lundi 11 mars 2013

Back to the future


Drame/Science fiction/Thriller/Super casting, inventif et très agréable à regarder

Réalisé par Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski
Avec Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Doona Bae, Ben Whishaw, Keith David, James d'Arcy, Susan Sarandon, Hugh Grant, Robert Fyfe...

Long-métrage Américain
Durée: 02h45mn
Année de production: 2012
Distributeur: Warner Bros. France

Date de sortie sur les écrans U.S.: 26 octobre 2012
Date de sortie sur nos écrans: 13 mars 2013


Résumé: À travers une histoire qui se déroule sur cinq siècles dans plusieurs espaces temps, des êtres se croisent et se retrouvent d’une vie à l’autre, naissant et renaissant successivement… Tandis que leurs décisions ont des conséquences sur leur parcours, dans le passé, le présent et l’avenir lointain, un tueur devient un héros et un seul acte de générosité suffit à entraîner des répercussions pendant plusieurs siècles et à provoquer une révolution. Tout, absolument tout, est lié.

Bande annonce (VOSTFR)


Ce que j'en ai pensé: 'Cloud Atlas' est l'adaptation du roman éponyme de David Mitchell. Il a été publié en France sous le titre Cartographie des nuages. Je n'ai pas lu le livre, mon avis ne concerne donc que le film.

'Cloud Atlas' est un film peu commun. Très original par son montage qui est impressionnant, il est tout à fait agréable à regarder (la durée ne se fait pas sentir). Il traverse les époques, tout en faisant des va-et-vient entre ces dernières, leur attribuant à chacune un genre cinématographique différent: du film d'aventure au thriller, en passant par la comédie anglaise ou le film de science-fiction. Et cela afin d'expliquer au spectateur comment le karma intervient, en fonction des actions passées, sur le futur et comment un choix ou une rencontre peuvent changer les choses. Si l'on croit à la réincarnation et au karma, alors ce long métrage peut enthousiasmer et conquérir le cœur du spectateur aisément. Dans le cas contraire, on peut regarder le film comme une métaphore sur ce que l'on peut attendre dans sa propre vie comme résultat en fonction de ses choix et de ses actes passés. Mais c'est un film à message et forcément cela ne plaira pas à tout le monde.
Cependant, au-delà de cet aspect, il faut reconnaître à 'Cloud Atlas' certaines qualités intrinsèques. La manière dont les histoires des personnages s'imbriquent à un but bien précis, au départ c'est confus pour le spectateur mais au final c'est intelligible, le pari ambitieux lié à la structure même du film est donc réussi. Le casting est un véritable régal dont on se délecte pendant presque trois heures et cela en soit est un vrai bonheur.









Visuellement certaines scènes sont absolument magnifiques et les ambiances des époques sont parfaitement rendues.







Tout n'est pour autant pas parfait. Je n'ai pas du tout aimé les maquillages qui griment les acteurs pour les vieillir, les faire changer d'ethnie ou de sexe. Ils sont parfois (mais pas toujours, je le reconnais) trop évidents, même, des fois, exagérément épais à mon goût. Ils me dérangeaient et me déconnectaient de l'histoire par moment. Pour moi, c'est le principal point négatif du film. J'ai également été un peu déçue par le contenu du message une fois arrivée au bout de l'aventure. En lui même il n'est pas foncièrement original. Du coup, j'ai suivi l'histoire avec intérêt mais elle ne m'a pas vraiment touchée ou émue.
Reste que 'Cloud Atlas' est une aventure cinématographique intéressante qu'il faut tenter et que je conseille. C'est un film inventif, imposant et ambitieux qui sort franchement de l'ordinaire.

NOTES DE PRODUCTION
(Attention, elles spoilent tout le film! A ne lire qu'après l'avoir vu!)

“Nous ne sommes pas maîtres de nos vies. De la naissance à la mort, nous sommes liés les uns aux autres. À travers le passé et le présent. Et que nous commettions un crime ou une bonne action, nous portons en nous notre avenir». Sonmi-451, 2144

Épopée ambitieuse, CLOUD ATLAS se déroule sur cinq siècles et s’interroge sur les questions existentielles qui ne cessent de hanter les hommes. Alternant entre action et scènes plus intimistes, il met en scène des êtres liés les uns aux autres comme un chapelet à travers le temps. Il suggère ainsi que chaque individu a un cheminement personnel qui traverse les siècles. Les âmes se réincarnent et renouvellent leurs liens entre elles à l’infi ni. Les erreurs peuvent être corrigées… ou répétées. La liberté peut être gagnée ou perdue, mais elle est toujours l’objet d’une quête. Et comme toujours, l’amour triomphe. “Nous avons été immédiatement attirés par l’envergure des idées véhiculées par le livre : la compassion pour les êtres humains, la hardiesse et l’audace de l’écriture. C’est une histoire à la fois classique et pourtant complètement nouvelle”, déclare Lana Wachowski, l’une des trois scénaristes et réalisatrices qui ont adapté le roman de David Mitchell dont le film s’inspire (paru en français aux éditions de l’Olivier en 2007 et intitulé : “Cartographie des nuages”). “D’un point de vue thématique, le livre transcende les frontières entre les communautés, les sexes, les lieux et le temps. Il nous raconte une histoire qui place la nature humaine bien au-delà de ces frontières. C’est ce qui nous a touchés lorsque nous avons lu le roman et nous avons alors commencé à travailler sur le scénario”.

Les cinéastes, Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer, également amis de longue date, avaient souvent pensé à travailler ensemble et c’est finalement leur passion pour le roman de David Mitchell qui les a réunis. Ils ont formé une équipe de création résolument à part, s’inscrivant dans l’esprit d’un scénario non conventionnel, et ils en ont partagé l’écriture et la réalisation pour porter à l’écran ce livre, salué comme un chef-d’oeuvre moderne. “Cela touche des cordes sensibles, explique Tom Tykwer. “Il y a du vrai dans de simples observations individuelles que chacun peut faire. En replaçant ces moments dans un contexte dramatique plus large et en considérant l’étendue temporelle du fi lm, vous obtenez alors un point de vue fascinant sur la condition humaine”. CLOUD ATLAS englobe plusieurs genres et situe l’action simultanément dans le passé, le présent et le futur. Il montre comment les évènements et les décisions de tout un chacun, à un instant T, peuvent avoir des répercussions imprévisibles à travers l’espace et le temps et influer sur la vie des autres. En 1849, un avocat de San Francisco cache un esclave en fuite lors d’une traversée fatidique du Pacifique… Quelques années avant la Seconde guerre mondiale, en Angleterre, un compositeur talentueux et démuni se bat pour achever son oeuvre avant qu’un acte irréfléchi ne le rattrape... En 1973, un journaliste s’active pour éviter un désastre industriel... De nos jours, un éditeur à la veille de son plus grand succès, se retrouve injustement incarcéré... En 2144, un clone vit le réveil de la conscience humaine pourtant interdit… Et dans un avenir post-apocalyptique des années 2300, un gardien de chèvres se bat pour rester en vie. Chaque intrigue est présentée au spectateur, puis développée l’une à la suite de l’autre, tandis que des transitions fluides révèlent comment toutes ces histoires se font écho. Très vite, il apparaît clairement que ces intrigues ne sont pas indépendantes les unes des autres – elles sont plutôt comme des instants de vie d’un continuum unique. Selon Andy Wachowski, “Il faut laisser tomber l’idée qu’il s’agit de six récits. En réalité, il n’y a qu’un seul récit. Chacune des histoires et des époques agit sur les autres tout au long du fi lm. À mesure que ces âmes évoluent, on observe les correspondances entre elles, et on suit leur progression chronologique”. De même, chaque personnage, qui fait partie d’une plus grande entité, se réincarne en de nouvelles identités au sein de nouveaux environnements. “Il n’est pas simplement question d’une personne que l’on suit tout au long de l’histoire, mais plutôt de plusieurs protagonistes dans chacun des mondes traversés”, affirme David Mitchell. “Les relations entre les personnages et la nature de ces relations évoluent également. Dans un monde où la réincarnation est possible et dans un fi lm où le passé, le présent et le futur s’enchevêtrent, la mort est juste un nouveau point de passage d’un univers à l’autre”. C’est ainsi que les conflits qui émergent à une époque donnée peuvent être résolus quelques générations plus tard, que les injustices peuvent être réparées (avec des résultats parfois surprenants) et que les amants peuvent vieillir côte à côte pendant des siècles. “Une partie du fi lm raconte une grande histoire d’amour qui se déroule sur plusieurs vies, mais le spectateur la découvre de manière séquencée et non pas d’un seul tenant”, relève Lana Wachowski, en se référant à la manière dont l’amour naissant d’un couple peut s’épanouir et influer sur ses décisions à travers des rencontres récurrentes dans le temps. “Un autre thème du film a trait au fait que l’amour peut changer le cours de votre vie à tout moment”.

