. Mais je n’aurais jamais imaginé tourner ce genre de scène moi-même, et pourtant, j’ai eu la chance de vivre ce rêve, de porter une robe sublime et de glisser dans les airs ! Honnêtement, à la fin de la scène, j’étais tellement comblée que je me suis dit que je pouvais arrêter là ma carrière ! » 

Doug Jones a quant à lui été un peu surpris par le caractère atypique de la scène, mais il avait toute confiance en Guillermo del Toro pour la mener à bien. Il déclare : « Cette séquence musicale est la plus insolite qu’il m’ait été donné de tourner en tant que créature, mais s’il y a bien quelqu’un qui pouvait la sublimer, c’est Guillermo. J’avais hâte de tourner cette scène. Sally et moi étions terrifiés et impatients à la fois, ce qui n’a fait que nous rapprocher davantage. » 

Tournée en couleurs sous un éclairage d’époque, la séquence a ensuite été convertie en noir et blanc. De son côté, Luis Sequeira a pris beaucoup de plaisir à créer la robe vintage des années 1930 portée par Elisa dans la scène. Il explique : « Ginger Rogers a été ma principale source d’inspiration, mais j’ai également longuement travaillé sur l’intensité de la couleur et sa manière de réagir à la lumière pour optimiser son effet. » 

Pour le tournage du numéro de danse, Guillermo del Toro a également fait appel à un orchestre dont les musiciens étaient loin de s’attendre à ce qui les attendait. Le réalisateur raconte : « Avec leurs costumes et leurs instruments, ils ont dû avoir l’impression d’avoir débarqué sur une autre planète lorsqu’ils ont vu un homme-poisson et une femme en robe à sequins se mettre à danser ! Ça a été une journée mémorable. »

LA MUSIQUE

THE SHAPE OF WATER marque la première collaboration entre Guillermo del Toro et le compositeur oscarisé Alexandre Desplat. Les deux hommes sont immédiatement tombés d’accord sur le rôle que devait jouer la musique dans un film où les deux personnages principaux communiquent par tous les moyens sauf la parole. 

Le réalisateur déclare : « Notre relation est sans doute l’une des plus faciles que j’ai eues avec un compositeur parce qu’Alexandre a vraiment compris le film et son essence, ce que reflète sa musique. Un bon compositeur se laisse porter par les mouvements de la caméra et les émotions d’une scène, et la manière qu’a Alexandre de souligner cela touche à la perfection, sans jamais être forcé. Une bonne bande originale se doit d’apporter une nouvelle dimension à l’histoire, et Alexandre sait comment articuler la musique en fonction des dialogues, de l’action et du design sonore. » 

Le compositeur confie avoir été profondément touché par le tout premier montage du film qu’il a vu. « THE SHAPE OF WATER raconte une très belle histoire d’amour, et la situation qu’il décrit peut être transposée à n’importe quelle différence entre des êtres humains. Mais ce qui m’a surtout frappé sur le plan créatif, c’est la fluidité de la caméra. Elle ne s’arrête jamais, elle est constamment en mouvement, un peu comme l’eau. Rien ne suscite davantage l’inspiration qu’une histoire au déroulé fluide par laquelle on peut se laisser porter. Et à cet égard, cette histoire était très particulière. » 

Dès ses premiers échanges avec Guillermo del Toro, Alexandre Desplat a découvert qu’ils admiraient tous les deux les mêmes compositeurs, en particulier Nino Rota qui a collaboré avec les maîtres du cinéma italiens Federico Fellini et Luchino Visconti, et Georges Delerue, à qui l’on doit la musique des films de François Truffaut et Jean-Luc Godard, lauréat d’un Oscar pour I LOVE YOU, JE T’AIME de George Roy Hill. 

Il déclare : « Ce sont des compositeurs qui ne forçaient jamais les émotions. Ils s’efforçaient d’imprégner leur musique de sentiments vrais et profonds sans en faire trop. Et c’est précisément l’approche que nous avons adoptée pour THE SHAPE OF WATER. La musique n’est pas là pour pousser ou manipuler les spectateurs, c’est comme si elle émanait directement du cœur d’Elisa – c’est en tout cas ce que nous avons tenté d’accomplir. Cela n’a rien d’évident, mais nous voulions quelque chose de simple et d’organique. » 

Les deux hommes ont choisi de développer un thème distinct pour chacun des personnages principaux, un processus qui s’est révélé très collaboratif. Pour Elisa, Guillermo del Toro avait toujours eu en tête une valse, avec son rythme entraînant à trois temps. Alexandre Desplat a alors suggéré un accordéon pour plus d’originalité. Ce à quoi le réalisateur a proposé d’ajouter un sifflement. 