D’autres puissances sont à l’oeuvre. Tom Hanks, dans le rôle de six personnages différents incarnant une même âme à travers le temps, remarque : “Les personnages sont souvent témoins d’un événement qui pourrait changer leurs vies pour toujours et ils doivent agir. Ils peuvent être des héros ou des lâches. La question est de savoir ce qu’est l’Histoire, sinon d’innombrables moments comme ceux-ci, reliés les uns aux autres. Qu’est-ce que la condition humaine sinon une série de décisions qu’il faut prendre ?’”. Grâce à des exemples éloquents de courage, d’espoir et d’émerveillement - ainsi que de trahison, de lutte et de deuil -, CLOUD ATLAS se concentre tout particulièrement sur ces moments clés. “C’est une forme de narration extrêmement intéressante”, poursuit Tom Hanks. “Chacun peut y trouver son compte. À chaque instant, la caméra filme une cascade spectaculaire ou cerne une émotion. Dès que j’ai lu le scénario, je me suis demandé qui étaient ces personnages et puis leurs liens sont devenus évidents pour moi. Leurs combats artistiques, leurs batailles pour survivre et les choix qui unissent une vie à l’autre m’ont aussi paru évidents, et j’ai été complètement absorbé. L’alliance entre le roman de David Mitchell et le talent de nos trois réalisateurs est une parfaite réussite - une brillante oeuvre de ‘littérature cinématographique’ qui étudie les liens entre les êtres humains à travers le temps”. Tout comme Tom Hanks, Halle Berry a interprété six personnages. “C’était vraiment une expérience unique”, confi e-t-elle. “Je ne pense pas que je referai un fi lm de ce genre un jour. J’aime son originalité. Il y a énormément d’obstacles à franchir, de nombreux concepts intéressants abordés, et j’espère que cela fera réfléchir les gens sur leur perception du monde et de leur vie”. Tous ces éléments ont fortement touché Tykwer et les Wachowski.

Ils ont également attiré des acteurs reconnus et appréciés dans le monde entier. Tom Hanks et Halle Berry, qui interprètent plusieurs personnages, figurent en tête d’affiche. Le casting compte également Jim Broadbent, Hugo Weaving, Jim Sturgess, Doona Bae, Ben Whishaw, James D’Arcy, Xun Zhou, Keith David, David Gyasi, Susan Sarandon et Hugh Grant. Tout au long du fi lm, on passe d’un groupe d’acteurs principaux à un autre, tandis que d’autres comédiens apparaissent à des moments-clés ou laissent deviner leur présence de manière plus subtile. “C’est un projet d’une grande envergure”, affirme Grant Hill, le producteur qui achève ainsi sa quatrième collaboration avec les Wachowski. “Il met en scène des personnages profonds, une histoire d’amour, parle de compassion, et ne manque pas de scènes d’action importantes. Tout aboutit à composer une toile gigantesque”, poursuit-il. “Il y a des courses-poursuites impressionnantes, des scènes incroyables, une vraie épopée, mais aussi matière à penser”, ajoute Stefan Arndt, le producteur partenaire de Tom Tykwer. “Nous adorons faire des films exaltants, divertissants et romantiques qui explorent aussi de nouvelles idées. Dans notre travail, nous essayons d’offrir au spectateur plusieurs pistes pour apprécier nos films. Sur un plan visuel, nous essayons de montrer au public des choses qu’il n’a encore jamais vues. Sur un plan émotionnel, nous nous efforçons de susciter suffisamment de frissons, d’adrénaline ou d’émotion pour satisfaire à la fois l’enfant qui est en nous et le public. Enfin, nous tentons de présenter de nouvelles perspectives ou des points de vue sur des questions très personnelles ou encore des idées pertinentes concernant notre vie de tous les jours”, explique Lana Wachowski. “Au départ, ce qui m’a attiré dans le travail de Lana et d’Andy, c’est cette conviction que le coeur et l’esprit peuvent travailler ensemble”, indique Tom Tykwer. “Vous pouvez avoir en tête un bouillonnement de questions à débattre et pourtant, en regardant le film, vous restez cloués sur place”.

DU LIVRE AU GRAND ÉCRAN : CRÉER DES RÉSONANCES

«Écoute-moi bien et je te parlerai de la première fois où nous nous sommes rencontrés face à face». Zachry, 2346

Les Wachowski et Tom Tykwer n’ont pas résisté à l’occasion de porter à l’écran une histoire aussi exaltante. Comment le projet a-t-il pris forme ? David Mitchell a présenté son récit comme une série de plusieurs histoires toutes structurées de la même façon. L’intrigue commence, puis atteint son point culminant à mi-chemin de la narration et s’interrompt. Le dénouement de chaque récit est ensuite révélé. “Nous savions que nous ne pouvions pas adopter cette structure narrative pour un fi lm”, indique Lana Wachowski. “Cela nous a fait réfléchir aux manières de repousser les limites de la narration cinématographique standard”. David Mitchell a adopté un style différent pour chaque chapitre, “afin que chaque partie ait sa propre tonalité sans déteindre sur l’autre”, dit-il. “J’ai envisagé le livre comme un menu qui prendrait des directions culinaires différentes à chaque plat”. Les cinéastes ont volontiers adopté cette construction, façonnant ainsi un drame avec l’un des chapitres, une histoire d’amour avec un autre, un thriller avec un autre encore, une comédie et une aventure de science-fiction Pourtant, la force de CLOUD ATLAS ne réside pas dans la manière dont ces éléments divergent mais plutôt dans la façon dont ils s’insèrent dans ce qu’Andy Wachowski appelle “une mosaïque. Vous imaginez cette mosaïque d’une scène à l’autre. Vous faites automatiquement les associations. Nous avons donc intuitivement pris cette direction pour le fi lm.” Les cinéastes ont passé des jours entiers à fi cher les scènes et les liens entre les personnages du livre. En les organisant en différents groupes, ils sont ainsi parvenus à un entrelacement plus direct d’intrigues. “À force de fixer toutes ces fiches, vous finissez par voir que les personnages coexistent et prennent naturellement des directions pour lesquelles ils ont les mêmes affinités. Ou bien vous voyez comment un personnage prend le relais là où un autre s’est arrêté”, confi e Andy Wachowski. “Notre but était de développer une méta-narration pour lier le tout en une histoire fluide qui possède son propre élan”, explique Tom Tykwer.

L’exploration du thème de l’éternel retour, central dans le roman, s’attache à ces troublantes sensations de déjà-vu – lorsque les personnages se rencontrent manifestement pour la première fois alors qu’ils ont pourtant l’impression de se connaître ou lorsque les notes d’une symphonie semblent familières aux oreilles d’un vendeur d’un magasin de musique qui pourrait bien en avoir été le compositeur dans une autre vie. Dans cette perspective, les cinéastes ont repris et développé un procédé de David Mitchell : certains personnages portent une tache de naissance en forme de comète pour manifester la migration d’une âme. “Dans le roman”, souligne David Mitchell, “la tache de naissance signifie que c’est la même âme qui se réincarne à travers le temps... une âme traversant l’éternité et changeant simplement de corps”. Mais à l’écran, cette réincarnation se présente autrement. Pour incarner une même âme, les réalisateurs ont choisi de faire systématiquement apparaître le même acteur qui recommence chaque fois un nouveau cycle karmique.
Tom Tykwer affirme : “Lorsque nous avons discuté des relations qui lient les personnages à travers les siècles, et de ces moments où il semble qu’un être achève ce qu’un autre a entamé cent ans plus tôt, nous nous sommes dits, ‘Pourquoi ne ferait-on pas jouer le même acteur ?’, pourquoi ne pas faire le fi lm en partant du principe que chaque comédien incarnerait non pas un seul rôle, mais plusieurs, qui, tous ensemble, témoigneraient de l’évolution d’une seule âme”. Tom Hanks ajoute : “Chaque personnage pris individuellement a son propre destin, mais tous ensemble, ils participent d’une destinée plus grande. Un personnage pose des fondations et un autre prend le relais, comme un collier de perles”. Lorsque les personnages se réincarnent sous de nouveaux traits, ils reviennent tout naturellement dans des lieux différents et il n’est alors pas rare qu’ils changent de sexe et de nationalité. Les répétiteurs William Conacher, Peggy Hall-Plessas et Julia Wilson Dickson ont aidé les acteurs à interpréter leurs rôles de manière convaincante. Les comédiens d’origine américaine, australienne, britannique, chinoise, allemande et coréenne ont ainsi travaillé leur diction pour s’accorder avec leur changement d’identité culturelle. “L’un des personnages que j’interprète est une Juive allemande, une autre vit au XXIVème siècle”, raconte Halle Berry. “En tant qu’actrice, c’est exaltant, mais c’est aussi un formidable défi ”. Et elle ajoute : “Les gens sont ce qu’ils sont. Et ils le seront toujours, peu importent les circonstances ou l’époque. Il fallait que je trouve chez les personnages que j’ai interprété une qualité dans laquelle chacun d’entre nous peut se reconnaître. Parce que, en fi n de compte, nous sommes tous faits de chair et de sang, et nous avons tous un coeur et un cerveau”.

Les cinéastes ont donc gardé l’idée de la tache de naissance en forme de comète. Mais ils l’ont adaptée. Dans le film, ceux qui la portent ont atteint un niveau de développement supérieur et sont sur le point de prendre une décision majeure, susceptible de bouleverser le cours de leur vie ou celui d’autres personnes de manière significative. Tom Tykwer explique : «Cette tache de naissance engendre des résonances entre les personnages qui en sont porteurs : par exemple, un individu peut marquer son époque par une création personnelle, puis un autre, quelques générations plus tard, pourra s’en inspirer». Ce procédé a offert des possibilités insoupçonnées aux scénaristes. Lana Wachowski remarque : “Nous nous sommes d’abord demandés si un être malveillant dans une vie donnée pouvait devenir un héros dans une autre. Une fois que nous avons répondu à cette question, nous nous sommes tout naturellement demandé comment cet être malfaisant pouvait se transformer. La comète est donc devenue une manifestation phénoménologique. Sa marque symbolise, chez celui qui la porte, l’opportunité de changer les choses”. David Mitchell, qui voit pour la première fois l’un de ses livres adapté au cinéma, confie : “C’était magique. Je suis enchanté et admiratif de la manière dont les réalisateurs ont disséqué puis reconstruit mon livre afin de l’adapter au mieux pour le grand écran. Je me sens comme un donneur de cellules-souches qu’ils auraient ensuite utilisées pour créer un être. C’est un travail magnifique. J’ai été bouleversé”. Les producteurs ont également adopté une approche peu conventionnelle. Ils ont mis en place deux équipes de tournage – l’une pilotée par Tom Tykwer et l’autre par Lana et Andy Wachowski –, qui ont commencé à travailler simultanément en septembre 2011. Ceci a permis de diminuer de moitié le temps de tournage et de mobiliser les acteurs pendant trois mois au lieu de six. Il a également fallu doubler le nombre de chefs de poste et faire appel à deux directeurs de la photographie, deux chefs décorateurs, deux chefs costumiers, et deux chefs coiffeurs et maquilleurs. Les Wachowski se sont installés dans les studios Babelsberg de Berlin : ils ont tourné à Berlin et dans les environs de la capitale allemande, ainsi qu’en Saxeet à Majorque les scènes qui se déroulent en 1849, 2144 et dans un XXIVème siècle post-apocalyptique. Parallèlement, Tom Tykwer est parti en Écosse avec son équipe où il a tourné les séquences qui ont lieu en 1936, 1973 et 2012. Les acteurs qui, pour la plupart, jouent dans chaque épisode ont voyagé d’un endroit à l’autre.

Tom Tykwer a également écrit la musique du film avec Johnny Klimek et Reinhold Heil, plusieurs mois avant le premier clap. C’est assez rare chez pour un réalisateur de composer sa propre musique, et s’y prendre si tôt est encore plus exceptionnel. Grâce à cette méthode, Tykwer a pu déterminer la tonalité et la dramaturgie propres à chaque scène, et comédiens et techniciens s’en sont inspirés dans leur travail. Le coeur de la partition est une symphonie créée dans le récit situé en 1936, dans lequel un jeune musicien peine à terminer son chef-d’oeuvre intitulé “Le sextuor de Cloud Atlas ”. Le défi “était d’écrire une musique qui s’accorde avec l’époque à laquelle elle est censée avoir été écrite, et qui soit aussi le thème central de tout le fi lm, accompagnant de nombreuses scènes. Il fallait que ce soit une musique que tout le monde puisse reconnaître des années après l’avoir entendue”, révèle Tykwer.

Pour les cinéastes, porter “Cartographie des nuages” à l’écran a indéniablement été un acte d’amour. Alors même qu’ils écrivaient le scénario, ils avaient décidé de ne poursuivre le projet que si David Mitchell était enthousiasmé par l’adaptation. Cet engagement s’est étendu à l’ensemble des aspects du tournage et toute l’équipe l’a unanimement partagé. “C’était une expérience fabuleuse, car il s’agit d’une vaste épopée qui s’adresse à un public adulte, et j’ai adoré les idées qui y sont développées et tout le tournage en général”, raconte Susan Sarandon, qui interprète, entre autres rôles, un Indien et un chef spirituel dans les années 2300. “C’est l’un de ces rares scénarios où on ne peut pas prévoir ce qui va arriver.” “L’approche est audacieuse et ambitieuse. Les réalisateurs sont restés à l’écart des sentiers battus”, ajoute Hugh Grant, qui a particulièrement savouré les rôles inhabituels de méchants toujours plus noirs qu’il a incarnés. “Même maintenant - je sais que cela peut paraître un peu fl eur bleue - je suis pleine de gratitude et d’émotion, lorsque je pense que nous avons fait ce fi lm”, confie Lana Wachowski, faisant ainsi écho aux sentiments de ses collègues. “Nous sommes profondément reconnaissants envers les acteurs qui nous ont fait confiance en participant à cette expérience et à cette histoire extraordinaire. Peu de films exigent autant des acteurs. Après une lecture complète du scénario avec les comédiens, l’une des plus drôles que nous ayons vécue, Hugo Weaving en a livré le meilleur résumé : ‘Il nous fallait des personnages agissant avec foi et courage, et c’est vrai de chacun de nous dans cette pièce’. Faire ce fi lm exigeait un courage et une foi à toute épreuve.

HISTOIRE, CASTING ET PERSONNAGES

“Hier, ma vie allait dans une direction. Aujourd’hui, elle va dans une autre». Isaac Sachs, 1973

La pression que Lana, Andy et Tom se sont imposée pour que ce projet voie le jour n’avait d’égal que la confiance qu’ils nous ont accordée en tant qu’acteurs”, raconte Tom Hanks. “C’était vraiment génial car ils nous ont laissés suivre notre instinct. Ce tournage est passé très vite parce que tous les jours nous avions une nouvelle séquence à faire et c’était à chaque fois stimulant. J’ai fait partie d’une très belle équipe, vraiment soudée”. “Nous faire interpréter plusieurs personnages était une idée brillante”, déclare Jim Broadbent. “Il y a déjà eu de grands fi lms auparavant dans lesquels l’acteur principal tient plusieurs rôles, mais jamais une entreprise d’une telle envergure. C’est tout à fait unique et parfait pour ce genre d’histoire, où tout se répond, où l’énergie se transmet d’une scène à l’autre jusqu’à obtenir ce bel élan, fait de moments plus passionnants les uns que les autres”. Comme le tournage se déroulait en deux lieux différents, les acteurs ont passé leur temps à enchaîner les scènes et les plateaux – et ils se sont souvent déplacés d’un pays à un autre –, en passant entre les mains des maquilleurs et des costumiers qui les transformaient parfois si radicalement qu’ils pouvaient momentanément passer incognito les uns parmi les autres. Comparant l’expérience à une atmosphère détendue et festive du Cirque du Soleil, où les acteurs enchaînent courageusement les scènes tels des trapézistes, Susan Sarandon se rappelle : “Un jour, je me suis regardée dans le miroir et pendant une seconde, je ne me suis pas reconnue. C’était la première fois de ma carrière que cela m’arrivait. C’était saisissant. C’est la magie du cinéma : pouvoir se glisser dans la peau d’un personnage avec lequel vous pensiez n’avoir aucun point commun et finalement constater à quel point vous vous ressemblez, que le temps, l’âge, la couleur de peau et le sexe importent peu à l’échelle de la Vie...”.

Aux dires de tous, c’était une opportunité rêvée pour un acteur. Ben Whishaw témoigne : “Cela m’a rappelé pourquoi je suis devenu acteur et je pense que c’est le cas de tout le monde. La plupart du temps, le rôle importe peu, vous êtes toujours plus ou moins vous-même. Mais l’instinct de transformation de l’acteur est toujours présent et ce fi lm a été une formidable occasion de le vérifier. Cela a vraiment été libérateur.” Pour certains, cela a peut-être été plus libérateur que pour d’autres. Hugh Grant relève d’un ton pince sans- rire : “J’ai été très intéressé par l’histoire, qui est brillante, mais j’aurais fait ce film rien que pour le rôle du chef cannibale, pilleur et égorgeur. Il n’y avait pas beaucoup de scènes d’égorgement dans ORGUEIL ET PRÉJUGÉS”. CLOUD ATLAS commence en 1849… puis se poursuit en 1936, 1973, 2012, 2144 et 2346. Toutes les intrigues démarrent en même temps, puis la caméra se concentre alternativement sur l’une et l’autre. C’est ainsi que le film plonge le public simultanément dans six récits parallèles qui constituent en fait une seule histoire. Les causes et les effets révèlent immédiatement leur concomitance, et les liens entre les personnages et les époques sont construits comme les parties du même tout.