Il déclare : « J’ai toujours pensé que le rythme d’Elisa était associé à celui de la valse, mais il me semblait aussi qu’il fallait plus qu’un simple accordéon, c’est alors que j’ai eu l’idée du sifflement. Le sifflement n’est pas suffisamment utilisé au cinéma alors que c’est quelque chose d’éminemment humain. » L’instrumentation a amené Alexandre Desplat à mieux comprendre encore Elisa et la source de son énergie vitale. 

Il explique : « À travers son thème, nous avons essayé de saisir l’innocence du personnage. Elisa est intelligente mais aussi naïve et innocente. Elle aime le sexe mais est en quête d’un amour pur. Il y a donc de l’ambiguïté chez elle, mêlée à du romantisme et du lyrisme, et ça a été un bonheur de mettre tout cela en musique. » Le fait qu’Elisa soit muette rend les compositions d’Alexandre Desplat d’autant plus significatives. 

Il commente : « Un personnage qui ne parle pas vous laisse plus d’espace pour développer la mélodie et exprimer des émotions grâce aux différentes couleurs des instruments. D’une certaine manière, on peut être plus loquace musicalement. »


Pour le thème de la créature, ce sont les flûtes qui dominent. Guillermo del Toro explique : « La respiration, l’oxygène ou le manque d’oxygène jouent un tel rôle chez la créature que les flûtes me semblaient être le reflet parfait du personnage. » 

Le compositeur a donc développé cette idée. Il déclare : « J’ai suggéré de modifier la composition de l’orchestre afin qu’il comprenne 12 flûtes – flûtes altos, flûtes basses, flûtes traversières – mais pas de clarinettes, ni de bassons ou de hautbois. Il y a très peu de cuivres, seulement quelques-uns, si bien que ce sont principalement les cordes et les flûtes qui confèrent au morceau la fluidité et la transparence évocatrice de l’eau. Nous avons ajouté à cela du piano, une harpe et un vibraphone, des instruments aux sonorités délicates. » 

Alexandre Desplat s’est ensuite attelé à la composition du thème romantique du duo. Le réalisateur déclare : « Nous voulions que ce morceau soit très émouvant sans être larmoyant ni artificiel, il s’agit donc d’une variation du thème d’Elisa. » Guillermo del Toro n’a pas l’habitude d’assister aux sessions d’enregistrement, mais cette fois-ci il a fait une exception. Il raconte : « Alexandre souhaitait que je sois présent afin de savoir s’il fallait injecter plus ou moins d’émotion au morceau. Notre collaboration était tellement unique que je n’ai pas eu la sensation d’être un intrus mais au contraire d’enrichir le processus. » 

Enregistrer l’orchestre a été un point d’orgue pour Alexandre Desplat, qui confie : « J’ai adoré cette journée, être dans le studio avec les musiciens. Partager mes idées et ajuster chaque détail a été un immense plaisir. C’est toujours incroyable d’entendre un orchestre jouer votre propre musique devant vous. » 

À propos de Guillermo del Toro, le compositeur déclare : « À mes yeux, Guillermo est autant un artiste qu’un réalisateur. C’est la manière dont ces deux aspects s’associent chez lui qui imprègne son travail de magie. » 

C’est cette rare combinaison qui a donné le courage aux acteurs et techniciens du film de plonger dans cette histoire aquatique à la résonance culturelle, politique et personnelle. 

Sally Hawkins conclut : « Guillermo a la capacité unique d’aller au fond des choses. Il vous attrape par le cœur et ne vous lâche plus. C’est ce que j’ai ressenti sur le tournage de ce film, et j’espère que c’est ce que ressentira le public en le découvrant. »
Si je devais vous parler d’elle, la princesse sans voix, que pourrais-je bien vous dire ? Vous parlerais-je de l’époque ? C’était il y a bien longtemps, durant les derniers jours du règne d’un prince juste et équitable… Ou bien de l’endroit ? Une petite ville située près de la côte, mais coupée du reste du monde… Ou peut-être me contenterais-je de vous mettre en garde quant à la véracité de ces faits, de cette histoire d’amour et de mort, et du monstre qui tenta de tout anéantir… Giles, THE SHAPE OF WATER  

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Textes des notes de production : Pascale & Gilles Legardinier

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