1849, Pacifi que Sud

Jim Sturgess interprète Adam Ewing, un avocat jeune et idéaliste, originaire de San Francisco. Le jeune homme a voyagé jusqu’aux îles du Pacifique pour régler une affaire avec le très moralisateur Révérend Horrox (Hugh Grant), propriétaire d’une plantation. Une fois sur place, Ewing est témoin de la flagellation cruelle d’Autua, un des esclaves de Horrox (David Gyasi). Pendant le supplice, Autua fixe Ewing dans les yeux comme s’il regardait une âme soeur. Plus tard, lorsque l’esclave se cache dans la cabine d’Ewing qui rentre chez lui, ce dernier doit choisir entre ses obligations professionnelles et ses convictions morales, sans se douter que sa décision aura des répercussions sur les siècles à venir d’une manière inimaginable. “À un moment donné, Autua demande à Ewing de le sauver ou de le tuer : l’enjeu est énorme”, raconte Gyasi. “C’est la première fois qu’Ewing assiste à l’horreur de la traite des esclaves”, ajoute Sturgess, en soulignant que cette scène marque le début d’une série d’exemples similaires de personnages luttant contre toutes les formes d’oppression à travers le temps. “ À l’époque, c’était facile pour un homme comme Ewing d’adopter la mentalité d’un Horrox, qui croyait représenter l’élite de la civilisation, mais il sent au plus profond de lui que cela ne lui convient pas. Du coup, c’est à ce moment-là qu’il a l’occasion de prendre la situation en main et de changer les choses”. Au même moment, le compagnon de bord d’Ewing, le Docteur Goose (Tom Hanks), homme opportuniste et malveillant, s’est engagé dans une trajectoire bien diff érente. Complétant le tableau, Jim Broadbent apparaît, dans ce récit, sous les traits du pragmatique Capitaine Molyneux, et Susan Sarandon interprète l’épouse d’Horrox, femme bouillonnant intérieurement mais tout en retenue. Keith David tient le rôle de l’esclave maori Kupaka qui souffre en silence. Halle Berry incarne un autre personnage maori qui travaille sur la plantation. Hugo Weaving est le beau-père d’Ewing, Haskell Moore. Et Doona Bae, occidentalisée, est Tilda, l’épouse adorée d’Ewing.

1936, Écosse

Ben Whishaw interprète le rôle du malicieux Robert Frobisher, jeune compositeur vaniteux mais très talentueux. Après que son père l’a déshérité et la bonne société anglaise l’a rejeté, Frobisher quitte son amant Rufus Sixsmith (James d’Arcy) et entreprend de se faire un nom par lui-même. Tout en travaillant pour Vyvyan Ayrs – personnage d’environ 70 ans joué par Jim Broadbent –, compositeur célèbre et démodé, auprès de qui il apprend beaucoup, Frobisher écrit son chef-d’oeuvre, une symphonie qu’il intitulera “Le Sextuor de Cloud Atlas”. Dans le même temps, il entretient une correspondance avec son ancien amant, avec qui il est resté en contact et à qui il raconte qu’il ambitionne de faire un retour en grâce triomphal. Cependant, il sous-estime l’influence d’Ayrs jusqu’à ce que sa situation devienne désespérée. “Comme Frobisher est jeune, plein d’idées et d’énergie créative, il croit manipuler Ayrs, mais c’est peut-être le contraire qui se produit”, suggère Whishaw. “C’est une bataille autour de la musique : Frobisher cherche à gagner la reconnaissance de ses pairs et Ayrs à garder sa réputation intacte”. Autour des personnages principaux de ce récit, on retrouve Halle Berry dans le rôle de Jocasta, stoïque et sublime épouse d’Ayrs, et Hugo Weaving en ami d’Ayrs, Tadeusz Kesselring, qui cache un sombre secret. Hugh Grant campe l’employé d’un hôtel chic qui empêche Frobisher et Sixsmith de se quitter paisiblement. Quant à Tom Hanks, il incarne le directeur avide d’une auberge miteuse.

1973, San Francisco

Halle Berry joue le rôle principal de Luisa Rey, une journaliste qui, en 1973, découvre une affaire de corruption industrielle dans une centrale nucléaire qui pourrait concerner des milliers de personnes. Elle doit ainsi affronter le fourbe Lloyd Hooks, directeur de l’usine (Hugh Grant). Dans son enquête, plusieurs personnages lui viennent en aide : Rufus Sixsmith, le même personnage que dans le précédent récit, désormais vieux physicien, et Isaac Sachs (Tom Hanks), salarié de l’usine qui ne s’explique pas pourquoi Luisa lui semble un visage si familier, ni pourquoi il se sent si désireux de l’aider. “Luisa est à la croisée des chemins”, explique Halle Berry. “En tant que journaliste, elle a le sentiment qu’elle n’a pas vraiment été à la hauteur, et puis ce cadeau lui tombe du ciel : c’est une occasion unique de prendre des risques et donc de faire quelque chose qui pourrait s’avérer important. Elle ne se rend pas compte de sa force, ou même si elle pourra, ou pas, aller jusqu’au bout, mais une fois sa décision prise, elle accomplira des choses dont elle ne se savait pas capable”. Poursuivie par Bill Smoke (Hugo Weaving), tueur engagé par Hook, Luisa n’a de chance de survivre qu’en faisant confiance à Napier (Keith David), homme de main de Hook qui ne supporte plus d’obéir à ses ordres. Toutes choses égales par ailleurs, David considère son personnage comme “une sorte de Shaft, et c’est donc devenu une référence pour nous. Ce qui était passionnant dans ce tournage, c’était de parvenir à ce moment du voyage : lorsque cette âme – que l’on rencontre d’abord sous les traits du maori Kupaka – bénéficie de plus de possibilités dans la peau de Napier, et qu’elle en profite pour s’élever. Dans d’autres temps, elle pourrait sans doute s’améliorer encore”. Dans cette partie du fi lm, l’actrice chinoise Xun Zhou tient le rôle d’un employé dans un hôtel. La Coréenne Doona Bae interprète une hispano-américaine – rôle pour lequel elle a dû maîtriser l’accent espagnol après avoir déjà travaillé son anglais. David Gyasi interprète le père de Luisa, Lester, célèbre correspondant de guerre qui a servi de modèle à la jeune femme. Ben Whishaw est poignant dans son interprétation d’un vendeur de magasin de disque qui ne parvient pas à se sortir de l’esprit un air des années 1930.

2012, Angleterre

Jim Broadbent campe Timothy Cavendish, un petit éditeur. Lorsque ce personnage rencontre le succès grâce aux ventes phénoménales de sa dernière publication – prétentieuse biographie écrite par le violent Dermot Hoggins, interprété par un Tom Hanks à l’accent écossais rugueux –, l’argent coule à flots. Malheureusement, la fortune soudaine de Cavendish attire aussi ses créanciers, dont certains cherchent bien davantage que de l’argent. Broadbent explique : “Il s’enfuit et finit par trouver ce qu’il croit être un lieu sûr, mais ce refuge se transforme en prison. Le récit prend alors l’allure d’une histoire d’évasion dans laquelle le pauvre Cavendish doit trouver un moyen de se sauver.” Hugh Grant change de registre dans l’interprétation de Denholme, frère vindicatif de l’éditeur. Ben Whishaw campe Georgette, l’épouse déloyale de Denholme. Quant à Hugo Weaving, il apparaît sous les traits de Noakes, une infirmière dominatrice, avec qui Cavendish se bat, ce qui fait de cette scène l’épisode le plus comique du fi lm. Susan Sarandon joue le rôle d’Ursula, le grand amour perdu de Cavendish, Jim Sturgess interprète un Écossais lunatique supporteur de football, James D’Arcy un infirmier auxiliaire dans une maison de retraite et Halle Berry une femme qui attire brièvement le regard de l’auteur Dermot Hoggins. “Parmi tous les personnages que j’ai interprétés, l’infirmière Noakes représentait le défi le plus grand pour moi et c’était aussi le plus amusant”, confie Weaving. “C’est une affreuse gorgone qui infantilise et méprise les patients résidant dans la maison de retraite, et pourtant c’est elle qui est morte intérieurement. Elle travaille dans cet établissement depuis longtemps, et je crois que l’endroit l’a sclérosée”.

2144, Neo Seoul

Doona Bae campe un clone de type Sonmi-451, génétiquement programmée pour occuper la fonction subalterne de serveuse de restaurant, au sein d’un redoutable État totalitaire construit sur les ruines de Séoul, qui a subi les ravages d’un raz-de-marée. Lorsqu’un autre clone, Yoona-939, campé par Xun Zhou, l’encourage à penser par elle-même – ce qui est radicalement interdit –, Sonmi emprunte une voie sans retour en arrière possible. Grâce au rebelle Hae- Joo Chang, qu’incarne Jim Sturgess, Sonmi s’engage courageusement dans une aventure périlleuse qui aboutira à l’insurrection. «Yoona et Sonmi n’étaient pas satisfaites de leurs vies», signale la comédienne chinoise Zhou, qui tourne ici dans son premier fi lm occidental. «Elles ont leur propre conception du monde et elles sont convaincues que la situation n’est pas immuable. Elles aspirent à la liberté». Doona Bae, qui elle aussi fait ici ses débuts dans un fi lm occidental, ajoute : «C’est grâce à Yoona que Sonmi s’intéresse au genre humain. Elle pousse Sonmi à réfléchir par elle-même, mais c’est Chang, le premier humain à se montrer bienveillant à son égard, qui lui prouve qu’elle peut prendre sa vie en main et affirmer sa dignité». Parmi les gardiens de l’ordre de cette société totalitaire, citons l’obséquieux Seer Rhee (Hugh Grant), patron du restaurant qui exerce son autorité en dehors des heures de travail, et Boardman Mephi (Hugo Weaving), bureaucrate qui ne veut surtout rien changer. Halle Berry et Susan Sarandon campent deux hommes – respectivement Ovid, médecin qui ôte le collier de prisonnier de Sonmi, et Yusouf Suleiman, scientifique qui défend les droits des clones –, tandis que Keith Davis incarne An-Kor Apis. Tom Hanks joue un comédien dans une adaptation cinématographique de la vie de l’éditeur Cavendish, qui pousse Sonmi à agir, Jim Broadbent interprète un musicien coréen, et James d’Arcy campe l’archiviste du gouvernement chargé de recueillir les aveux de la rebelle.

Après la chute, 2321 et Hawaï, 2346

On découvre enfin Tom Hanks dans le rôle du gardien de chèvres Zachry, personnage perturbé mais fondamentalement intègre, dernier représentant d’une tribu pacifique qui a survécu à un cataclysme planétaire ayant contraint la plupart des hommes à revenir à un mode de vie primitif. Parmi les vestiges de leur passé, on retrouve une image de Sonmi, qui a désormais le statut d’une déesse, et dont les propos sont cités par Susan Sarandon qui joue l’abbesse du village. Pour cet univers, l’écrivain a imaginé un dialecte dépouillé qui permet de communiquer de manière rapide. Les réalisateurs ont conservé cette langue et ont travaillé avec les comédiens dans un studio d’enregistrement de Los Angeles avant le tournage, pour faire en sorte que la transposition du dialecte fonctionne dans le film. «On a choisi un anglais très simple, en utilisant un minimum de mots pour exprimer les émotions», précise Halle Berry qui, dans cet épisode, interprète Meronym, émissaire d’une communauté humaine supérieure, baptisée les Prescients. Adoptant ce dialecte pour gagner la confiance de Zachry, Meronym sollicite l’aide de ce dernier afin de retrouver un objet dont elle a cruellement besoin. Néanmoins, pour lui venir en aide, Zachry doit non seulement risquer sa vie et renoncer à toutes ses croyances, mais aussi apaiser les doutes qui l’assaillent à travers la voix moqueuse de Old Georgie (Hugo Weaving). Xun Zhou incarne la soeur de Zachry, Rose, tandis que Jim Sturgess campe son beau-frère Adam, et Ben Whishaw un membre de la tribu. Hugh Grant joue ici son personnage le plus sombre : le chef Kona, à la tête d’une bande de guerriers cannibales qui sillonnent la région. De leur côté, Keith David, David Gyasi et Jim Broadbent interprètent des Prescients éclairés. Hugh Grant s’exprime sur son personnage : «De toute évidence, les personnages ont la possibilité de s’amender, et certains y parviennent, de manière spectaculaire, et d’autres pas. Ils ne s’améliorent pas. Bien au contraire, ils empirent. C’est le fruit de notre libre arbitre et des choix que nous faisons».

À TRAVERS LES SIÈCLES

“Je crois que je suis tombé amoureux de Luisa Rey. Est-ce possible ? Je viens de la rencontrer et pourtant, j’ai le sentiment qu’il m’est arrivé quelque chose d’essentiel». Isaac Sachs, 1973 

Tandis que les choix des uns et des autres n’en finissent pas d’avoir des conséquences à travers le temps, certains parcours individuels rejoignent des trajectoires collectives qui constituent l’essence même de la vie. «J’interprète successivement une Indienne impuissante, puis Jocasta, qui n’a pas non plus voix au chapitre, et Luisa Rey, qui bataille durement pour affirmer son existence», signale Halle Berry. «Il y a une scène, dans l’épisode autour de Cavendish, où je joue une mystérieuse invitée à la fête, dont on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’elle arbore un air plein d’assurance. Dans l’épisode suivant, je joue un médecin, Ovid, qui agit pour le bien – si bien que lorsque j’en viens à interpréter Meronym, on perçoit chez elle l’aboutissement de son parcours, et on comprend alors pourquoi elle est aussi forte».

De même, les personnages incarnés par Keith David vont de l’esclave au chef. Et lorsque Jim Sturgess interprète Ewing, il prend ses décisions de manière instinctive, comme un homme qui commence à comprendre le sens du mot justice. Mais il parvient à mieux cerner ce genre de concept lorsqu’il est devenu Chang, combattant de la liberté. Car CLOUD ATLAS évoque l’aspiration universelle et éternelle de l’humanité à connaître la liberté. «S’il y a un point commun à tous mes personnages, c’est le fait qu’ils travaillent au sein d’institutions qu’ils n’aiment pas et qu’ils voudraient changer», indique James D’Arcy, qui incarne un employé d’une centrale électrique corrompue, puis d’une épouvantable maison de retraite et d’un gouvernement totalitaire. «Mais mon dernier rôle est celui d’un archiviste, et bien qu’il participe, d’une certaine façon, à la répression, il finit par prendre sa vie en main, ce qui prouve qu’il n’est pas un cas désespéré».

Andy Wachowski s’explique sur la nécessité d’avoir déconstruit le roman pour l’adapter au cinéma : «Il y a une scène où Autua risque d’être abattu quand il se tient sur le pont du bateau, et puis un moment similaire où Sonmi manque d’être tuée, en s’échappant de prison. Si on avait monté ces deux séquences ensemble, on aurait perçu les similarités et les rebondissements». «Je ne me souviens plus du nombre de façons dont les réalisateurs ont cherché à enchaîner les scènes, qu’elles soient éloignées d’un millier de kilomètres ou qu’elles soient distantes de plusieurs siècles», ajoute David Mitchell. «Elles peuvent se faire écho à travers un motif visuel, une simple parole, un élément architectural ou le visage d’un comédien. Mais l’effet produit est celui d’une seule et même mosaïque intelligente qui traverse les époques». En se référant à une scène où Chang tire sur ses assaillants pendant une course-poursuite, l’auteur ajoute : «Cette séquence s’achève sur un mur de verre qui se brise, tandis que la suivante débute sur une fissure qui se propage à tout le pare-brise de la Volkswagen de Luisa Rey – qui finit par s’abîmer dans la baie de San Francisco».

Les résonances qui se manifestent à travers les siècles bouleversent la notion de deuil. Lorsque des amants sont déchirés à une époque donnée, Tykwer signale que «nous pouvons alors enchaîner sur les mêmes acteurs qui se retrouvent ailleurs, apportant alors un peu d’optimisme à une scène qui s’était achevée sur une note poignante». Chemin faisant, l’idée de la création parcourt le fi lm : comme le souligne Tykwer, «il s’agit de marquer son époque par une oeuvre d’art qui pourra ensuite influencer un autre personnage». En 1936, Frobisher découvre, sous forme de journal intime publié, l’histoire de la traversée maritime d’Adam Ewing, effectuée en 1849. Les lettres écrites par Frobisher se retrouvent ensuite entre les mains de Luisa Rey, en 1973, et l’histoire de Luisa autour du complot à la centrale nucléaire inspire le manuscrit d’un livre, soumis à l’éditeur Cavendish. L’aventure de ce dernier devient alors le sujet d’un film que voit Sonmi en 2144. Puis, la déclaration de liberté de Sonmi est répétée et mémorisée, jusqu’à ce que, y compris dans une société dépourvue de livres et de technologies, son message soit respecté par Zachry et sa tribu au XXIVème siècle. De même, le pouvoir et l’impuissance sont au coeur des conflits les plus tenaces de l’humanité. En 1849, le docteur Goose – le rôle le plus ignoble de Tom Hanks dans le film – justifie ses larcins et son mépris de toute vie humaine en déclarant : «Les plus faibles ne sont que de la chair à canon, et les plus forts sont là pour diriger les autres». Plusieurs générations plus tard, son incarnation se débat avec les mêmes concepts. Mais si certains personnages ne tirent jamais les leçons de leurs erreurs, d’autres font d’immenses progrès, ce qu’illustre sans doute l’évolution spectaculaire de Tom Hanks, incarnant d’abord l’horrible Goose pour interpréter enfin Zachry. Et pourtant, le passé se manifeste encore. «Il y a une scène où Zachry se retrouve dans une situation où il pourrait de nouveau basculer dans la violence», note Tykwer. «Il tient son couteau sous la gorge d’un guerrier Kona, et Tom est tellement doué qu’on perçoit sur son visage des traces des personnages qu’il a incarnés antérieurement. La puissance de ce vieil assassin de Goose est encore là, dans ses gènes. Et même si Zachry est un autre genre d’homme, Goose, lui, n’aurait pas hésité».

Lana Wachowski revient sur l’évolution de Zachry : «On a tous été intéressés par ce concept qui est devenu l’un des motifs récurrents du fi lm : comment un être peut-il passer de l’ombre à la lumière ? Tous ces personnages peuvent rester prisonniers d’une vie égocentrée de prédateurs qui passent leur temps à exploiter les autres, ou ils peuvent changer. On a donc voulu partir d’un personnage qui était un prédateur absolu, Goose, et évoquer ses progrès jusqu’à ce qu’il devienne un héros en puissance». Cette évolution est souvent provoquée par l’amour, comme en témoigne l’attirance mutuelle des personnages de Tom Hanks et de Halle Berry. La réalisatrice poursuit : «Quand Luisa Rey rencontre Isaac Sachs à la centrale, il est à mi-chemin de son parcours : ce n’est pas un sale type, mais il travaille toujours pour une entreprise néfaste. Pourtant, il tombe amoureux d’elle et c’est ce qui le fait dévier de sa trajectoire».

DEUX TOURNAGES SIMULTANÉS

«Quoi que tu fasses, cela ne représentera jamais qu’une goutte d’eau dans l’océan» Haskell Moore, 1849 «Mais qu’est-ce qu’un océan, sinon une quantité infinie de gouttes d’eau ?» Adam Ewing, 1849

Tykwer et les Wachowski n’avaient pas prévu de travailler sur deux fronts lorsqu’ils se sont attelés à l’adaptation de CLOUD ATLAS. En effet, leur volonté acharnée de cerner l’essentiel du roman de Mitchell éclipsait encore les difficultés éventuelles du tournage. Mais lorsque le scénario a commencé à prendre forme, que les comédiens ont été choisis et que l’envergure du projet est devenue réalité, l’idée d’orchestrer deux tournages parallèles s’est avérée être la plus efficace. Il devenait même possible de diviser le temps de tournage par deux en pilotant simultanément deux équipes – chacune étant en charge de trois épisodes – composées de collaborateurs propres, tandis que les comédiens passeraient d’un plateau à l’autre. «Un an avant le début du tournage, nous avons réuni les chefs de poste des deux équipes pour un séminaire de quatre semaines à Berlin, afin de pouvoir travailler le scénario en profondeur», indique le producteur Grant Hill. «Il s’agissait de s’assurer que les rapports entre les techniciens étaient bons et que les approches du métier concordaient, et de voir comment on pouvait monter cette opération». L’atmosphère a été celle d’un vrai travail d’équipe : «Quand on a vu que tous ces formidables professionnels étaient motivés par cette approche collective, on s’est dit qu’il fallait alors leur donner des consignes claires, établir une stratégie solide et savoir canaliser toute cette énergie créative».

Les Wachowski ont signé les scènes du voyage maritime d’Adam Ewing de 1849, de la révolte de Sonmi de 2144, et de la vie de Zachry au XXIVème siècle. Ils ont collaboré avec le chef-décorateur Hugh Bateup et le directeur de la photographie John Toll. De son côté, Tom Tykwer a tourné les séquences du copiste musical Robert Frobisher de 1936, des révélations de la journaliste Luisa Rey autour d’un complot industriel de 1973, et du calvaire, souvent drôle, de l’éditeur londonien Cavendish de 2012. Il a travaillé avec le chef-décorateur Uli Hanisch et le directeur de la photographie Frank Griebe. Le tournage a commencé en septembre 2011 : l’équipe pilotée par Tykwer s’est établie en Ecosse, et celle dirigée par les Wachowski à Majorque. En tout, les réalisateurs ont tourné en décors naturels à Glasgow, à Edinburgh et dans la campagne écossaise, en Saxe, et dans plusieurs sites berlinois. Enfin, les équipes se sont retrouvées dans les studios ultra-sophistiqués de Babelsberg pour les scènes d’intérieurs et celles nécessitant des fonds verts. Tout en travaillant dans des pays différents, les trois cinéastes étaient en contact permanent. «Les réalisateurs ont réfléchi au moindre détail, au moindre enchaînement et au montage entre les différents épisodes du film, et sont arrivés parfaitement préparés sur le plateau», note le producteur Stefan Arndt. «Pendant le tournage, ils avaient l’habitude de s’appeler pour se dire : ‘Il faut que tu changes un élément à tel ou tel moment. Quand tu tourneras la prochaine scène, sache que l’acteur fait telle ou telle chose’. Ils communiquaient en permanence afi n de prendre leurs décisions d’un commun accord». Majorque a servi de cadre pour la première partie de la saga – en campant l’île du Pacifique où Adam Ewing et Autua s’embarquent pour mettre le cap sur l’Amérique– et pour la toute dernière – en représentant une vallée hawaïenne où vit Zachry cinq siècles plus tard. «On s’est dit qu’il fallait que ce soit la même île», affirme Lana Wachowski. «Tout comme Tom Hanks incarne au début et à la fi n deux rôles extrêmement éloignés l’un de l’autre – Goose et Zachry –, l’île sert de cadre à l’ouverture et à la conclusion de la chronologie, comme pour mieux souligner le thème de la récurrence».

La scène où Ewing rencontre le docteur Goose sur la plage a été tournée dans la crique de Sa Calobra Cove à Torrent de Pareis, et la plantation de tabac de Horrox du début du XIXème siècle a été reconstituée dans une propriété privée de la région d’Es Llombards, à Majorque. Le bateau d’Ewing, le «Prophetess», est un véritable navire d’époque, magnifiquement bien conservé et capable de prendre la mer : il s’agit du Earl of Pembroke, construit en Suède, et désormais amarré à Charleston Harbor, en Cornouailles, par la Square Sail Company. Le vaisseau a rejoint l’équipe de tournage à Majorque, où il a subi quelques changements superficiels. Le capitaine de l’embarcation, Robin Davies, a été recruté comme coordinateur maritime pour les besoins du tournage, et il fait même le figurant – avec son équipage d’une quinzaine d’hommes – sur le pont du bateau. À l’intérieur des terres, la production a déniché une région montagneuse et rude pour la séquence où Zachry et Meronym entreprennent leur longue marche, jouissant ainsi du point de vue spectaculaire qu’offre le Puig Mayor – 1445 m d’altitude –, point culminant des îles Baléares. On y trouve encore une base militaire des années 50, correspondant parfaitement au type de structure que recherche Meronym.

Les Wachowski se sont ensuite rendus en Saxe, au sud-est de l’Allemagne, où les célèbres formations rocheuses en grès ont parachevé le cadre de vie de Zachry et les forêts touffues ont campé les bois où la famille de ce dernier est menacée par le Kona. Bateup, qui a bâti le village, précise : «On ne voulait pas que cette communauté ait l’air trop primitif, comme si elle était revenue à l’âge de pierre. On s’est dit qu’elle avait survécu à un cataclysme mondial, qui s’est produit il y a cinquante ou soixante ans, et qu’elle avait appris à se débrouiller. Ces gens fabriquent des objets à partir de matériaux de récupération qu’ils ont trouvés dans les villes détruites. Ce sont des artisans, pas des barbares”. Pour des raisons de cohérence visuelle, le petit troupeau de chèvres de Zachry a été transporté de Majorque en Saxe. La production a également fait venir six chevaux, élevés en Espagne, de Madrid jusqu’en Saxe, pour la scène du redoutable assaut de Kona contre le village. Le chef cascadeur espagnol Jordi Casares et son équipe ont monté les chevaux pour les scènes d’action, tandis que le grand cavalier et opérateur Steadicam Jorge Agero s’est vu confier la mission périlleuse de tourner la séquence, tout en étant à cheval…

Dans le même temps, Tykwer a transformé un quartier de Glasgow, aux rues en pente, en San Francisco des années 1973. Les panneaux de signalisation et les lampadaires ont été remplacés et des véhicules d’époque, trouvés sur place, ont été acheminés pour la séquence où Luisa Rey et Napier tentent de fuir le meurtrier Bill Smoke et d’échapper à ses coups de feu. Les salles du Conseil municipal d’Edinburgh ont servi de cadre à l’hôtel où se cache Frobisher, après avoir dévalé les gouttières, puis le célèbre Walter Scott Monument de la ville a été utilisé pour son refuge, là même où il retrouve l’amour de sa vie pour la dernière fois. Ce monument de 60 mètres de haut, qui n’avait encore jamais été fermé au public pour un tournage, a été investi par l’équipe du film : pendant deux jours, les techniciens ont ainsi pu acheminer les caméras et le matériel par grue jusqu’à la plate-forme d’observation située au sommet, plutôt que par son étroit escalier en colimaçon. Pour le superbe manoir d’Ayrs, où Frobisher vient chercher du travail, Tykwer et le chef-décorateur Uli Hanisch ont sillonné la campagne écossaise et ont fini par dénicher la Overtoun House, dans le West Dunbartonshire, qui appartient encore à des particuliers. Cette demeure a non seulement servi de cadre à la propriété des Ayr en 1936, mais aussi, après avoir été redécorée, aux terribles Aurora Country Estates, où Cavendish est incarcéré en 2012. «Près de 80 ans se sont écoulés entre ces deux scènes, si bien que les arbres et le jardin n’ont plus la même allure», signale Hanisch. «Nous avons donc ajouté du feuillage pour les années 30 que nous avons ensuite enlevé pour donner un côté plus dépouillé à l’époque contemporaine». Pour la période actuelle, l’équipe a également installé un jardin d’hiver et un imposant portail. «Il s’agit du château où Ayrs, le vieux compositeur, tente d’emprisonner le jeune Frobisher, puis, quelque 80 ans plus tard, c’est lui, sous les traits de Cavendish, qui se retrouve incarcéré là même où il était autrefois gardien de prison», souligne Tykwer.

Dès l’élaboration du projet de CLOUD ATLAS, il a été décidé que certains lieux allaient se retrouver à intervalles réguliers tout au long du film. «On voulait conserver un minimum de souplesse, malgré tout», signale Hanisch. «Parfois, on aperçoit le véritable lieu, et parfois encore, on n’en voit qu’un bout. On a commencé par la cabine d’Ewing sous le pont du bateau, et puis, on retrouve la forme de cette pièce tout au long du fi lm : le bureau de Cavendish, l’appartement de Luisa Rey, la chambre de Frobisher dans le manoir d’Ayrs, le refuge de Sonmi et la cabane de Zachry». C’est ainsi que l’intérieur de l’opulent salon musical d’Ayrs, construit en studio, est devenu le réfectoire lugubre d’Aurora Country Estates. Dans le restaurant où Sonmi est employée, les clients mangent dans un espace lumineux et une atmosphère joyeuse, mais, quand l’établissement ferme ses portes, l’ambiance devient sombre et menaçante. Bateup, qui a conçu cet espace, précise : «Il a fallu qu’on imagine une société de consommation des années 2144 et qu’on invente le style d’un fast-food du futur. Comme Lana et Andy ont une conception précise de cette époque, ils m’ont donné pas mal d’idées et on a fi ni par mettre au point l’univers de Sonmi». Après le tournage de cet épisode, l’espace a été réutilisé pour une autre séquence et redécoré en noir, blanc et rouge : il s’agit du cocktail en l’honneur du livre de Cavendish, qui a lieu sur une terrasse, où un énorme aquarium fait écho à l’étang de poissons virtuel du restaurant.

L’équipe Décoration a également conçu des éléments récurrents, comme des trains et des ponts, que l’on retrouve dans les récits de Frobisher, de Cavendish, de Luisa Rey et de Zachry. Des objets ovoïdes ponctuent aussi le fi lm, qu’il s’agisse des jouets de l’usine parcourue par Luisa Rey à San Francisco, des sièges du restaurant ou de l’appareil enregistreur de l’archiviste de Sonmi. «On tenait à ce qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans nos représentations des différentes époques, afin qu’on sache avec certitude qu’il s’agit bien des années 1930 ou 1840», reprend Hanisch. «Dans le même temps, les résonances visuelles et les lieux qu’on réutilise pour différents décors renforcent l’idée que les multiples intrigues se répondent et constituent une seule et même histoire».

Les chefs-opérateurs John Toll et Frank Griebe ont aussi contribué au style sophistiqué et fluide du film. «Les principaux éléments de décors étaient déjà là quand nous sommes arrivés sur le plateau», explique Toll. «Ce qu’on a notamment cherché à faire avec la lumière, c’est fondre les récits propres à chaque personnage qui s’étalent sur cinq siècles afin de créer une atmosphère riche et foisonnante, sans que ce soit forcément une ambiance unique pour le fi lm. Du coup, cela a nécessité de concevoir un style visuel qui convienne à chaque épisode, tout en donnant une unité à l’ensemble». Après s’être réunis pour évoquer le choix des prises de vue et des objectifs, Griebe et Toll se sont rendus sur leurs plateaux respectifs, tout en se tenant au courant du travail de l’autre grâce au visionnage des rushes.

Dan Glass, qui collabore avec les Wachowski depuis MATRIX, a orchestré les effets visuels des deux équipes. Il a surtout été sollicité pour les scènes futuristes, et notamment pour l’épisode de Sonmi et l’atmosphère virtuelle du restaurant où elle travaille, mais il a contribué à l’intégralité des époques dépeintes dans le film. Il a ainsi transformé Glasgow en San Francisco et bâti la centrale fictive de Swannekke. «Tom est habitué aux décors en dur, et on a donc travaillé à partir d’éléments physiques qu’on a modifiés par la suite», dit-il. «C’était une formidable approche s’agissant de ce fi lm». La scène où Luisa Rey traverse le pont du Golden Gate a été en partie tournée dans une citerne de Cologne et en partie sur la piste d’atterrissage de l’aéroport désaffecté de Tempelhof, en Allemagne : celui-ci a servi de cadre pour le carambolage des voitures pilotées par des cascadeurs et la chute de la Coccinelle par-dessus la glissière de sécurité. Quant au pont et à la vue sur la baie de San Francisco, ils ont été créés de manière infographique. Pour l’univers du Neo Seoul de 2144, la production a imaginé un environnement où le niveau de la mer a augmenté et submergé la vieille ville. «Les habitants ont bâti des murs immenses pour faire barrage à la montée des eaux, et c’est dans les quartiers submergés que nous avons installé les derniers étages de gratte-ciel qui émergent de l’eau pour suggérer que des immeubles gisent au fond de l’océan», note Glass. «Quant aux quartiers plus modernes, où vivent les habitants les plus aisés, nous les avons filmés du haut des ruines. Et plus on descend vers la mer, plus on pénètre dans un monde sombre et lugubre, là même où démarre la révolte de Chang». L’évasion de Sonmi et l’affrontement haletant entre Chang et le commando du gouvernement se déroulant depuis le sommet des tours de Neo Seoul jusque dans les profondeurs de la ville ont été tournés sur fonds verts et à l’aide d’effets infographiques dans les studios de Babelsberg, où se sont finalement retrouvées les deux équipes.

COSTUMES, COIFFURE ET MAQUILLAGE

«J’ai vu quelque chose dans ses yeux d’un bleu glacial, quelque chose qui transcende les années et la maladie. Quelque chose que j’ai déjà vu ailleurs». Robert Frobisher, 1936

Outre les costumes pour les personnages, les chefs costumiers Kym Barrett et Pierre-Yves Gayraud ont cherché à évoquer certains motifs et couleurs pouvant se répondre harmonieusement et à leur donner une unité à travers les différentes époques. Barrett, qui a lui aussi collaboré à MATRIX, précise : «Nous avons choisi certains tons de verts, par exemple, qu’on retrouve chez plusieurs personnages. D’autre part, nous avons découvert un motif triangulaire des années 70 sur une chemise de cette époque que nous avons modifié et qu’on revoit ensuite sur le papier peint du refuge de Sonmi. Nous avons cherché à glisser des motifs comme celui-là à divers endroits du fi lm pour créer un flux d’images subconscient». Gayraud, qui collabore ici pour la troisième fois avec Tykwer, a acheté des vêtements dans des magasins berlinois pour l’épisode de Cavendish, mais l’essentiel des costumes des époques antérieures a été fabriquées suivant ses instructions, souvent à partir d’authentiques tissus anciens dénichés au marché au Puces de Paris. Pour la garde-robe d’Ayrs, il a utilisé un tissu imprimé de motifs géométriques des années 1970 évocateur du mouvement futuriste du début du XXème siècle qu’il a ensuite découpé et teint. Le gilet luxueux de Rufus Sixsmith a été fabriqué avec des étoffes des années 1830, et rend hommage à l’époque d’Adam Ewing. «On s’est dit, par exemple, que Luisa Rey aurait pu s’acheter une robe des années 1930 sur un marché aux puces», dit-il. «Le collier que porte Halle Berry sous les traits de Luisa est le même que celui qu’elle a au cou lorsqu’elle incarne Jocasta en 1936 ou encore une invitée à la fête dans l’épisode de Cavendish».

De même, le joaillier Lorenzo Mancianti a conçu les boutons du gilet d’Ewing qui attirent le regard concupiscent du docteur Goose : on retrouvera ces objets précieux sous forme de perles autour du cou de Zachry. Il fallait non seulement que ces boutons aient l’air de pierres précieuses, mais qu’ils évoquent la Terre vue de l’espace et suscitent ainsi un sentiment d’éternité. Barrett a adopté un point de vue minimaliste pour la garde-robe de Sonmi : «Son parcours est à la fois politique et sentimental, et Sonmi devient une icône mythique dans l’avenir de Zachry», dit-il. «Pour faire d’elle un personnage réel, puis la métamorphoser en une sorte de divinité, on a décidé de la montrer pratiquement nue. On s’est essentiellement attardés sur son visage». Dans le paysage sauvage du monde de Zachry, le point de vue de Barrett est devenu pragmatique : «Comme ils vivent en forêt, il fallait que les personnages se fondent dans la verdure ambiante pour leur propre survie», indique-t-il. «Je me suis donc dit que ce peuple tricotait ses propres vêtements, et que tout était tissé à la main ou fabriqué en macramé. Étant donné qu’ils vivent sous la menace constante du Kona, ils doivent pouvoir bouger au moindre danger, et il est vrai qu’un rouet s’emporte facilement».

Le chef coiffeur et maquilleur Jeremy Woodhead a collaboré avec Barrett et les Wachowski pour les épisodes Ewing, Sonmi et Zachry. C’est son homologue, Daniel Parker qui, lui, a travaillé avec Gayraud et Tykwer sur les séquences concernant Frobisher, Luisa Rey etCavendish. Chacun d’entre eux a contribué à vieillir ou rajeunir les comédiens, ou encore à modifier leur origine ethnique ou leur sexe, en fonction des époques qu’ils traversent. Il leur fallait ainsi changer l’apparence physique des acteurs, sans pour autant les rendre méconnaissables. Woodhead explique que, même s’agissant du maquillage le plus radical, «il s’agissait de trouver un juste équilibre pour escamoter certains de leurs traits, sans les faire disparaître totalement». Certaines de ces transformations ont nécessité des prothèses – dont ils sont tous deux spécialistes –, mais, dans la mesure du possible, ils ont privilégié un maquillage traditionnel, des perruques et des extensions de cheveux. Comme il est intervenu sur le premier et le dernier épisode de la chronologie, Woodhead a fait passer Tom Hanks d’un extrême à l’autre. «On voulait que Tom soit resplendissant dans le rôle fi nal de Zachry», dit-il. «Lorsqu’il incarne le docteur Goose, en 1849, je me suis accordé davantage de liberté pour créer un ‘personnage’. Je lui ai donné un faux crâne chauve, de petites touffes de cheveux roux, des favoris, un faux nez et de très grandes dents. Il est toujours reconnaissable, mais il est aux antipodes de Zachry, homme fort, discret et bienveillant». Parker a transformé l’acteur en Dermot Hoggins, auteur de «Knuckle Sandwich»_: «On l’a affublé d’un faux nez qui a été brutalement brisé, d’un faux crâne chauve, de cicatrices et de tatouages», souligne-t-il. Plus tard, quand on le retrouve sous les traits d’un directeur d’hôtel avare, en 1936, l’acteur porte une moustache, un cou plus fin et un nez couperosé. 

Woodhead a aussi accompli la prouesse de transformer Hugh Grant en redoutable cannibale à l’aide d’une boue blanchâtre : «La métamorphose prenait deux heures», dit-il. «On utilisait de faux crânes chauves, une crête iroquoise, de la peinture corporelle et un dentier. C’était totalement nouveau pour Hugh”. En outre, Woodhead a transformé Jim Sturgess en Chang, dans l’épisode de Sonmi, et a accompagné les métamorphoses successives de Halle Berry qui passe d’une femme Maori, à un homme asiatique âgé et à la magnifique et lumineuse Meronym. Il a aussi transformé Susan Sarandon en Suleiman, personnage masculin, il a donné à Doona Bae des traits occidentaux pour son interprétation de Tilda, et il a fait de James D’Arcy et de Hugh Grant des Asiatiques. Grâce à Parker, Hugo Weaving est devenu l’infirmière Noakes. «Travestir un homme en femme, et inversement, est toujours difficile», reconnaît-il. «Le squelette osseux des hommes est différent de celui des femmes, et cela prend donc du temps d’effectuer la transformation. La forme du crâne d’un homme n’a rien à voir avec celle d’une femme. Il faut alors modifier le front et la texture de la peau. Il y a tout un tas de détails subtils auxquels on ne pense pas forcément, mais si on n’y prête pas attention, on saura immédiatement qu’il s’agit d’un homme déguisé, et ce n’est pas l’effet qu’on recherchait». Parker a également fait de Jim Sturgess un Écossais barbu, de Ben Whishaw la discrète Georgette Cavendish, de Doona Bae une ouvrière latino et de Xun Zhou un réceptionniste d’hôtel. Il a encore accompagné la métamorphose de Halle Berry en convive d’origine indienne, en Luisa Rey, journaliste à moitié portoricaine, et en Jocasta, épouse européenne du compositeur Ayrs. «Ce fi lm était un vrai bonheur en matière de création de coiffure et de maquillage, et une occasion rêvée pour un professionnel du secteur», indique Woodhead. «Je ne sais pas si j’aurai pareille chance à l’avenir».

LE SEXTUOR DE CLOUD ATLAS

“Voilà. C’est la musique de mes rêves». Vyvyan Ayrs, 1936

Tom Tykwer fait partie de ces rares cinéastes qui écrivent la partition de leurs films. Et contrairement à la plupart des compositeurs qui écrivent la musique après le montage, lui préfère s’y atteler bien en amont du tournage. Travaillant avec Johnny Klimek et Reinhold Heil, avec lesquels il a composé la musique de presque tous ses films, Tykwer a écrit et enregistré la partition de CLOUD ATLAS deux mois avant le premier tour de manivelle. «Il préfère fonctionner comme cela que d’utiliser des musiques temporaires écrites par d’autres musiciens», souligne Heil. «Cela lui permet d’avoir recours à des musiques provisoires sans avoir à se demander comment les remplacer par la suite. Lorsque le film prend forme en postproduction, on voit ce qui manque ou ce qu’il faut modifier, et on réenregistre une version définitive». «Du coup, la musique instaure une atmosphère qui sert de source d’inspiration aux comédiens, et la musique fait ainsi partie intégrante du tournage», renchérit Tykwer. «La première chose qu’aient faite les producteurs pendant les séances de lecture, c’est passer la musique pour les acteurs et nous faire écouter les différentes interprétations, afin qu’on soit immergé dans l’atmosphère», souligne Hanks. «Cela faisait partie intégrante d’une vision d’ensemble des cinéastes qui nous a été exposée d’entrée de jeu».

Les compositeurs ont accueilli avec enthousiasme les apports des Wachowski : «C’était formidable de bénéficier des idées de Lana et Andy qui, même s’ils ne sont pas musiciens, savent comment utiliser la musique pour servir la dramaturgie. Ils nous ont stimulés avec efficacité». La musique est d’abord au coeur de l’histoire de Frobisher, puisque le jeune compositeur se bat pour achever l’oeuvre de sa vie, «Le Sextuor de Cloud Atlas». Mais, comme le note Klimek, «Cette musique se décline sous plusieurs registres, qu’il s’agisse d’une simple mélodie pour cordes, d’un air de rock à la guitare, ou d’un sextuor de jazz qu’on entend en toile de fond pendant la fête de Cavendish. Il nous fallait quelque chose de beau et d’adaptable pour nous accompagner à travers cinq siècles d’histoire». «Plusieurs générations après, un personnage qui entend cette mélodie a le sentiment de la connaître», souligne Tykwer, qui indique que la partition elle-même participe à la thématique de la réincarnation. «Le sextuor appartient à l’époque où il a été écrit, les années 1930, et relève d’un style moderne façon Frobisher, mais revient à intervalles réguliers et se marie très bien avec de nombreuses scènes, si bien qu’il devient le thème central du film».

Le «Sextuor de Cloud Atlas» fait écho à la structure même de l’intrigue, qui compte divers chapitres, atmosphères et thématiques qui s’enchevêtrent dans un vaste ensemble de manière rythmée. «Il y a de nombreux points de vue subjectifs qui s’expriment dans le fi lm, et nous étions à la recherche d’un point de vue qui puisse les réunir tous pour constituer un choeur harmonieux», rappelle Tykwer. En s’appuyant sur un sentiment exprimé par Adam Ewing, dont l’aventure ouvre la saga en 1849, Andy Wachowski précise : «C’est Adam Ewing qui prononce l’une des dernières répliques du fi lm, ‘Qu’est ce qu’un océan, sinon une multitude de gouttes d’eau ?’ Et quand on repense à tous ceux qui ont participé à cette aventure, à la somme d’individus qui ont contribué à cette oeuvre collective, cela résume bien le tournage de notre fi lm». «Il y a une idée que j’ai toujours aimée, c’est que la véritable nature de l’immortalité se trouve dans nos paroles et nos actes qui continuent à se manifester à travers le temps», ajoute Lana Wachowski. «C’est un concept fascinant, et c’est en grande partie ce qui nous a donné envie de nous atteler à ce projet. Et c’est aussi ce que nous voulions aborder dans le fi lm».








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